CHAPITRE 4 : COOPERATION HOMME-‐MACHINE POUR L’ORDONNANCEMENT 64
2 L A REPARTITION DE FONCTIONS ENTRE L ’ HOMME ET LA MACHINE 65
La conception de systèmes homme-‐machine coopératifs pour résoudre les problèmes d’ordonnancement doit considérer la problématique de la répartition des fonctions entre l’opérateur et la machine. Cette répartition peut être décomposée en fonctions élémentaires dont chacune est confiée à l’entité la plus efficiente (Fitts, 1951). Cet auteur a proposé de considérer les compétences de l’un et de l’autre en introduisant le double acronyme “MABA-‐MABA” (Men Are Better At… Machines Are Better At…).
Dans une perspective de concevoir des systèmes hybrides, Nakamura et Salvendy (1994) notaient qu’à partir du développement des modèles issus de la recherche opérationnelle et de l’intelligence artificielle, la machine était capable de proposer très rapidement un ensemble d’ordonnancements alternatifs à l’opérateur. Toutefois une des forces de ce dernier est d’être capable de réaliser des inférences (à partir de son expérience et de ses
Chapitre 4 : Coopération homme-‐machine pour l’ordonnancement
connaissances du contexte de l’atelier), ce qui permettrait de choisir la solution la plus adaptée parmi ces alternatives.
Sheridan (1992) a suggéré dix modes de décomposition des fonctions à répartir entre l’opérateur et la machine. Les choix de conception peuvent alors varier entre un mode entièrement manuel est une automatisation complète de la tâche :
(1) La machine n’offre pas d’assistance, l’opérateur doit réaliser seul la tâche (2) La machine propose l’ensemble des alternatives possibles
(3) La machine réduit l’ensemble des alternatives à quelques possibilités (4) La machine réduit l’ensemble des alternatives à une seule
(5) La machine exécute la suggestion si l’opérateur l’approuve
(6) La machine exécute la suggestion si l’opérateur n’exerce pas un droit de véto en un temps limité
(7) La machine exécute la suggestion et elle informe systématiquement l’opérateur (8) La machine exécute la suggestion et elle informe l’opérateur s’il le demande (9) La machine exécute la suggestion et elle informe l’opérateur s’il elle le décide (10) La machine décide de tout et agit de manière autonome, en ignorant l’opérateur Dans leurs travaux, Nakamura et Salvendy (1994) ont distingué trois modes d’interaction homme-‐machine dans l’ordonnancement :
− Les systèmes à base d’algorithmes ou à base de connaissances. La machine prend les décisions d’ordonnancement et l’ordonnanceur se conforme à la décision de la machine. Dans les termes de Sheridan (1992), il s’agit du mode 10.
− Les systèmes manuels. L’ordonnanceur prend les décisions d’ordonnancement et les met en œuvre. La machine obéit aux décisions humaines (mode 1).
− Les systèmes hybrides intelligents. Ce mode peut être réalisé selon trois approches. Premièrement, la machine réalise l’ordonnancement et propose plusieurs solutions acceptables (mode 3). L’ordonnanceur sélectionne l’une d’entre elles puis l’exécute. Deuxièmement, la machine suggère un ordonnancement puis l’exécute si l’ordonnanceur le valide (mode 5). Troisièmement, la machine décide d’un ordonnancement, l’exécute, et l’informe ensuite (mode 7).
Comme le précisent van Wezel, Cegarra et Hoc (2011), la question de la répartition de fonctions ne se résume pas uniquement à une décomposition puis une affectation de fonctions plus élémentaires. En effet, ces fonctions entretiennent souvent des relations entre elles, ce qui implique qu’elles ne doivent pas être considérées comme indépendantes entre elles. Il en résulte des implications en termes de coopération homme-‐machine (Hoc & Chauvin, 2011), dont le cadre théorique a été développé à partir de l’étude de situations dynamique (par ex., dans le contrôle aérien). Dans ces situations sous contrôle partiel de l’opérateur, celui-‐ci doit prendre des décisions en cherchant à atteindre un compromis entre performance satisfaisante et coût cognitif acceptable (Hoc & Amalberti, 2007).
Dans la littérature sur l’ordonnancement, d’autres travaux ont mis le focus sur la décomposition de la tâche de l’ordonnanceur en sous-‐tâches (Higgins, 2001 ; McKay & Wiers, 2003 ; Mietus, 1994 ; van Wezel et al., 1996 ; Wiers, 1997b). De l’ensemble de ces travaux, les auteurs ont pu lister les sous-‐tâches possibles auxquelles les ordonnanceurs sont confrontés. Une liste, non exhaustive de ces tâches est par exemple : affecter, sélectionner, classer, compter les tâches, superviser l’activité, anticiper des résultats, administrer la production, évaluer des actions, interpréter des données, communiquer des ordonnancements, réagir à des événements, etc. (Akkerman & van Donk, 2009). A partir de l’ensemble des tâches de l’ordonnanceurs, van Wezel et al. (1996) ont cherché à distinguer celles généralisables à toutes les situations, d’autres spécifiques à un domaine. Ils ont ainsi proposé un cadre théorique pour faciliter le développement de systèmes d’aide à la décision, avec l’idée que certaines sous-‐tâches pouvaient être automatisées.
Dans cette thèse, nous avons réalisé un travail pluridisciplinaire dans lequel la recherche opérationnelle propose un système homme-‐machine pour résoudre les problèmes d’ordonnancement (chapitre 8). Ce système s’appuie sur une méthode développée par la recherche opérationnelle : l’ordonnancement de groupes. La répartition des fonctions proposée est que la machine réalise des regroupements d’opérations (ordonnancement de groupes) et que l’humain ordonnance ensuite à l’intérieur de chaque groupe (ordonnancement intra-‐groupes). Du point de vue de la recherche opérationnelle, l’ordonnancement de groupes est une des rares méthodes dites “prédictive/réactive” car elle cherche à combiner les forces (au sens de Fitts, 1951) de la machine et de l’opérateur :
− La force de la machine est notamment liée à sa rapidité de calcul. Cela permettrait de réduire rapidement la complexité du problème pour l’ordonnanceur en lui proposant des regroupements d’opérations calculés a priori (dimension prédictive), en fonction d’un algorithme mathématique.
− L’ordonnanceur est supposé disposer de compétences pour la négociation avec différents niveaux de l’organisation, mais surtout de connaissances sur l’état réel de l’atelier à un instant donné. Ces connaissances devraient alors lui permettre de faire les choix les plus judicieux pour l’ordonnancement des opérations au sein d’un groupe, par exemple en tenant compte des aléas présents dans l’atelier (dimension réactive).
Dans ce contexte de répartition des fonctions, la demande issue de la recherche opérationnelle a été que nous examinions le rôle d’un outil d’assistance sur les prises de décision liée à l’activité d’ordonnancement intra-‐groupes réalisée par l’opérateur. Lorsque ces prises de décision s’inscrivent dans le cadre d’une coopération avec la machine, et plus particulièrement d’un contrôle mutuel, il devient intéressant d’en observer également les implications sur l’activité d’ordonnancement.