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L ES LITIGES SUR LES BREVETS VISANT À RETARDER L ’ ENTRÉE DES GÉNÉRIQUES

Dans le document Avis 13-A-24 du 19 décembre 2013 (Page 122-125)

SECTION III – ANALYSE CONCURRENTIELLE

B. LES LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES

5. L ES LITIGES SUR LES BREVETS VISANT À RETARDER L ’ ENTRÉE DES GÉNÉRIQUES

588. L’Autorité de la concurrence n’a pas compétence pour connaître des actions en contrefaçon, ainsi que des contentieux liés exclusivement à la propriété intellectuelle et à la validité des brevets. De tels contentieux relèvent en effet de la compétence du juge. En outre, comme elle l’a souligné précédemment, l’Autorité de la concurrence considère qu’il est tout à fait légitime qu’un laboratoire pharmaceutique défende devant les juridictions les droits de propriété intellectuelle qu’il détient, quand ceux-ci sont menacés. Il s’agit en effet d’un instrument efficace de protection et de promotion de l’innovation.

589. Toutefois, dans l’hypothèse où des comportements qui seraient adoptés par des laboratoires princeps à l’expiration de leur brevet (ou de leur CCP) viseraient non pas à défendre de bonne foi des droits de propriété intellectuelle mais à empêcher l’entrée ou le maintien de médicaments génériques sur le marché, ceux-ci seraient susceptibles de tomber sous le coup du droit de la concurrence.

a) L’intervention des autorités de concurrence

590. Plusieurs affaires portant sur des infractions au droit de la concurrence à l’expiration de brevets dans le domaine pharmaceutique ont déjà été sanctionnées par des autorités de concurrence européenne ou américaine. L’Autorité de la concurrence française pourrait aussi connaître de ce type d’affaires, si des comportements similaires étaient observés en France.

Les développements qui suivent reviennent sur certaines stratégies pouvant être envisagées par les laboratoires pharmaceutiques.

591. Il s’agit par exemple d’affaires où le laboratoire princeps abuse de sa position dominante en obtenant illégitimement CCP sur son médicament princeps, à la suite de la communication de fausses informations à l’office des brevets. Dans l’hypothèse précitée, le laboratoire concerné (AstraZeneca) avait en outre retiré son AMM de certains marchés nationaux, sans qu’une telle décision ne trouve de justification objective. Ces deux pratiques avaient eu pour effet de retarder l’entrée des médicaments génériques sur le marché et ont dès lors été sanctionnés comme abus de position dominante par les autorités européennes409

592. Outre ces pratiques unilatérales, il convient également de rappeler les pratiques concertées de

« pay-for-delay ». Il s’agit d’ententes entre un laboratoire princeps et des laboratoires génériques visant à retarder l’entrée de médicaments génériques sur le marché moyennant un transfert de valeur du laboratoire princeps aux fabricants de génériques.

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409 Affaire T-321/05, AstraZeneca c/ Commission, jugement du 1er juillet 2010 et Affaire C-457/10, AstraZeneca AB et AstraZeneca c/ Commission, arrêt du 6 décembre 2012.

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593. Comme cela a déjà été rappelé aux paragraphes 438 à 440, plusieurs affaires de ce type ont déjà été sanctionnées aux États-Unis410. La Cour suprême des États-Unis a par ailleurs récemment mis fin aux débats relatifs à l’intervention possible du droit antitrust américain dans de telles affaires, en jugeant que de telles ententes peuvent avoir des effets négatifs importants sur la concurrence. Leur légalité doit par conséquent pouvoir faire l’objet d’une analyse au vu de la politique de concurrence411

594. S’agissant de la charge de la preuve dans ce type d’affaire, la Cour suprême américaine a établi une règle de raison (rule of reason), excluant par conséquent la possibilité d’appliquer une présomption d’illégalité à de telles ententes. Cette conclusion est notamment fondée sur le système juridique encadrant l’entrée de médicaments génériques sur le marché américain, lequel diffère sensiblement de celui applicable en Europe et, plus particulièrement, en France

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595. En Europe, comme indiqué précédemment, la Commission européenne a sanctionné en juin 2013 le laboratoire princeps Lundbeck à une amende de 93,8 millions d’euros et plusieurs producteurs de médicaments génériques à 52,2 millions d’euros pour avoir conclu un accord équivalent. Il s’agit de la première affaire de « pay-for-delay » poursuivie au niveau européen.

