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Chapitre II. Une Chambre des requêtes empruntée au Conseil des parties

Section 1. La création laborieuse d’une Section des requêtes

B) Un filtrage nécessaire des pourvois

L’inutilité d’un filtrage sans rejet face à l’afflux du contentieux. - Au cours des

débats, Le Chapelier défend son projet de filtrage en invoquant la nécessité d’éviter un afflux de requêtes impertinentes108 dont de Foleville, pourtant hostile au projet du comité, avait lui- même reconnu l’inévitabilité de leur survenance. Afin de contrer plus efficacement la proposition de Prugnon, Le Chapelier met en évidence la perte de temps d’un tel examen préalable des requêtes sans possibilité de rejet ou d’admission : « on augmenterait le travail du

Tribunal et on lui causerait une perte de temps considérable. A-t-on besoin d'un bureau de six personnes pour faire le rapport d'une requête quand un seul rapporteur suffirait ? C'est priver le Tribunal de cinq juges qui examineraient l'affaire individuellement »109. Pour lui la formation d’un bureau d’examen préalable se limitant au rapport des requêtes soumises au Tribunal de cassation est tout simplement inutile face aux « requêtes en cassation, venant de cinq cent

quarante-sept districts (qui) seront très nombreuses »110. Et il donne un argument pratique à

103 Arch. Parl., XX, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495350/f27.image, p. 518. 104 Ibid., p. 518.

105 Ibid., p. 517.

106 Discours de Prugnon du 9 nov 1790, Arch. Parl., XX, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495350/f27.image,

p.232.

107 Arch. Parl., XX, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495350/f27.image, p. 517.

108 HALPERIN (J-L), Le Tribunal de cassation et les pouvoirs sous la révolution (1790-1799), TIMBAL (P-C)

(dir.), thèse de doctorat, droit, université de Paris II, Paris, 1987, p 74.

109 Arch. Parl., XX, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495350/f27.image, p. 517-518. 110 Ibid., p. 517-518.

cette nécessité de filtrage par la Section des requêtes. En effet, à sa création, le Tribunal de cassation n’était composé que d’une seule chambre. Ainsi, il est évident pour Le Chapelier que cette chambre, à elle seule, ne pourrait jamais se charger à la fois du filtrage, qui sera, comme Duport, De Foleville s’accordent à le dire avec lui, inévitable, et du jugement des requêtes admises111. L’évolution contemporaine de la Cour de cassation lui donne raison puisque le nombre de chambres n’a cessé d’augmenter afin de s’adapter à l’afflux du contentieux et ce, malgré l’existence d’un filtrage jusqu’en 1947.

Conscient de la masse du contentieux qui viendra « de tous les coins du royaume (et il

en viendra d'absurdes, de ridicules) »112 que le Tribunal de cassation aura à gérer, Duport

reconnait que l’établissement d’un Bureau des requêtes exerçant un véritable filtrage est indispensable. Pour ce faire, il propose de consacrer les habitudes du Conseil des parties en maintenant au sein de la Section des requêtes l’usage de l’obligation d’unanimité pour le rejet des requêtes, tandis qu’une seule voix suffirait pour porter l’affaire devant le tribunal : « il y

aura un bureau formé de membres du Tribunal de cassation, dont l'objet sera d'examiner les demandes en cassation ou autres. Si les suffrages sont unanimes pour ne pas admettre la requête, elle sera rejetée ; dans le cas contraire, la requête sera portée au Tribunal qui décidera l'admission ou la rejection »113. Ce filtrage est pour lui, comme pour Le Chapelier, un moyen de gagner du temps114.

Le dépassement du souvenir des abus de l’organe de filtrage sous l’Ancien-Régime.

Au fil des débats, Le Chapelier perçoit que les réticences de Prugnon, Prieur, Thévenot et de Foleville ont pour origine le souvenir amer du fonctionnement obscur du Bureau des cassations sous l’Ancien Régime. Si Prugnon avait bien relevé le lien politique qui avait uni un temps le bureau aux parlements, Le Chapelier évoque ce fonctionnement occulte par lequel « Cinq ou

six membres décidaient en chartre privée de l'admission des requêtes »115. L’usage établi de rejeter les requêtes, bien qu’il ne soit pas visé directement, doit également être pensé comme sous-entendu ici par Le Chapelier car le bureau n’a pu s’octroyer un tel droit qu’en raison du lien fort entre le Conseil des parties ; qui formait l’une des cinq sections du Conseil du roi et dont le bureau était un organe et le roi lui-même.

111 Arch. Parl., XX, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k495350/f27.image, p. 517-518. 112 Ibid., p. 518.

113 Ibid., p. 518.

114 HALPERIN (J-L), Le Tribunal de cassation et les pouvoirs sous la révolution (1790-1799), TIMBAL (P-C)

(dir.), thèse de doctorat, droit, université de Paris II, Paris, 1987, p 74.

Enfin, Le Chapelier ajoute qu’en plus d’alléger le travail du Tribunal, le filtrage proposé n’engendrerait aucun désavantage pour les parties. En effet, en réponse à de Foleville qui s’inquiète du sort des « propriétaires injustement dépouillés » en présence d’un filtrage, Le Chapelier rétablit l’équilibre en ajoutant dans la balance le poids d’un procès inutile pour un citoyen « arraché à ses foyers pour suivre un procès qu'il a déjà gagné »116.

§ 2. Le risque de captation de l’autorité du Tribunal de cassation

Annonce. - En plus de la critique du modèle du Bureau des cassations sur lequel se

fonde le projet du comité, Prugnon déclare également craindre une aggravation des critiques faites au Bureau des cassations par le projet du comité mais surtout une captation de l’autorité entière du Tribunal de cassation par un bureau de six membres. En effet, le projet ne se limite pas seulement à consacrer l’usurpation du droit de rejeter les requêtes, il prévoit également l’octroi du droit d’admettre les requêtes par la section des requêtes ; limite que le Bureau des cassations, lui, n’avait pourtant pas franchi malgré son fonctionnement occulte. Prugnon craint l’aggravation du despotisme judiciaire amorcé par le bureau de l’Ancien Régime (A). Enfin, il met en avant l’absurdité et le danger de l’obligation de réunion des trois quarts des voix pour filtrer les requêtes (B).