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Partie I : La situation sociolinguistique de l’Afrique de l’Ouest

Partie 4 : Analyse des données

4.4 Les choix et les pratiques des langues

4.4.1 L’utilisation des langues en famille

Dans cette dernière partie de notre analyse, nous nous intéresserons aux pratiques des langues des membres de familles migrantes plurilingues résidant au Mans. La famille est le lieu où les langues se côtoient, se transmettent, et se pratiquent au quotidien par des membres. Elle « fonctionne comme un espace de solidarité entre ses

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part importante, la vie en société » (Antoine et al., 1992 : 137, cité par Dreyfus et

Juillard, 2005 : 10). La famille apparait comme une instance où tout s’effectue, notamment les rapports autours des langues au quotidien.

Dans le contexte de la migration, les langues des migrants ne sont pas pratiquées dans l’environnement social du pays d’accueil, les membres de familles migrantes tentent dans ce cas de les conserver dans l’espace familial, puisqu’étant le seul lieu où ils (les membres) se servent de leur(s) langue(s). Cependant, dans le contexte de la migration, où la langue du pays d’accueil est dominante, celle-ci rentre dans les familles migrantes, et les langues parlées en famille peuvent résulter d’une négociation entre les membres de la famille et de la société dont ils font partie. Dans ce cas, la famille

« apparait comme le lieu d’un conflit linguistique qui fait écho aux conflits de la société » (Calvet, 1999 : 105). L’usage des langues en famille, notamment dans de

familles migrantes plurilingues, provoque parfois des choix linguistiques qui régissent les relations interpersonnelles des membres, puisqu’étant confrontés à la cohabitation de deux ou plusieurs langues dans le foyer, avec surtout l’entrée de la langue dominante dans le cercle familial.

Nous allons voir dans cette partie comment les langues africaines et le français sont utilisées au quotidien dans différentes familles migrantes. Nous allons fonder nos analyses sur des réponses de personnes migrantes plurilingues enquêtées, suite aux différentes questions que nous leurs avons posé sur leurs expériences lors de nos entretiens : Q1« Combien de langues parlez-vous ? Votre époux/épouse ? » Q2 « Quelle(s) langue(s) utilisez-vous fréquemment en famille ? » Q3 « Quelle (s) langue(s) utilisez-vous pour parler à votre époux ? Épouse ? Votre/vos enfants ? À un inconnu ? » Q4 « Dans quelles situations utilisez-vous votre première langue/langue maternelle ? Le français ? Les autres langues » Q5 « Que ressentez-vous quand vous voyez vos enfants communiquer en français et non dans votre première langue ? » Q6 « Les enfants choisissent-ils une langue pour vous parler ? Ou un de vous ? Dans quelles situations de communication ? » Q7 « Comment utilisez-vous la/les familiale(s) et le français en famille ? Langues alternées/mêlées ? » Q8 « Dans quelle(s) langue(s) vous vous adressez spontanément à vos enfants ? Votre mari/femme ? Aux inconnus ? » Q9 « Vous donnez des ordres dans quelle(s) langue(s) ? Vous grondez et plaisantez dans quelle(s) langue(s) ? » Q10 « Souhaitez-vous mieux parler le français ? ».

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Les informations concernant les choix et les usages des différentes langues en famille seront présentées en fonction des communications familiales selon les langues fréquemment utilisées.

Les communications entre les membres d’une famille migrante paraissent dominées par les langues ethniques, les premières langues des adultes. La majorité de nos interviewés déclarent utiliser habituellement leurs premières langues dans les communications familiales, comme on peut le voir sur ce tableau :

Langue(s) fréquemment utilisée(s) par les interviewés en famille

Langues première langue français les deux

8 témoins 3 1 4

Nous voyons sur le tableau ci-dessus que les communications familiales entre les membres d’une même famille migrante sont dominées par l’utilisation des premières langues des enquêtés. Sur les huit témoins (8) interviewés, trois (3) déclarent utiliser essentiellement leurs premières langues (langues ethniques/langues maternelles) dans les communications familiales, contre un (1) seul témoin qui déclare utiliser essentiellement le français en famille. Par contre, les communications familiales des membres de familles migrantes sont dominées par l’utilisation des deux langues, c’est- à-dire les premières langues des adultes et le français. Il est parfois très difficile de savoir si c’est le français ou les premières langues des adultes qui est la langue la plus utilisée dans les communications familiales par nos enquêtés, étant donné qu’ils sont tous bi-plurilingues, mais essentiellement dominant en langue ethnique ou langue maternelle, première langue. Cependant, nous retiendrons que c’est l’alternance des deux langues (premières langues et français) qui semble fréquent dans les communications familiales comme l’affirment presque tous les enquêtés:

E : Combien de langues utilisez-vous dans votre famille ? T : Bah c’est deux langues/Soussou/après peul/

E : Vous parlez que ces deux langues ? T : Ouais

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T : Ouais/il parle bien français aussi/

E : Ah oui donc vous parlez français aussi dans votre famille… T : Bah ouais mais pas trop hein/

E : Pas trop…

T : Oui c’est un petit peu/

E : Donc vous parlez trois langues en famille… T : Ouais mais plus soussou et peul/

(Annexe, corpus entretien 5 : 1 à 12).

E : Maintenant quelles sont les langues que vous utilisez le plus en famille ?

T : Bah écoute euh on utilise les deux/ouais on utilise les deux à la maison (langue maternelle des adultes et français)/on utilise les deux forcément/

E : Lesquelles ?

T : Soninké et français/

(Annexe, corpus entretien 7 : 13 à 16).

E : Combien de langue utilisez-vous dans vos communications familiales ? Ta : Euh à peu prêt deux langues/en fait français bambara soninké trois/

(Annexe, corpus entretien 8 : 1-2).

Parlant tous deux ou plusieurs langues, nous constatons que les communications familiales sont dominées par l’utilisation simultanée des deux langues (premières langues des adultes et français) dans de familles migrantes. L’alternance des deux langues est le mode de communication privilégié dans ces familles. On peut ajouter que le type de communication bilingue qu’adoptent les familles migrantes est le type de communication le plus fréquent dans la plupart de familles bi ou plurilingues, pour favoriser l’intercompréhension. En plus, le français est la langue dominante de

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l’environnement social. Mais, l’aspect le plus marquant est que certains de nos enquêtés sont catégoriques sur le fait qu’ils utilisent exclusivement leurs premières langues (langues maternelles) dans les communications familiales, et non les deux langues :

E : D’accord/dans votre famille/quelle langue utilisez-vous/en famille ? T : Notre langue/la langue diakanké

(Annexe, corpus entretien 1 : 3-4).

E : Donc c’est le diakanké qui est utilisé en famille ? T : Oui on parle que diakanké/

(Annexe, corpus entretien 3 : 21-22).

E : Quelles sont les langues que vous utilisez fréquemment en famille ? T : Wolof…/

E : Uniquement… ? T : Oui

(Annexe, corpus entretien 4 : 3 à 6).

Il faut noter que l’utilisation des deux langues dans de familles migrantes est plus fréquente. Cela peut s’expliquer par le fait que les parents sont en général dominants dans leurs premières langues (langues maternelles), alors que les enfants, eux, sont dominants en français, et parlent très rarement les premières langues des parents, nous le verrons dans les pratiques déclarées par les enquêtés dans les communications familiales entre les membres d’une même famille migrante.