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L E RAPPORT DES LABORATOIRES AUX ADMINISTRATIONS SUR LES MÉDICAMENTS

Dans le document Avis 13-A-24 du 19 décembre 2013 (Page 103-107)

SECTION III – ANALYSE CONCURRENTIELLE

B. LES LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES

1. L E RAPPORT DES LABORATOIRES AUX ADMINISTRATIONS SUR LES MÉDICAMENTS

465. Dans leurs parcours d’autorisations administratives, les laboratoires pharmaceutiques sont notamment en contact avec les autorités publiques spécialisées dans le médicament dont l’AEM, l’ANSM et le CEPS.

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466. L’Autorité de la concurrence a constaté à l’issue de son examen du cadre législatif et réglementaire actuel, relatif aux autorisations de mise sur le marché ou à la fixation du prix du médicament, qu’existent dans ces dispositifs un certain nombre de failles que des laboratoires pharmaceutiques, qu’ils soient princeps ou génériques, pourraient utiliser pour coordonner leurs comportements avant d’entrer en discussion avec ces autorités publiques. Identifier ces failles et ces comportements potentiels ne constitue en rien un procès d’intention à l’encontre des laboratoires pharmaceutiques, mais s’inscrit dans le cadre d’une réflexion de caractère théorique et préventive, destinée à attirer l’attention des autorités administratives en charge de ces questions, voire à prévenir d’éventuelles pratiques qui pourraient susciter une intervention de l’Autorité de la concurrence. Les développements qui suivent ont donc plutôt le caractère de lignes directrices, permettant aux entreprises de disposer d’une présentation a priori de certains comportements incompatibles avec le droit de la concurrence.

a) Les échanges avec le CEPS

467. Dans le cadre des négociations des prix avec le CEPS, les laboratoires pharmaceutiques peuvent légitimement faire valoir un ensemble d’arguments relatifs à leurs coûts, visant à obtenir une évaluation à la hausse des prix de leurs spécialités.

468. Ainsi, un laboratoire princeps pourra par exemple mettre en avant le caractère particulièrement innovant de son nouveau produit. En effet, l’octroi d’un niveau d’ASMR élevé lui permettra d’obtenir un prix plus conséquent. Le laboratoire princeps pourra en outre faire état des coûts particulièrement importants auxquels il est ou a été confronté pour le développement du produit concerné, qu’il s’agisse de coûts de recherche, de fabrication, etc.

469. Les laboratoires génériques peuvent également souhaiter faire état de coûts particulièrement élevés sur le développement de certaines spécialités. Ainsi, il ne peut être exclu que les prix résultant de l’application des décotes automatiques s’avèrent inférieurs aux coûts de fabrication et de commercialisation d’une spécialité du laboratoire générique. Ce dernier l’indiquera alors au CEPS, afin que le prix de la spécialité générique soit revu à la hausse.

470. Ces demandes de prise en compte des coûts des laboratoires pharmaceutiques, au moment de la négociation du prix du médicament, sont évaluées par le CEPS.

471. L’Autorité de la concurrence relève toutefois que le régime actuel de fixation administrative des prix ne permet pas de prévenir toute forme de coordination entre laboratoires sur ces demandes relatives aux coûts, préalablement à leur rencontre avec le CEPS. Or, il convient de préciser que certains échanges entre laboratoires, s’ils devaient avoir lieu, pourraient être assimilés à des concertations sur les prix.

472. Il s’agirait par exemple de concertations potentielles entre laboratoires princeps dont les médicaments appartiennent à une même classe thérapeutique, c’est-à-dire qui permettent de traiter des pathologies équivalentes. En effet, lorsque plusieurs médicaments appartiennent à une même classe thérapeutique, le CEPS compare l’évolution de l’ensemble des prix de cette classe et peut de ce fait les négocier plus régulièrement à la baisse. Toutefois, une concertation entre laboratoires concurrents au sein de la même classe thérapeutique préalable à cette rencontre avec le CEPS pourrait permettre aux laboratoires concernés de surévaluer leurs coûts et par conséquent d’obtenir des prix plus élevés. De tels comportements seraient alors susceptibles de constituer des infractions au droit de la concurrence.