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596. Joaquín Almunia, vice-président de la Commission chargé de la concurrence, a déclaré à ce sujet: « Il est inacceptable qu'une entreprise paie ses concurrents pour qu'ils restent hors de son marché et retarde ainsi la commercialisation de médicaments moins chers. Les accords de ce type nuisent directement aux patients et aux systèmes de santé nationaux, qui sont déjà soumis à de fortes contraintes budgétaires. La Commission ne tolérera pas de telles pratiques anticoncurrentielles »413

597. La commission européenne a par ailleurs sanctionné les laboratoires Johnson & Johnson et Novartis le 10 décembre 2013 à des amendes respectives de 10 798 000 d’euros et 5 493 000 d’euros, pour avoir, sous le couvert d’un accord de promotion conjointe, retardé l’entré de génériques de patches de fentanyl sur le marché hollandais, contre rémunération

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598. Enfin, une autre affaire de ce type serait en cours d’instruction par la Commission européenne et une communication des griefs aurait été notifiée notamment au laboratoire Servier

. Il s’agit de la dernière affaire « pay-for-delay » sanctionné à ce jour par l’institution européenne.

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b) La situation sur le marché national

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599. Dans son rapport relatif à l’évaluation de la politique française des médicaments génériques, l’IGAS indiquait que « pour contrer la pénétration des médicaments génériques sur leur marché, les laboratoires de médicaments princeps déposent une multitude de brevets secondaires peu avant l’expiration des premiers : brevets sur la molécule, sur la forme, sur

410 Voir à ce sujet M.H. Knight, P.A. Proger, M. Sennett, «The US FTC releases a summary of its new report on pharma patent litigation finding an increase in « reverse payment » settlements based on expended definition of

« payments », e-Competitions, N° 50889.

411 570 U.S. FTC v. ACTAVIS, INC. (2013).

412 Ibid.

413 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-563_fr.htm?locale=FR.

414 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-1233_en.htm?locale=en.

415 Voir le communiqué de presse de la Commission européenne à ce sujet : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-835_fr.htm.

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les modes de traitements, … »416. L’IRDES et la Mutualité française ont également relevé l’existence de ce type de comportements, la seconde précisant par ailleurs que ces stratégies ont « un double objectif : étendre la durée de protection de leur produit et accroître l’incertitude juridique des génériqueurs »417

600. L’IGAS a en outre précisé que « les laboratoires de princeps utilisent aussi les actions en justice. Exiger le respect d’un brevet est légitime mais dans certains cas, les laboratoires de princeps peuvent envisager d’intenter une action en justice non pas tant pour ce qu’elle peut rapporter, mais plutôt pour le signal qu’elle lance aux fabricants de génériques pour les dissuader d’entrer sur le marché. Par ailleurs, ces actions qui aboutissent rarement peuvent être à l’origine de retards dans la mise sur le marché des médicaments génériques évalué en moyenne à 4 mois par la Commission Européenne »

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601. Ces comportements, s’ils devaient être constatés sur un groupe de génériques en particulier, seraient susceptibles d’être appréhendés par l’Autorité de la concurrence. En effet, un laboratoire princeps détenteur d’une position dominante sur un marché et adoptant un comportement visant à retarder ou à empêcher l’entrée de génériques sur ce marché, alors même que le brevet protégeant son princeps est tombé dans le domaine public, est susceptible d’être considéré comme un abus de cette position dominante.

