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La ciprofloxacine déstabilise le génome plastidique

CHAPITRE 2 : RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES

2.3 Résultats :

2.3.1 La ciprofloxacine déstabilise le génome plastidique

Afin de déterminer l’effet de la ciprofloxacine chez Arabidopsis thaliana, une expérience de croissance en présence de différentes doses de ciprofloxacine a été réalisée. Cette expérience révèle que la ciprofloxacine réduit la croissance des plantes de type sauvage (WT), même à des doses aussi faibles que 0,25 µM (Figure 13A). La courbe de létalité, présentée à la figure 14, permet de déterminer une valeur de demi-dose létale (LD50) d’environ 0,5 µM chez Arabidopsis, très similaire à celle observée chez les procaryotes (variant généralement entre 0,3 et 0,7 µM (177, 178)). Ce résultat suggère que la ciprofloxacine inhibe aussi efficacement les gyrases de plantes que celles des procaryotes. De plus, lorsque l’on traite des plantes de type sauvage avec la ciprofloxacine, il est possible d’observer l’apparition sporadique d’un phénotype de variégation, phénotype ayant déjà été associé à une augmentation de l’instabilité génomique dans le plastide (165) (Figure 13B).

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Figure 13: La ciprofloxacine déstabilise le génome plastidique d’Arabidopsis. A et E) Phénotype des plantes de type sauvage et du mutant why1why3 après 21 jours de croissance sur milieu synthétique Murashige-Skoog (MS) supplémenté des concentrations indiquées de ciprofloxacine (A) ou de novobiocine (E). B et F) Pourcentage moyen de plantes variéguées, évalué à 21 jours suite au traitement à la ciprofloxacine (B) ou à la novobiocine (F). Les barres d’erreur correspondent à l’écart type basé sur trois expériences indépendantes. La caractérisation des niveaux de variégation n’a pu être réalisée à 0,75 µM CIP et 100 µM NOVO car les premières vraies feuilles sont trop petites ou absentes. C et G) Évaluation par PCR des niveaux de réarrangements lors du traitement à la

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ciprofloxacine (C) ou à la novobiocine (G). Trois réactions représentatives, issues de 13 paires d’amorces différentes, sont présentées. L’extraction de l’ADN des plantes a été réalisée à 21 jours. Les niveaux d’ADN ont été équilibrés relativement à l’amplification du gène contrôle YCF2. D et H) Nombre de produits PCR issus des 13 réactions PCR pour le traitement à la ciprofloxacine (D) ou à la novobiocine (H).

Figure 14: Le traitement à la ciprofloxacine affecte le taux de survie chez Arabidopsis. Graphique présentant la survie moyenne de plantes traitées à la ciprofloxacine, établie à partir de trois expériences indépendantes. Les barres d’erreur correspondent à l’écart type. La survie est déterminée par la capacité de former des premières vraies feuilles après 28 jours de croissance.

Une approche par PCR, décrite à la figure 15, a été utilisée pour vérifier l’effet de la ciprofloxacine sur le génome du plastide. Dans cette approche, des amorces réparties à travers le génome sont utilisées afin d’amplifier spécifiquement des molécules d’ADN réarrangées (165). Les résultats révèlent que, chez la plante sauvage (WT), il y a apparition de réarrangements génomiques lors du traitement à la ciprofloxacine et que leur abondance augmente de manière dose-dépendante (Figure 13, C-D). Le séquençage de ces molécules réarrangées a permis de constater la présence de séquences microhomologues aux extrémités de la vaste majorité de ces réarrangements, suggérant qu’ils seraient issus de mécanismes de réparation des DSBs dépendants de microhomologies (MHMR).

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Figure 15: Approche PCR permettant d’amplifier spécifiquement des molécules d’ADN réarrangées dans le génome du plastide. Les carrés gris correspondent à des régions microhomologues (5 à 35 pb). Les coupures ondulées représentent une distance supérieure à 5 kb dans la séquence d’ADN. Les amorces séparées par ces coupures ne peuvent générer un produit dans les conditions de PCR utilisées.

