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L’oscillation des villes d’Europe centrale entre universalité et nationalisation

Chapitre 4 : Le modèle de la « ville civilisée » entre Paris, Prague et Budapest

C) L’oscillation des villes d’Europe centrale entre universalité et nationalisation

Deux enjeux s’affrontent au moment de la tenue des Expositions nationales en Europe centrale, celui de se présenter en tant que membre des nations occidentales mais aussi celui de se définir comme étant unique et spécifique. Les Tchèques et les Hongrois partagent cette même ambition en 1891 et 1896, les nationalités de l’Empire austro-hongrois saisissent les opportunités événementielles pour affirmer leur identité face à Vienne. L’historienne Marta Filipova divise les Expositions entre celles qui sont organisées comme vitrine d’une nation à l’idéologie dominante et celles qui s’opposent à cette idéologie351. Les Tchèques appartiennent

à la deuxième catégorie, quant aux Magyars ils sont affiliés aux deux puisqu’ils affirment leurs différences face à Vienne tout en imposant à leur tour leur hégémonie aux nationalités minoritaires de Transleithanie. Ces Expositions centre-européennes permettent de définir les caractéristiques soudant une communauté nationale et de les présenter à ses visiteurs. La ville hôte s’inscrit dans le même mouvement, les conseillers municipaux et les membres du Parlement et de la Diète des deux nationalités entendent bien intégrer l’aménagement de leur

350General Regional Exhibition in 1894 in Lviv, Center for Urban History of East Central Europe, [En ligne],

Disponible sur : http://www.lvivcenter.org/en/umd/posts/post/?ci_themeid=41 (Consulté le 17/05/18).

351FILIPOVA Marta (dir.), Cultures of International Exhibitions 1840-1940. Great Exhibitions in the Margins, op. cit., p. 8.

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capitale à leurs actions pour une reconnaissance impériale et internationale de leurs spécificités. C’est ainsi que les années d’Expositions servent à l’inauguration de multiples institutions à caractère national ayant pour objectif de gommer l’image allemande attachée aux villes d’Autriche-Hongrie. En effet, comme l’explique l’historien Bernard Michel dans Nations et Nationalisme, jusqu’en 1848, les Slaves et les Magyares se germanisent au sein des centres urbains de l’empire car ils doivent s’adapter à la langue dominante de la ville : l’allemand. Après 1860, l’arrivée massive des populations rurales de nationalité slave et magyare en ville, modifie la légitimité de cette domination linguistique, politique et sociale, engendrant une volonté de transformer les centres urbains en reflet de la ‘tchéquité’ et de la ‘magyarité’352.

La « cité d’or des Slaves »353

Les conseillers municipaux de Prague, ainsi que les membres de la Diète coordonnent l’Exposition jubilaire de 1891 avec l’inauguration de plusieurs bâtiments publics dédiés à la culture et à l’éducation tchèques. La construction du Musée national sur la place Venceslas débute en 1883 et se termine à l’occasion du jubilé, elle se place dans la continuité de l’édification du Théâtre national en 1881 formant ainsi un ensemble d’institutions dans lesquelles les Tchèques s’affranchissent de la tutelle allemande. Henri Hantich dans son guide sur Prague datant de 1891 inclut même le Musée national dans sa trilogie des trois monuments les plus visités de la capitale avec le Théâtre nationale et le Palais de l’Industrie nouvellement assemblé dans le parc des Expositions354. La métropole slave inaugure cette même année son Musée technique et de son Académie tchèque des Sciences et des Arts, accueillis dans les locaux du Musée national. La ville se couvre ainsi de bâtiments témoignant du réveil national des Tchèques et se présente comme la porte d’entrée occidentale du monde slave.

Capitale de la « magyarité »

La capitale hongroise suit le même processus en se magyarisant, le Guide technique de Budapest relate l’ajout de nombreux bâtiments symboles du pouvoir dominant en Transleithanie355. L’édification du majestueux Parlement sur les bords du Danube témoigne de l’ambition du gouvernement hongrois, sa construction débute en 1880 pour aboutir en 1902,

352MICHEL Bernard, Nations et nationalismes en Europe centrale XIXe siècle-XXe siècle, op. cit. 353Le Gymnaste, le 20 juin 1891, p. 875, expression de Jan Podlipny.

354HANTICH Henri, Guide Vilímek, Prague et l'Exposition Nationale de 1891, op. cit. 355EDVI ILLES Aladar, Guide technique de Budapest, op. cit.

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mais les visiteurs du Millénaire peuvent d’ores et déjà observer les gigantesques dimensions du bâtiment. De nombreux autres établissements nationaux à portée culturelle ou instructive sont présentés comme faisant partie intégrante du nouveau paysage urbain budapestois. Ainsi, Budapest devient le siège des institutions nationales en regroupant entre autres l’Académie hongroise des Sciences, l’Université royale hongroise, le Musée national hongrois, le Théâtre national356. Le Millénaire permet d’ajouter d’autres bâtiments à cette liste. Le Musée des Beaux-Arts, le Musée des Arts Industriels et l’Opéra-comique sont construit pour l’occasion, la reconstruction de l’église du Couronnement se termine en 1896 à temps pour que la couronne de Saint-Etienne y soit exposée alors même que les travaux d’agrandissement du château royal débutent à cette date357. Ainsi, l’aménagement urbain de Prague et Budapest dans la dernière décennie du XIXe s’accompagne d’un mouvement en faveur d’une mise en valeur du caractère national de la ville. L’historien Balint Varga rappelle que derrière l’édification de ces monuments et bâtiments transparait une stratégie politique puisque « la nation devait être montrée au peuple »358.

II) La course au métropolitain

Le métropolitain constitue une technique facilement observable, fortement enviable pour une métropole moderne et qui engendre de multiples échanges entre pays. Ce moyen de transport novateur pour l’époque a provoqué toute une série de déplacements de la part des experts municipaux. Or, il n’existe pas un seul métropolitain mais bien divers modèles, ces voyages ont pour objectifs d’appréhender ses spécificités et de décider si la ville réceptrice va copier l’original ou l’adapter selon ses propres aspirations. Les procès-verbaux ainsi que les rapports rendus au Conseil municipal de Paris nous permettent d’observer l’évolution des problématiques concernant le métropolitain parisien et des diverses versions observées lors des voyages organisés dans des villes étrangères, notamment à Budapest.