473. De même, plusieurs laboratoires génériques entrant sur un même marché pourraient ne pas souhaiter commercialiser leurs produits au prix résultant de la décote automatique de 60 % et par conséquent se concerter, par exemple sur les informations concernant leurs niveaux de

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coûts. Ces coûts seraient alors fictivement revus à la hausse, en vue d’obtenir la fixation d’un prix plus élevé lors des négociations avec le CEPS. Un tel comportement leur permettrait en effet de s’assurer d’obtenir des revenus plus élevés que ceux habituellement escomptés. Il serait toutefois susceptible d’être appréhendé par l’Autorité de la concurrence.

474. Certains indices pourraient permettre au CEPS d’identifier de telles concertations potentielles.

Ainsi, des déclarations de coûts dont les montants seraient équivalents pourraient entre autres constituer un indice de concertation entre concurrents. La simultanéité éventuelle de ces déclarations pourrait également être prise en considération.

475. Dans l’hypothèse où le CEPS identifierait des anomalies ou des indices de concertation entre laboratoires, il pourrait en informer l’Autorité de la concurrence. En effet, la DGCCRF, laquelle est représentée au sein du CEPS, pourrait alors jouer son rôle d’alerte.

b) Les échanges avec l’ANSM et l’AEM

476. Les demandes d’AMM peuvent être adressées à l’AEM ou à l’ANSM, en fonction de la procédure envisagée et de la portée géographique de l’AMM demandée344

477. Ainsi, dans l’hypothèse où deux laboratoires pharmaceutiques développeraient individuellement une spécialité pouvant traiter plusieurs pathologies et qu’une pathologie

« commune » serait traitée par les deux spécialités, les deux laboratoires déposeraient alors une demande d’AMM couvrant notamment le traitement de cette pathologie « commune ».

. Un laboratoire pharmaceutique dispose à cet égard de la liberté de déposer ou non une demande d’AMM.

Cette liberté reste toutefois encadrée par le droit de la concurrence.

478. Les deux spécialités relèveraient alors d’une même classe thérapeutique et seraient en concurrence dans cette classe, ce qui pourrait par conséquent entraîner une négociation de leur prix à la baisse par le CEPS.

479. Toutefois, des laboratoires voulant éviter un tel effet sur les prix de leurs deux spécialités pourraient se concerter afin d’éviter que celles-ci soient enregistrées comme faisant partie d’une même classe thérapeutique. Dans une telle hypothèse, les laboratoires déposeraient alors pour chacune de leurs deux spécialités des demandes d’AMM portant sur des pathologies entièrement distinctes.

480. Une telle pratique, si elle devait avoir lieu, pourrait éventuellement s’analyser comme une répartition de marché entre ces deux laboratoires, laquelle serait alors constitutive d’une infraction par objet à l’article 101 du TFUE et à l’article L. 420-1 du code de commerce. De tels comportements seraient donc susceptibles de relever de la compétence de l’Autorité de la concurrence.

c) La durée des procédures administratives

481. Les procédures administratives, que ce soit d’octroi d’AMM ou de fixation de prix, peuvent parfois connaître des délais de traitement particulièrement longs et dépassant ceux fixés par la règlementation sectorielle.

344 Sur les procédures d’AMM, voir Section I.

106 Les retards observés devant le CEPS

482. Certains acteurs rencontrés par les services de l’Autorité de la concurrence ont fait état de lenteurs dans la négociation des prix avec le CEPS.

483. L’Autorité de la concurrence observe simplement que de longues négociations sont parfois nécessaires afin de permettre au CEPS d’obtenir des prix substantiellement inférieurs à ceux initialement offerts par les laboratoires pharmaceutiques.

Les retards observés devant l’ANSM et L’AEM

484. S’agissant des procédures d’octroi d’AMM et d’inscription au répertoire des génériques, la majorité des laboratoires pharmaceutiques ayant participé à la présente procédure d’avis ont fait état de retards quant au traitement de leurs demandes d’AMM génériques et de dépassement des délais fixés par les textes européens et nationaux.