L’effet de la ciprofloxacine sur le génome du plastide a ensuite été étudié à l’aide de mutants déficients pour les protéines Whirly du plastide (mutants why1why3). Ces mutants sont connus pour accumuler plus facilement des réarrangements génomiques (165). Il est intéressant de constater, à la figure 13A, que ces plantes mutantes sont hypersensibles au traitement à la ciprofloxacine. Le phénotype de variégation, habituellement observé dans environ 5% de la population chez why1why3, est maintenant observable chez environ 90% des individus traités avec 0,25 µM de ciprofloxacine (Figure 13B). Ces résultats suggèrent que les protéines Whirly jouent un rôle important dans la protection du génome face aux DSBs. De plus, les réarrangements génomiques sont aussi beaucoup plus abondants chez ce double mutant suite au traitement à la ciprofloxacine (Figure 13C-D). Ces résultats ont aussi été confirmés par des études d’immunobuvardage de type Southern à l’aide de sondes correspondant à des réarrangements génomiques (Figure 16). Étonnamment, il est souvent possible d’observer plusieurs fragments de tailles différentes pour une même sonde. Ces bandes sont uniquement observables lors du traitement à la ciprofloxacine et leur abondance corrèle avec la dose de ciprofloxacine utilisée. De plus, pour les échantillons non-digérés, on remarque des bandes de plus faible poids moléculaire. Ces résultats suggèrent que plusieurs réarrangements génomiques différents peuvent se produire à un même locus lors de conditions de stress génotoxique et que ces réarrangements peuvent mener à l’apparition de molécules sous-génomiques.

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Figure 16 La ciprofloxacine cause l’apparition de réarrangements génomiques et de structures sous- génomiques. Hybridation de deux sondes radioactives différentes (A et B) correspondant à l’amplification d’un réarrangement génomique.

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Panneau du haut: Représentation schématique des locus ayant été réarrangés. La sonde amplifiée y est présentée avec la séquence microhomologue ayant mené à son apparition.

Panneau du milieu: Buvardage de type Southern sur de l’ADN extrait de plantes de type sauvage (WT) et de plantes mutantes why1why3 traitées à différentes doses de ciprofloxacine. L’extraction de l’ADN des plantes a été réalisée à 21 jours et celui-ci a été digéré avec HinDIII. Les niveaux d’ADN ont été équilibrés selon l’amplification du gène contrôle YCF2. (R) correspond à la taille attendue du réarrangement génomique associé à la sonde.

Panneau du bas: Buvardage de type Southern sur de l’ADN non-digéré extrait de plantes de type sauvage et de plantes why1why3 traitées à différentes doses de ciprofloxacine. L’extraction de l’ADN des plantes a été réalisée à 21 jours. Les niveaux d’ADN ont été équilibrés selon l’amplification du gène contrôle YCF2.

Comme mentionné précédemment, le mécanisme d’action des gyrases repose sur l’introduction contrôlée d’un DSB qui permet de générer du surenroulement négatif dans l’ADN (Figure 17). Chez les procaryotes, des études ont démontré que la ciprofloxacine inhibe l’étape de religation de l’ADN par les gyrases, laissant par le fait même un DSB dans le génome (171, 172). Afin de vérifier que les réarrangements génomiques observés lors du traitement à la ciprofloxacine sont réellement dus à la présence de DSBs, plutôt qu’à l’inhibition de l’activité de la gyrase, les expériences que nous venons de décrire ont été répétées avec la novobiocine, un autre inhibiteur de gyrases. La novobiosine agit selon un mécanisme d’action différent de celui de la ciprofloxacine. En effet, cette petite molécule inhibe l’enzyme avant l’étape du clivage de l’ADN, et n’introduit donc pas de DSBs dans le génome (voir le mécanisme à la figure 17) (179). La figure 13 (E-G) montre que la novobiocine, bien qu’inhibant efficacement la croissance des plantes, n’induit pas d’hypersensibilité chez les plantes mutantes why1why3 et ne génère pas non plus de réarrangements génomiques dans le plastide. Ces résultats suggèrent donc fortement que l’action de la ciprofloxacine sur la survie des plantes et l’induction de réarrangements génomiques est liée à l’introduction de DSBs dans le génome des organelles. De plus, l’évaluation de la sensibilité des mutants au traitement à la ciprofloxacine semble être un outil prometteur pour l’identification de gènes impliqués dans la protection du génome plastidique.

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Figure 17: La ciprofloxacine et la novobiocine inhibent l’action des gyrases à des étapes différentes du mécanisme réactionnel. Représentation schématique dans laquelle l’ADN est représenté en rose, la protéine GYRA en jaune et GYRB en bleu. Figure adaptée de (180).

2.3.2 Identification des acteurs du maintien de la stabilité du