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dans l’usage théorique et pratique de la raison pure

Validité et réalité de l’idée de Dieu

dans l’usage théorique et pratique de la raison pure

S

OPHIE

G

RAPOTTE

Au point de départ de cette réflexion sur la signification de l’idée théo-logique dans l’usage théorique et pratique de la raison pure, il y a l’affirmation centrale, mais aussi, au premier abord, problématique, de la « Préface » à la seconde édition de la Critique de la raison pure : « Ich mußte also das Wissen aufheben, um zum Glauben Platz zu bekommen»1. Ce qui, à mon sens, fait essentiellement problème dans cette affirmation, c’est le verbe « aufheben » particulièrement difficile à traduire en français : « supprimer » selon Barni2, Marty et Delamarre3, « abolir » selon Tre-mesaygues et Pacaud4, ou encore « mettre de côté » selon Renaut5.

Afin de saisir la signification du verbe « aufheben », par suite, le sens et la portée de l’affirmation de la « Préface » à la seconde édition de la Critique de la raison pure, il me semble indispensable de la resituer dans son contexte.

En premier lieu, cette affirmation est liée, à mon sens, à l’interrogation que Kant formule, au tout début de cette même « Préface », sur la capacité des connaissances de la raison à emprunter, ou non, le chemin sûr d’une science6. Ce problème se pose tout particulièrement pour la métaphysique, conçue alors comme connaissance spéculative de la raison, qui s’élève en-tièrement au-dessus de l’enseignement de l’expérience, et ce, au moyen de simples concepts, plaçant la raison dans un continuel embarras. Comment faire confiance à la raison « si, dans un des objets les plus importants de notre désir de savoir [Wissbegierde] […], elle nous amuse par des mirages, et à la fin nous trompe ! » ?7

La réponse à cette question, c’est la critique de la raison pure elle-même qui nous l’apporte. Précisément, il résulte du changement dans la manière de penser que met en œuvre la Critique de la raison pure que l’on ne doit jamais se risquer avec la raison spéculative au-delà des limites de 








1 KANT, Emmanuel : Critique de la raison pure (citée désormais CRP), B XXX, AK III, 19 note.

2 CRP. Germer-Baillière. Paris 1869, p. 34.

3 CRP. Traduction fr. dans: Œuvres Philosophiques (citées OP). Gallimard. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, Paris, p. 748.

4 CRP. Presses Universitaires de France. « Quadrige ». Paris 1993 (4e éd.), p. 24.

5 CRP. Aubier. Paris 1997, p. 84.

6 Cf. KANT, Emmanuel : CRP, B VII, AK III, 7.

l’expérience – c’est l’utilité négative de la critique, utilité qui devient positive, dès lors que l’on aperçoit que les principes avec lesquels la raison spéculative se risque hors des limites de l’expérience entraînent – inévitablement – le rétrécissement (Verengung) de l’usage de notre raison, dans la mesure où ils menacent d’étendre les limites de notre sensibilité et de supplanter (verdrängen) l’usage pratique de cette même raison.8

C’est dans ce contexte que prend tout son sens l’affirmation de la nécessité de “supprimer”, de “mettre de côté” le savoir pour faire place à la foi. Dans ce contexte, en effet, cette affirmation exprime la nécessité de restreindre (einschräncken) la raison spéculative, restriction qui seule

permet de supprimer (aufheben) un obstacle qui menace d’anéantir

(vernichten) l’usage pratique de cette même raison ; restriction qui permet, dans cette mesure, l’extension de la raison, en son usage pratique, au-delà des limites de la sensibilité et de l’expérience.9 Pour le dire autrement : ce n’est que pour autant que l’on démet (benehmen) la raison spéculative de sa prétention à connaître des objets situés au-delà du champ de l’expérience possible que l’on peut admettre (annehmen) Dieu, la liberté et l’immortalité au service de l’usage pratique nécessaire de la raison10. Ce n’est qu’après avoir refusé (absprechen) à la raison spéculative tout progrès dans le champ du suprasensible que l’on peut chercher si la connaissance pratique de cette même raison ne contient pas des données permettant de déterminer le concept rationnel de l’inconditionné et de parvenir, avec notre connaissance a priori, au-delà des limites de toute expérience possible, mais seulement dans une visée pratique. Et Kant reconnaît que la raison spéculative permet assurément d’aménager une place pour un tel élargissement, place qu’elle a certes dû laisser vide – c’est la conséquence de la “suppression” du savoir –, mais que nous pouvons remplir avec des données pratiques.11