485. Ces retards semblent être principalement d’origine administrative. Toutefois, s’ils devaient être le fait d’acteurs privés, il ne pourrait être exclu que l’Autorité de la concurrence se saisisse de tels comportements.

486. Ainsi, lorsqu’une décision d’octroi d’AMM générique est par exemple adoptée par la Commission européenne à l’issue de l’une des procédures européennes décrites plus haut, et a fortiori lorsque cette décision n’a pas fait l’objet d’un recours devant les juridictions européennes, la bioéquivalence des génériques concernés devant l’ANSM ne peut être a priori remise en cause, même dans l’hypothèse où celle-ci devrait prendre acte de la décision européenne en vue de l’ouverture d’un groupe au répertoire des génériques.

487. En effet, dans une telle hypothèse, les arguments présentés par le laboratoire devant l’autorité nationale de santé pourraient être de caractère trompeur et avoir pour objet de retarder la substituabilité du princeps par les génériques. Ils ne pourraient en tout état de cause être justifiés par des préoccupations d’ordre scientifique, étant donné que celles-ci auront déjà été tranchées dans une décision de la Commission européenne devant être suivie par l’ANSM345 488. Or, comme l’ont précisé le Tribunal et la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire

AstraZeneca, la communication délibérée d’informations erronées à un organisme public, en vue de retarder l’entrée de médicaments génériques sur le marché, est susceptible d’être considérée comme constitutive d’un abus de position dominante

.

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d) Le nécessaire renforcement des échanges entre l’Autorité de la concurrence et les autorités de santé

.

489. Des échanges rapprochés entre l’Autorité de la concurrence et les administrations actives dans le secteur de la santé devraient permettre un meilleur suivi du marché et des comportements, notamment à caractère anticoncurrentiel, pouvant y être observés.

490. Aujourd’hui, l’assurance maladie, au travers de la CNAMTS, peut transmettre tout indice ou information à l’Autorité de la concurrence lorsqu’elle soupçonne la tenue de comportements anticoncurrentiels par certains acteurs. S’agissant par ailleurs du CEPS, la représentation de la DGCCRF au sein même du Comité permet également d’assurer une information de l’Autorité

345 Ceci résulte en effet des conclusions de la Cour dans l’affaire AstraZeneca. Affaire AstraZeneca. Affaire T-321/05, AstraZeneca c/ Commission, jugement du 1er juillet 2010 et Affaire C-457/10, AstraZeneca AB et AstraZeneca c/ Commission, arrêt du 6 décembre 2012.

346 Ibid.

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de la concurrence lorsque des indices de comportements anticoncurrentiels sont décelés dans le cadre des négociations de prix.

491. Une institutionnalisation du rapport entre l’Autorité de la concurrence et certaines autorités de santé, en particulier avec l’ANSM, permettrait de renforcer le lien entre administrations et serait de nature à permettre une information et un suivi plus réguliers et mieux ciblés.

492. Des échanges rapprochés entre administrations existent déjà à l’étranger, comme en France. À titre illustratif, aux États-Unis, la « Food and Drug Administration » (ci-après « FDA »), l’administration en charge du médicament exerçant des compétences comparables à celles de l’ANSM, et la FTC ont ainsi systématisé leurs échanges d’informations dans le cadre d’un

« Memorandum of understandings »347

493. En France, l’Autorité de la concurrence observe que l’ANSM et la CNAMTS ont récemment formalisé dans le cadre d’une convention, l’échange d’informations utiles à l’exercice de leurs fonctions respectives.

.

494. L’Autorité de la concurrence est par conséquent favorable à la conclusion de telles conventions avec d’autres administrations actives dans le domaine de la santé, et en particulier avec l’ANSM. Une relation privilégiée entre les deux institutions serait en effet de nature à renforcer le rôle de protection de la concurrence exercé par l’Autorité, ainsi que sa connaissance et sa compréhensions du secteur, tout en offrant à l’ANSM les outils lui permettant d’identifier les comportements susceptibles d’enfreindre les règles de concurrence.

Dans le document Avis 13-A-24 du 19 décembre 2013 (Page 103-107)