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Chapitre 4 : Le modèle de la « ville civilisée » entre Paris, Prague et Budapest

A) L’attribut phare de la « ville civilisée »

C’est à l’installation d’un métropolitain que l’on reconnait une métropole d’importance internationale dans la seconde moitié du XIXe siècle. La détermination des caractéristiques et

356Ibidem.

357 HOREL Catherine, Les fêtes du Millénaire de la Hongrie vues par la France, op. cit.,p. 160.

358 VARGA Balint, The monumental Nation, Magyar Nationalism and Symbolic Politics in Fin-de-Siècle Hungary, op. cit., p. 22 : « the nation had to be shown to the people ».

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celle du mode d’exploitation de ce moyen de transport suscitent passions et controverses. Les conseillers municipaux parisiens après un peu plus de vingt-cinq ans de débats se mettent d’accord sur une définition : « Qu’est-ce qu’un métropolitain ? L’étymologie l’indique ; un chemin de fer établi dans une capitale, c’est-à-dire dans une ville assez étendue et populeuse pour justifier l’installation d’un chemin de fer spécial ; en d’autres termes un chemin de fer d’intérêt local urbain. »359 Ce dernier point, l’intérêt local urbain, pose problème en France où

la construction d’un métropolitain à Paris est retardée en raison des intérêts divergents entre l’État, les grandes compagnies ferroviaires et le Conseil municipal de Paris. Cette situation mène à un blocage de la mise en place de ce mode de transport à Paris.

Le tableau d’une ville saturée

D’après le procès-verbal du 20 novembre 1896 dressé par André Berthelot, historien à l’École des Hautes Études, la capitale française est dans une situation catastrophique, son réseau de transport composé d’omnibus et de tramways provoque l’encombrement de la voirie et l’obstruction des rues. Les tramways sont critiqués en raison de l’accaparement d’une partie de la voie, de leurs rendements insuffisants, des accidents qu’ils engendrent. L’historien Michel Margairaz confirme l’insuffisance du réseau de transport à partir des années 1870. L’électrification des tramways à Paris ne s’étend pas avant 1890 en raison du refus à la fois de la Compagnie général des Omnibus possédant le monopole et de certains ‘urbanistes’ qui par souci esthétique interdisent la pause de câbles aériens jusqu’en 1910360. Ainsi le trafic dans le

centre de Paris apparaît comme surchargé, les principaux axes encombrés et les déjections animales de plus en plus mal acceptées. Ce portrait ne concorde pas avec l’image de la ville moderne que souhaitent diffuser les conseillers municipaux. André Berthelot, reprend l’idée d’une double voie de communication, d’un deuxième étage, qui permettrait de libérer la voie et ainsi de réduire le temps de transport des Parisiens puisqu’il faut que, selon les nouvelles préoccupations sociales, l’ouvrier et le commerçant puissent « se déplacer vite et à bon marché »361. L’amélioration de la circulation des habitants dans la capitale n’est pas le seul

argument pour l’élaboration du métropolitain, le transport des visiteurs occasionnels rentre aussi en compte. L’exemple de l’Exposition universelle de 1889 est repris pour prouver la

359Procès-verbal du Conseil municipal de Paris, le 20 novembre 1896.

360MARGAIRAZ Michel, « Les transports parisiens, en miroir à la ville, une histoire des décisions en matière de

transport public de 1820 à nos jours »in Le transport et la Ville. RATP, maître d’ouvrage urbain, Architecture Intérieure Crée, 1999, n° 286, p. 10.

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nécessité d’un tel projet qui doit voir le jour pour la future Exposition de 1900. André Lefèvre, ingénieur et conseiller municipal, rappelle les difficultés rencontrées par les milliers de touristes pour se déplacer jusqu’au lieu de l’événement362. La question du transport des visiteurs ne s’est

pas posée uniquement en 1889, elle ressurgit à chaque Exposition de grande envergure.

Quel métropolitain pour Paris ?