C’est donc ce passage du savoir à la foi, certains diront cette “sur-somption” du savoir par la foi, que je me propose d’illustrer dans cette contribution, à partir de l’exemple privilégié du « concept rationnel de Dieu »12, le concept de la raison pure « qui termine et couronne toute la connaissance humaine »13. Précisément, dans un premier temps, je m’attacherai à mettre en lumière la signification qui revient aux idées de la raison pure en général et à l’idée théologique en particulier dans la « Dia-lectique transcendantale », lorsque Kant démet la raison pure spéculative de 








8 KANT, Emmanuel : CRP, B XXIV–XXV, AK III, 16.

9 Cf. ibid.

10 CRP, B XXX, AK III, 18.

11 Cf. CRP, B XXI–XXII, AK III, 14.

12 CRP, A 685/B 713, AK III, 451.

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 ses prétentions au savoir. Dans un second temps, j’expliciterai en quoi l’existence de Dieu est, dans l’usage de la raison pratique, objet de foi et comment la foi vient remplir la place laissée vide par l’Aufhebung des Wissens.

I

L’usage empirique auquel la Critique restreint l’entendement ne remplit pas la destination propre de la raison. L’expérience ne satisfait jamais en-tièrement la raison et repousse toujours plus loin la réponse à ses questions, la laissant « désappointée »14. Chaque expérience particulière n’est qu’une partie de la sphère totale du domaine de la raison et, bien que la totalité absolue de toute expérience ne soit pas elle-même une expérience, cette totalité constitue pour la raison un problème nécessaire, dont la représentation requiert des concepts différents de ceux de l’entendement pur.15 La raison contient en soi le fondement pour de tels concepts, que Kant appelle « idées », par où il entend des concepts nécessaires dont l’objet ne peut être donné dans aucune expérience.16 Ces concepts portent, en effet, sur l’intégralité, c’est-à-dire sur l’unité collective de l’expérience entière, partant, ils dépassent le champ de toute expérience possible et deviennent trans-cendants. Dans la perspective kantienne, sont transcendants des principes qui non seulement repoussent les limites de l’expérience, mais qui, de surcroît, nous enjoignent de franchir ces limites, arrogeant à la raison un domaine entièrement nouveau où elle ne reconnaît plus nulle part aucune démarcation.17

Or, l’erreur qui se glisse dans les connaissances transcendantes de la raison est d’autant plus difficile à déceler que la raison, au moyen de ses idées, est naturellement dialectique et comporte une apparence que Kant qualifie d’inévitable (unvermeidlich)18 et de transcendantale. Kant appelle « transcendantale » l’apparence qui influe sur des principes dont l’usage ne s’applique jamais dans l’expérience, apparence qui nous entraîne, partant, hors de l’usage empirique des catégories et nous abuse par l’illusion d’une extension de l’entendement pur. Qui plus est, l’apparence transcendantale a la spécificité de ne jamais cesser, y compris une fois qu’on l’a mise au jour et qu’on en a reconnu la vanité, et ce, parce qu’il y a, dans notre raison, des 








14 Ibid. Prolégomènes, § 57, AK IV, 351 : « unbefriedigt ».

15 Cf. Prolégomènes, § 40, AK IV, 328.

16 Cf. ibid.

17 Cf. CRP, A 296/B 352, AK III, 236.

18 Cf. notamment CRP, A 642 B 670, AK III, 427 ; Prolégomènes, § 40, AK IV, 328, § 42, AK IV, 329.

règles de son usage qui ont l’apparence de principes objectifs et qui font que la nécessité subjective de ces règles passe pour une nécessité objective de la détermination des choses en soi.19 Cela étant dit, si cette apparence ne pourra jamais se dissiper et cesser d’être apparence, on peut cependant éviter qu’elle pervertisse.20

