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CHAPITRE 3 : RÉSULTATS DES ANALYSES QUALITATIVES

1- L’origine de la réforme

Cette section retrace l’origine de la réforme concernant l’EI selon le point de vue des intervenants. Dans un premier temps, il sera question de pressions extérieures qui auraient été exercées sur le législateur. Ensuite, associée à ces pressions, la perception d’abus de pouvoir ayant mené à la réforme sera développée. En dernier lieu, le thème du respect des droits des jeunes sera exploré.

1.1- Pressions extérieures

Certains intervenants perçoivent la réforme du cadre légal concernant l’EI comme étant une réponse aux pressions extérieures. Ils la relient au débat sur la pertinence de recourir aux privations de liberté pour les jeunes en protection. Voici deux extraits qui associent la réforme

avec la dénonciation, dans le film documentaire «Les voleurs d’enfance56», des conditions de vie

des jeunes hébergés en centre de réadaptation.

«La seule chose sur laquelle je me questionne c’est; est-ce que ça [la réforme] a été fait en réaction principalement au film de Paul Arcand?».

– Chef de service; milieu d’hébergement référent # 4

«C’est sûr qu’il y a eu différents mouvements populaires, que ce soit par un film ou autre chose qui ont amené à des réflexions au niveau de l’EI.»

– Chef de service; intervenants référents # 7

Dans le même ordre d’idées, d’autres affirment que les changements concernant l’EI découlent des pressions de la CDPDJ. Dans les extraits suivants, un gestionnaire explique qu’à ces yeux l’origine de la réforme résulte des enquêtes effectuées par la CDPDJ et que des enjeux politiques sont sous-jacents au recours à l’EI. Aussi, une certaine animosité envers la Commission ressort de son discours. Cela reflète les tensions existantes entre les acteurs juridiques visant le respect des droits et les acteurs cliniques cherchant à satisfaire les besoins manifestés par les jeunes pris en charge.

«Il y a quelque chose de politique dans cette histoire-là […]. Ce qui m’a toujours dérangé dans cette affaire-là c’est que l’étincelle qui a fait qu’on en est venu à [réformer les pratiques sur l’EI], c’est sur une perception qu’on lésait les droits des jeunes en les enfermant. […] C’est suite aux enquêtes de la CDPDJ. C’est la CDPDJ qui a fait pression sur les gouvernements […]. Et non pas de la reconnaissance qu’il fallait peut-être mettre quelque chose sur pied pour des jeunes particulièrement difficiles et auxquels nos programmes ne répondaient pas.»

– Gestionnaire # 3

1.2- Perception d’abus de pouvoir

Plus de la moitié des intervenants associent la réforme avec cette perception voulant que des abus de pouvoir puissent avoir eu lieu au niveau de l’enfermement des jeunes en centre de réadaptation. Tel que plusieurs participants l’affirment, avant la réforme, le recours à l’EI était fréquent et un nombre important de jeunes y était hébergé. Parfois, l’utilisation de la mesure était inappropriée puisqu'elle se révélait non congruente avec les besoins de réadaptation.

56 Les voleurs d’enfance, réalisation Paul Arcand, production Denise Robert et Daniel Louis, Montréal,

«Il y a peut-être de nos jeunes qui étaient hébergés en EI qui ne devaient pas l’être à cette époque-là.» - Chef de service; milieu d’hébergement référent # 4

«Je pense qu’il y a des jeunes qui étaient [dans l’ancien EI] et qui n’auraient pas dû être là. Par exemple, un jeune qui est là, mais qui sort tous les jours. Ça devient un peu comme un non-sens.» - Intervenant référent # 23

«Il y avait beaucoup trop de jeunes en EI avant, je pense. Ça ne répondait pas à leurs besoins carrément. L’endroit était beaucoup trop sécurisé pour leurs besoins.»

- Intervenant référent # 22

« Maintenant, je dirais qu’on a fait des abus [dans le passé] parce qu’il y avait des jeunes qui étaient dans les [unités] portes barrées pendant longtemps, longtemps.» - Conseiller à l’Accès # 17

Dans cette dernière citation, le conseiller à l’Accès exprime à quel point les jeunes placés dans l’ancien EI y restaient sur une longue période de temps, puisque tel qu’il le mentionne plus loin dans l’entretien, ce programme était considéré comme équivalent aux autres. Par conséquent, à cette époque il n’y avait pas de processus mis en place pour réviser la pertinence du séjour lorsqu’un jeune était orienté dans une unité sécuritaire comme l’EI. C’est ce qui explique la longueur de la durée des placements d’avant la réforme.

«Avant, on envoyait un jeune en EI et quand il fonctionnait bien on le laissait là. On ne l’envoyait pas nécessairement dans un autre [type d’encadrement], parce que c’était une unité [au même titre que les autres].» - Conseiller à l’Accès # 17

Dans le passage ci-dessous, les propos d’un chef de service, travaillant auprès d’intervenants référents, sont révélateurs et illustrent comment les pratiques d’autrefois ont conduit à la réforme de l’EI.

« [La réforme de l’EI] ça vient des problèmes qui sont survenus. […] Alors, ça vient de plaintes, ça vient de pratiques abusives. Ça vient d’un paquet de connaissances que le législateur a et de vérifications qu’il a faites pour dire [que ça prend un changement].» - Chef de service ; intervenants référents # 9

1.3- Respecter les droits des jeunes

Pour certains intervenants, la réforme avait clairement pour objectif d’accroître le respect des droits des jeunes en clarifiant les critères autorisant le recours à l’EI. C’est dans cet ordre d’idée qu’un chef de service auprès d'intervenants référents mentionne que c’est au regard des droits des

jeunes que la réforme a été initiée. C’est aussi dans cette optique qu’un autre participant affirme que la restriction de liberté pour les jeunes en besoin de protection doit être balisée.

«C’est sûr qu’au départ, je comprends que les droits des usagers, le fait de restreindre ou limiter leur liberté […] pendant un temps X, je pense qu’ici on vient mettre des balises par rapport à leur hébergement dans ce type d’encadrement là.».

– Chef de service; intervenants référents # 7

«Pour moi, la mesure de l’EI, elle est comme apparue pour combler un espace vide laissé par la réforme de la LPJ, qui disait dans le fond que les enfants placés en protection de la jeunesse ne devraient pas être en privation de leur liberté.».

– Intervenant référent # 23

En faisant le parallèle avec les fréquentes privations de liberté qui ont pu avoir lieu dans le passé, le discours suivant montre qu’aux yeux du répondant, l’intention du législateur était d’encadrer le pouvoir décisionnel afin de permettre un plus grand respect des droits des jeunes.

« [Autrefois, le recours à l’encadrement statique, aux portes barrées] ça pouvait être abusif. Donc je suis d’accord que le législateur a dit à un moment donné : "n’abusons pas de nos pouvoirs!" […] [Avant,] on ne s’occupait pas de cette privation de liberté là, on n’avait pas cette préoccupation-là. À partir du moment où on dit: on va priver quelqu’un de sa liberté, mais il faut y réfléchir plus sérieusement et pour combien de temps?» - Chef de service; intervenants référents # 9

Les propos suivants d’un conseiller à l’Accès vont dans le même sens que ceux présentés ci-haut et témoignent de l’importance de légitimer la décision de recourir à l’EI sur un argumentaire clinique.

« À partir du moment où l’on barre les portes et qu’on restreint [la liberté de mouvement] des gens, bien, on limite leur droit à leur liberté. Donc, y fallait davantage encadrer et justifier ces actions-là. » - Conseiller à l’Accès # 16