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L’usurpation du droit de rejeter les requêtes

Chapitre II. Une Chambre des requêtes empruntée au Conseil des parties

Section 1. La création laborieuse d’une Section des requêtes

A) L’usurpation du droit de rejeter les requêtes

Le projet de consécration d’un despotisme judiciaire. - Selon Prugnon, en principe,

le Bureau des cassations n’avait pas le droit d’admettre ou de rejeter les requêtes mais seulement celui d’effectuer un examen préalable : « La destination légale du Bureau de cassation n'a

jamais été que de donner aux conseillers d'État une connaissance préalable des affaires ni devaient être discutées au conseil assemblé. Nulle part le règlement du conseil n'autorise les commissaires composant ce bureau, à adopter ou à rejeter les demandes en cassation. On doit cependant à la vérité d'avouer que, depuis très longtemps ces commissaires se sont constitués juges, non de l'admission (ils n'avaient las encore été jusque-là), mais de la réjection des requêtes en cassation. Mille plaintes se sont élevées contre ce despotisme, qui, dans le fait, a entraîné plus d'une injustice après lui »96. Ainsi, le rejet d’une requête ayant rencontré une opposition unanime de la part des membres du bureau, juste après la saisie du Conseil des parties, n’était, comme Xavier Godin et J-L Halpérin s’accordent à le dire après lui, qu’un usage établi de façon tout à fait pragmatique97. Lors du débat du 18 novembre 1790, Le Chapelier reconnait lui-même qu’il ne s’agissait que d’un usage98. Et il est bien vrai qu’aucune loi et surtout pas le règlement de 1738 ne prévoyait la prérogative d’un tel rejet dans cette fonction

95 HALPERIN (J-L), Le Tribunal de cassation et les pouvoirs sous la révolution (1790-1799), TIMBAL (P-C)

(dir.), thèse de doctorat, droit, université de Paris II, Paris, 1987, p 73.

96 Discours de Prugnon du 9 nov 1790, Arch. Parl., XX, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495350/f27.image,

p.232.

97 GODIN (X), « La procédure de cassation au XVIIIe siècle », Histoire, économie & société, 2010/3, p 30. 98 Arch. Parl., XX, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495350/f27.image, p. 518.

de filtrage, qui se limitait alors à un simple examen préalable et à un compte rendu au Conseil qui rendait ensuite son arrêt : « aucune requête en cassation ne pourra être portée au Conseil

sans avoir été préalablement communiquée aux seuls commissaires, nommés en général pour l’examen des demandes de cassation »99. Toutefois l’avis favorable d’un seul membre suffisait à provoquer l’examen du recours par le Conseil, ce qui allégeait la sévérité de cet usage100. Le comité propose ici un véritable changement : il prévoit de faire prononcer à la Section des requêtes de véritables jugements d’admission ou de rejet à la majorité des trois quarts de ses membres. Prugnon alerte alors l’assemblée sur la consécration de ce qui n’était encore qu’un usage établi en pratique sous l’Ancien-Régime de filtrage des requêtes. Mais ce dernier alerte surtout sur la consécration de ce qui n’était, en réalité, que l’usurpation du droit de rejeter les requêtes du Conseil du roi.

Un filtrage sans rejet opérant en pratique ? - Prugnon propose tout de même un

bureau pour l’examen préalable des requêtes : « Voici, dans mon opinion, l'article qui devrait

être admis : « Il sera formé un bureau dans le sein de la Cour de cassation, à l'effet seulement d'examiner les requêtes, sans qu'en aucun cas ce bureau puisse statuer sur l'admission ou la rejection des requêtes, qui toutes seront rapportées à la Cour de cassation »101. Ainsi tous les membres exprimeraient leur avis devant le Tribunal entier, ce qui était en réalité revenir aux principes primitifs du Bureau des cassations selon Jean-Louis Halpérin102.

Toutefois, on peut s’interroger sur la pertinence d’un tel filtrage. Surtout, cet examen préalable est-il réellement qualifiable de filtrage ? Il permettait, certes, de donner un avis sur la pertinence de l’affaire au Conseil ; ce qui pouvait constituer un léger gain de temps grâce au rapport. Mais étant dépourvu d’action finale, il parait douteux que ce filtrage, privé du droit de rejeter les requêtes, ait eu en réalité la moindre incidence sur la gestion du contentieux. Il faut encore rappeler ici que le Bureau des cassations avait été mis en place en raison de l’augmentation du contentieux depuis la complexification du droit. Cela laisse ainsi penser que le bureau, doté d’une fonction finalement artificielle par les textes, s’est arrogé en pratique le droit de rejeter afin d’opérer un filtrage utile et rendu nécessaire par l’afflux des requêtes. Son opinion est soutenue par Prieur, Thévenot et de Foleville. Ce dernier souhaite combiner célérité

99 Règlement 1738, 1re partie titre IV article 21.

100 HALPERIN (J-L), Le Tribunal de cassation et les pouvoirs sous la révolution (1790-1799), TIMBAL (P-C)

(dir.), thèse de doctorat, droit, université de Paris II, Paris, 1987, p 74.

101 Arch. Parl., XX, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495350/f27.image, p. 517.

102 HALPERIN (J-L), Le tribunal de cassation et les pouvoirs sous la révolution (1790-1799), TIMBAL (P-C)

et sûreté. Il pense que la protection des « propriétaires injustement dépouillés »103 contre l’injustice rend acceptable l’afflux de requêtes « absurdes, ridicules »104 devant la future institution de cassation, que l’organe en charge du filtrage ne pourra pas rejeter.

En réalité, la réflexion et la vision du filtrage de Prugnon est sans doute influencée par les abus de l’Ancien Régime, notamment le manque d’impartialité du bureau des cassation et du Conseil des parties, qu’il qualifie lui-même « d’institution vicieuse et abusive »105. En effet, confirmant les propos de David Feutry, il n’hésite pas à évoquer la complicité initiale du bureau avec les parlements et l’impact sur la cassation à cette époque : « Le principe dominant de ce

bureau, toujours secrète ment uni avec les parlements, était de débouter de : toutes les demandes, et la cassation cessait d'être un frein pour les cours, et la loi était sans tribunal »106. Selon lui, le Bureau des cassations méritait bien son nom de « bureau du chiffonnage », « (…)

qualification qui exprimait parfaitement le degré d'estime qu'elle avait obtenu »107.