Kant est catégorique : seul un examen subjectif de la raison elle-même, en tant que source des idées, peut contenir l’apparence inévitable que comportent les idées dans des bornes.21Il est indispensable de dériver les concepts purs de la raison de leur source pour déterminer leur usage avec sûreté, autrement dit, de soumettre les idées à ce que Robert Theis appelle à juste titre, dans « Système et science » et dans « Le sens de la métaphysique dans la Critique de la raison pure », une déduction métaphysique.22 Pré-cisément, en quoi consiste la déduction métaphysique des idées ? De même que l’origine des catégories a été trouvée dans les quatre fonctions logiques de tous les jugements, il faut chercher l’origine des idées dans les trois fonctions du raisonnement. La différence formelle des raisonnements impose leur division en catégoriques, hypothétiques et disjonctifs. Les concepts de la raison, qui y trouvent leur fondement, contiennent, par suite, d’abord l’idée du sujet complet (substantiel) – c’est l’idée psychologique –, ensuite, l’idée de la série complète des conditions – c’est l’idée cosmologique –, enfin, la détermination de tous les concepts dans l’idée d’un ensemble complet du possible – c’est l’idée théologique –.23

Il est nécessaire de procéder à la déduction métaphysique des idées pour mettre au jour l’apparence dialectique naturelle et inévitable qu’elles comportent.24 Cela étant dit, cette déduction métaphysique ne suffit pas, à 








19 Cf. KANT, Emmanuel : CRP, AK III, 235–236.

20 Cf. CRP, A 297/B 354, AK III, 236. Cf. Prolégomènes, § 40, AK IV, 328.

21 Cf. Prolégomènes, § 42, AK IV, 329. Cf. Prolégomènes, § 40, AK IV, 328, où Kant soutient qu’une connaissance de la raison pure par elle-même dans son usage transcendant est « l’unique barrière » (Verwahrungsmittel ) contre les égarements dans lesquels tombe la raison quand elle se méprend sur sa destination et rapporte, de façon transcendante, à l’objet en soi ce qui concerne uniquement son propre sujet.

22THEIS, Robert : « Science et système », dans Kant et la science, Mai Lequan et Margit Ruffing (dir.). Vrin. Paris 2011 ; « Le sens de la métaphysique dans la Critique de la raison pure », dans Approches de la Critique de la raison pure. Olms Verlag. Hildesheim 1991, p. 152.

23 Cf. KANT, Emmanuel : Prolégomènes, § 43, AK IV, 330. Cette déduction nous assure, selon Kant, « que toutes les prétentions de la raison pure sont […] représentées tout à fait au complet, et qu’aucune ne peut faire défaut, puisque la faculté rationnelle elle-même, en tant que lieu d’où elles tirent toute leur origine, est ainsi mesurée dans sa totalité. » (Ibid. AK IV, 330–331 ; OP II, 109).

24 Selon l’aveu même de Kant dans les Prolégomènes (§ 55, AK IV, 348), cette mise en lumière est particulièrement facile dans le cas de l’idée théologique. Il renvoie d’ailleurs le lecteur à l’exposé de la Critique de la raison pure, qu’il qualifie alors de « compréhensible » (faßlich), lumineux (einleuchtend ) et décisif (entscheidend ). Dans le cas de l’idée théologique,

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 elle seule, à empêcher que cette apparence ne nous trompe. La déduction métaphysique des idées doit également être accompagnée de leur déduction transcendantale. Sans la déduction transcendantale des idées de la raison pure, on en resterait, en effet, au niveau de la « partie destructrice » de la « Dialectique transcendantale », pour reprendre l’expression que Robert Theis utilise dans son article « Le sens de la métaphysique dans la Critique de la raison pure ».25 Comme le souligne Robert Theis :

L’histoire de l’interprétation de la Critique, de M. Mendelssohn jusqu’à P. Strawson, montre que la Dialectique transcendantale est essentiellement comprise du point de vue de ses conclusions négatives. [Seulement,] la partie destructrice […] n’a de sens que si, au préalable, la contrepartie constructrice en a été élaborée26.