Le conflit opposant la municipalité, les grandes compagnies de chemin de fer et la préfecture de la Seine remonte aux années 1875. Le ministère des Travaux publics sous la direction du préfet de la Seine souhaite un réseau métropolitain raccordé aux grandes lignes ferroviaires nationales et aux principales gares parisiennes. Le conseil municipal de Paris désire quant à lui un réseau local urbain privilégiant les intérêts de la capitale et non ceux de l’État363. S’en suivent trois décennies de projets avortés et de voyages d’observation. Agnès Tartié, bibliothécaire de l’Hôtel de Ville de Paris, rapporte dans son article « Les missions parisiennes à l’étranger, un épisode méconnu de la construction du métropolitain » les six missions effectuées par des membres d’une commission étatique ou des conseillers municipaux dans quatre capitales européennes en vingt-cinq ans364. Londres en tant que créatrice du premier métropolitain fait l’objet de trois voyages, en 1871, en 1875 et en 1891. Une délégation se rend en 1886 à Vienne et à Berlin pour juger des spécificités du métropolitain de ces deux capitales d’empire. Les conditions de construction de ces moyens de transport ne sont pas les mêmes qu’en France, celui de Londres a été initié par l’État et les grandes compagnies ferroviaires, le gouvernement de Prusse a joué un rôle prépondérant dans l’élaboration du métropolitain de Berlin, l’assimilant à un outil militaire365. Les cas étrangers ont pu servir de contre-exemples

comme en témoigne le procès-verbal du 20 novembre 1896. Les métropolitains de Londres et de New York sont caractérisés par leurs voies larges permettant leur raccordement avec les grands réseaux nationaux366. Une partie du Conseil municipal de Paris souhaite au contraire la

construction de voies étroites car ils craignent que les compagnies de chemin de fer ne reprennent le projet et s’emparent du « sous-sol de Paris »367. Les propositions avancées en

362Ibidem.

363Ibid., le 30 novembre 1896.

364TARTIÉ Agnès, « Les missions parisiennes à l’étranger, un épisode méconnu de la construction du

métropolitain », in Le transport et la Ville. RATP, maître d’ouvrage urbain, Architecture Intérieure Crée, 1999, n° 286, p. 14.

365Ibid., p. 16.

366Procès-verbal du Conseil municipal de Paris, le 20 novembre 1896. 367Ibid., le 27 novembre 1896.

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1896 projettent un métropolitain ne transportant que des voyageurs et non pas des bagages ou des marchandises limitant ainsi son usage aux seuls Parisiens368. Cependant, les conseillers municipaux n’affichent pas tous le même avis, un certain nombre de critiques sont retranscris dans les procès-verbaux pointant justement les variations du projet français par rapport à celui de ces devanciers étrangers. Quelques élus sont opposés au principe même du métropolitain dénigrant ces longs tunnels souterrains qui enferment l’air vicié et prédisant une perte future de dynamisme du centre de Paris par un phénomène d’exode vers la banlieue369. D’autres

souhaitent s’inspirer des modèles étrangers et privilégient le raccordement aux grandes lignes et aux gares parisiennes :

« C’est pour un tramway-métropolitain que vous allez, à la veille de 1900, bouleverser Paris, encombrer nos boulevards extérieurs de travaux d’art qui n’ont rien d’artistique, de viaducs, de tranchées, qui en changeront radicalement l’aspect, qui en détruiront les lignes et l’harmonie ! C’est pour un train-tramway que vous dépenserez plus de 200 millions ! »370

Ainsi, nous observons que le projet du métropolitain parisien, électrique, à voie étroite ne fait pas l’unanimité même au sein du Conseil municipal de Paris. Certains de ces membres vont donc organiser un dernier voyage pour justifier leurs choix. Le 10 juillet 1896, il est décidé qu’une délégation de sept personnes se rendrait à Budapest où un métropolitain analogue à celui souhaité par les initiateurs du projet parisien s’est construit pour l’Exposition millénaire de 1896

371.