. Plusieurs laboratoires génériques ayant participé à la consultation publique ont également dénoncé ces actions répétées introduites par les laboratoires princeps.

602. De telles pratiques ont déjà fait l’objet d’un examen par une autorité de concurrence. En effet, le laboratoire Bristol-Myers Squibb avait transigé avec la FTC en 2003, dans une affaire où celle-ci lui reprochait d’avoir communiqué de fausses informations au U.S. Patent and Trademark Office (le bureau américain des brevets et des marques), en vue de protéger illégitimement des brevets portant sur plusieurs de ses anxiolytiques, ainsi que pour avoir déposé des actions en contrefaçon infondées contre les concurrents génériques envisageant d’entrer sur le marché419

603. Il convient de rappeler en outre que les médicaments génériques ne constituent pas des freins à l’innovation. Leur entrée sur un marché se limite à mettre fin à l’exclusivité découlant de l’existence d’un brevet. Or, comme relevé par l’ANSM, cette mise en concurrence avec les laboratoires génériques incite les laboratoires princeps à maintenir une recherche innovante au cœur de leur activité en vue d’assurer un maintien de leurs revenus

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604. La baisse de prix engendrée par l’entrée de génériques sur un marché sera en effet compensée par la recherche innovante menée par le laboratoire, lorsque cette dernière entraîne l’introduction de nouveaux princeps au degré d’ASMR élevé. Dans cette dernière hypothèse, les laboratoires pharmaceutiques seront en effet assurés d’obtenir des prix récompensant l’apport thérapeutique offert par leur nouveau produit. Ces prix pourront s’élever à des niveaux attractifs, notamment grâce aux économies de remboursement réalisées sur les génériques.

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416 IGAS, « Evaluation de la politique française des médicaments génériques », Rapport, septembre 2012.

417 Mutualité Française, « Rapport 2012 sur les médicaments génériques : 10 propositions pour restaurer la confiance », décembre 2012.

418 IGAS, « Evaluation de la politique française des médicaments génériques », Rapport, septembre 2012.

419 Bristol-Myers Squibb Company, 135 F.T.C. 444 (2003). Voir à ce sujet FTC, Overview of FTC antitrust Actions in Pharmaceutical Services and Products, mars 2013, p. 11.

420 ANSM, « Les médicaments génériques : des médicaments à part entière », Rapport, décembre 2012.

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605. L’Autorité de la concurrence relève par ailleurs que la réglementation actuelle contient plusieurs niveaux d’information des laboratoires princeps concernant l’entrée de médicaments génériques sur le marché. En effet, l’article L. 5121-10 du code de la santé publique prévoit l’information du laboratoire princeps par l’ANSM à l’occasion de toute demande d’AMM portant sur un médicament générique. Une telle information du laboratoire princeps est par ailleurs prévue dans le cadre de la procédure ultérieure de fixation du prix des médicaments génériques par le CEPS421

606. Un seul niveau d’information du laboratoire princeps devrait cependant suffire. En effet, si la préservation des droits de propriété intellectuelle des laboratoires pharmaceutiques est indispensable, elle ne doit pas non plus se faire au détriment d’une entrée des génériques en conformité à de tels droits. Or, la multiplication des niveaux d’information du laboratoire princeps peut être susceptible d’engendrer des obstacles à l’entrée de génériques.

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607. C’est pourquoi une information du laboratoire princeps par exemple par le CEPS, c’est-à-dire au stade de la négociation du prix du générique, semble suffisante. Celle-ci a en effet l’avantage d’être plus rapprochée du moment de commercialisation effective du générique, et par conséquent de son entrée réelle sur le marché. L’Autorité de la concurrence recommande donc la suppression de l’article L. 5121-10 du code de la santé publique, en ce qu’il impose une information du laboratoire princeps au stade de la demande d’AMM générique.

Dans le document Avis 13-A-24 du 19 décembre 2013 (Page 122-125)