Cette élaboration de la « contrepartie constructrice » implique, à mon sens, de déterminer les conditions sous lesquelles les idées de la raison pure en général et l’idée théologique en particulier sont susceptibles de validité objective et de réalité, autrement dit : sont susceptibles d’une déduction transcendantale.27

Tout d’abord, déterminer les conditions sous lesquelles les idées ont de la validité objective requiert de définir leur “bon” usage. Le “bon” usage des idées est, premièrement, l’usage conforme à leur « destination bonne et fi-nale (zweckmäßige) dans la constitution naturelle de notre raison »28, c’est-à-dire l’usage dans lequel elles servent la fin de la raison : l’enchaînement systématique que la raison peut donner à l’usage empirique de l’entendement. Le “bon” usage des idées est, par suite, l’usage dans lequel elles sont appliquées à l’entendement en général eu égard aux objets auxquels il a affaire, en un mot, l’usage des idées que Kant définit comme immanent.29 De même que l’entendement, au moyen des catégories, unifie le divers dans l’objet, la raison, au moyen de ses idées, unifie le divers des concepts 








la raison « opère une rupture totale et descend, par simples concepts, de ce qui exprimerait la complétude absolue d’une chose en général, au moyen donc de l’idée d’un être originaire suprêmement parfait, jusqu’à la détermination de la possibilité, et par suite aussi de la réalité de toutes les autres choses […] » (OP II, 131). On se rapportera à la section consacrée à l’idéal transcendantal dans la Critique de la raison pure, où Kant explicite la genèse du concept d’être suprêmement réel (CRP, AK III, 385–392).

25 THEIS, Robert : « Le sens de la métaphysique dans la Critique de la raison pure », op.cit. p. 152.

26 Ibid. « contrepartie constructrice » est souligné par nous.

27 Cette déduction doit être transcendantale dans la mesure où il s’agit de déduire la validité objective des idées et doit, par suite, être distinguée de leur déduction subjective, qui consiste à les dériver de la nature de notre raison.

28 KANT, Emmanuel : CRP, A 669/B 697, AK III, 442.

29 Kant oppose l’usage immanent de l’idée à son usage transcendant quand elle est appliquée à un objet censé lui correspondre. Ce n’est pas l’idée en elle-même qui est transcendante ou immanente, mais l’usage que l’on en fait.

d’entendement en vue de l’enchaînement de ses connaissances en un seul principe. Le “bon” usage des idées est ainsi l’usage dans lequel elles valent comme règles pour diriger l’entendement vers la plus grande unité possible, ce que Kant appelle leur usage régulateur (en opposition à l’usage constitutif dans lequel les idées participeraient à la constitution de l’objet). Ainsi, l’idée théologique signifie seulement que

la raison ordonne de considérer tout enchaînement dans le monde d’après les principes d’une unité systématique […]. Il est clair par là que la raison ne peut avoir ici pour but que sa propre règle formelle dans l’extension de son usage empirique, mais jamais une extension au-delà de toutes les limites de l’usage empirique, et que par conséquent sous cette idée ne se cache aucun principe constitutif de son usage30.

Dans ce bon usage, usage immanent et régulateur, les idées sont susceptibles d’une certaine validité objective, que Kant qualifie d’indéterminée31, par opposition à la validité absolument objective32 qu’ont les catégories et qu’auraient les idées s’il était légitime d’en faire un usage constitutif. Or, si les idées sont susceptibles d’une certaine validité objective, une déduction « transcendantale »33, aussi problématique que cela puisse paraître au premier abord, doit en être possible.

De façon générale, la déduction transcendantale des idées de la raison pure et, plus spécifiquement, celle de l’idée théologique repose sur la distinction nécessaire entre deux façons de donner un objet à la raison : l’objet est soit donné absolument34 ou comme objet dans la réalité35 – ce qui implique que mes concepts visent à la détermination de l’objet –, soit comme objet dans l’idée36, auquel cas l’idée fournit seulement un schème auquel aucun objet n’est donné (ni directement ni même hypothétiquement), schème qui sert simplement à représenter d’autres objets dans leur unité systématique via la relation à cette idée, donc indirectement.

Cette distinction va de pair avec une seconde distinction, dont Kant souligne l’importance pour la philosophie transcendantale, entre deux modalités de la supposition : suppositio relativa et suppositio absoluta. Que je sois autorisé à admettre quelque chose relativement n’implique pas que je sois autorisé à l’admettre absolument. En effet, lorsque je suppose un objet relativement, je le pose simplement comme fondement dans l’idée et non en soi, afin d’exprimer l’unité systématique qui doit servir de principe directeur 








30 KANT, Emmanuel : CRP, A 686/B 714, AK III, 452 ; OP I, 1278–1279.

31 « unbestimmte », CRP, A 663/B 691, AK III, 439 ; A 669/B 697, AK III, 442.

32 « schlechthin objektive Gültigkeit », CRP, A 698/B 726, AK III, 458.

33 CRP, A 671/B 699, AK III, 443.

34 CRP, A 670/B 698, AK III, 442.

35 CRP, A 697/B 725, AK III, 457.

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 en vue du plus grand usage empirique possible de la raison, et nullement afin d’étendre ma connaissance des choses avec des concepts transcendants. Lorsque je suppose relativement un objet, mon idée est rapportée, non pas à un objet qui en est distinct, mais toujours uniquement au principe régulateur de l’unité systématique à laquelle tend la raison. Kant nous met en garde, en revanche, contre la supposition absolue de l’objet d’une idée. Une telle supposition absolue est tout simplement impossible dans la perspective théo-rique, dans la mesure où, comme l’a suffisamment établi l’ « Analytique transcendantale », les catégories n’ont d’application (Anwendung) qu’aux objets susceptibles d’être donnés dans une expérience possible : les phénomènes.

Précisément, il ressort de la déduction transcendantale de l’idée théo-logique que le concept d’un être suprêmement réel donne simplement l’idée de quelque chose qui constitue le fondement de l’unité suprême et nécessaire de toute réalité empirique et que nous pensons uniquement par analogie afin de satisfaire, autant que faire se peut, le but d’une parfaite unité systématique dans notre connaissance auquel aspire la raison. Lorsque je pense comme existant un être qui correspond à cette idée, je n’admets pas en soi (absolument) l’existence de cet être, car aucun des concepts dont je dispose ne le permet, mais j’admets relativement au monde sensible un tel être, parce que je suis contraint de réaliser l’idée de l’unité systématique intégrale, qui sert de fondement au plus grand usage empirique possible de ma raison, et, à cette fin, je suis contraint de poser pour cette idée un objet effectivement réel (wirklich), mais que je ne connais pas en soi et auquel j’attribue des propriétés analogues aux concepts de l’entendement en son usage empirique simplement comme fondement de cette unité systématique. Dans cette per-spective, l’être suprême a la valeur d’un schème qui permet à la raison de donner la plus grande extension possible à son usage empirique.

Or, dans ce “bon” usage, l’idée théologique est susceptible d’une certaine réalité. Que les idées de la raison pure ne soient pas susceptibles de réalité objective (c’est dire de cette réalité qu’ont les concepts qui valent comme fonctions de détermination d’objet), puisqu’un concept ne peut avoir de réalité objective (au point de vue théorique en tous les cas) que pour autant qu’il peut être présenté dans l’intuition correspondante – qui pour nous est toujours sensible –, ne signifie pas qu’elles n’ont de réalité que subjective. Dans leur usage immanent, régulateur – usage dans lequel elles ne sont pas des concepts ostensifs, mais heuristiques –, les idées ont, en effet, la réalité de ce que Kant appelle l’analogon d’un schème37. Ainsi, le concept d’un être suprêmement réel ne nous donne aucun objet effectivement réel, mais un 








schème auquel aucun objet n’est donné et qui sert seulement à nous re-présenter d’autres objets dans leur unité systématique moyennant la relation à cette idée. Pour être exact, les idées ne sont pas des schèmes, car l’application des catégories au schème de la raison n’est pas connaissance de l’objet lui-même comme l’est l’application des catégories à leurs schèmes sensibles, mais des analoga des schèmes de la sensibilité. L’idée n’est pas un schème puisqu’elle n’a pas, comme la catégorie, d’usage constitutif, mais