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CHAPITRE 4 : DISCUSSION ET CONCLUSION

2- L’inertie socioculturelle

Tel qu’il a été explicité dans la recension des écrits, toutes les décisions prises dans le cadre de l’application de la LPJ doivent rester centrées et justifiées sur l’objectif de protection de l’enfant. Pour être conforme à la finalité propre à la LPJ, le recours à l’EI doit être motivé par l’intention de préserver le jeune contre ses conduites à risque qui le mettent en danger. Au regard de cette injonction et des droits fondamentaux de l’enfant, l’utilisation de l’EI pour les jeunes délinquants non judiciarisés est fortement questionnable. En effet, employer la mesure d’EI dans le but de protéger la société contre les conduites délinquantes d’un jeune résulte d’une motivation pénale et relève de la LSJPA. Pour certains des intervenants rencontrés, il est clair que le recours à l’EI ne peut pas servir à pallier le système pénal. Par contre, dans d’autres cas, il a été possible de constater les traces d’un raisonnement axé sur une motivation pénale. C’est le cas de ceux qui affirment qu’il est de leur devoir de protéger la société ou les autres.

Comment comprendre l’existence d’une telle situation? Deux explications plausibles seront mises à profit. Premièrement, dans le libellé de l’article 11.1.1 de la LPJ, en employant la terminologie

«danger pour lui-même ou pour autrui65» le législateur ouvre lui-même la porte à cette rationalité

pénale. L’inclusion de la dimension «pour autrui» serait-elle inconstitutionnelle et contraire aux droits fondamentaux? Cette question mériterait d'être approfondie par une recherche dans le domaine du droit, car il est possible de croire qu’en adoptant cette disposition le législateur ait donné à la LPJ des pouvoirs pénaux qui ne lui appartiennent pas. Deuxièmement, ce phénomène peut être compris au regard du concept de l’inertie socioculturelle de Lemay (2009) voulant que l’habitude explique le maintien de cette association en protection et punition. En effet, l’adoption des premières lois consacrées à l’enfance visait, d’abord et avant tout, la protection de la société et le maintien de l’ordre social menacé par la criminalité juvénile (Dupont-Bouchat, 2003; Malouin, 1996). Dès lors, le placement en institution des jeunes abandonnés ou maltraités était le moyen privilégié pour les empêcher de sombrer dans un mode de vie axé sur la délinquance.

Un deuxième constat qui peut s’expliquer par le phénomène d’inertie socioculturelle est celui de la mixité des clientèles. La mixité des cadres légaux réfère au fait de placer dans les mêmes unités d’EI des jeunes pris en charge par la LPJ avec ceux dont l’intervention s’effectue en vertu de la LSJPA. Certains intervenants expliquent le fondement de cette pratique en fonction des attributs de ces jeunes qui à leurs yeux seraient similaires. Trop centrés sur des ressemblances au niveau des caractéristiques personnelles et celles relatives aux comportements, ils finissent donc par croire que ces jeunes ont les mêmes besoins et qu'ils devraient être traités de la même façon.

À l’heure actuelle, à notre connaissance, aucune démonstration empirique ne supporte ce rationnel voulant que les jeunes en protection référés en EI aient vraiment les mêmes besoins d’intervention que les jeunes délinquants qui y sont placés. À cet égard, le CPJ (2004) souligne que la délinquance, qui relève de l’application de la LSJPA, ne doit pas être associée avec les troubles de comportements qui sont régis par la LSSSS ou par la LPJ. Les premiers sont des actes répréhensibles et définis légalement en vertu du Code criminel tandis que les seconds réfèrent à des conduites susceptibles de nuire à la sécurité et au développement du jeune. Bref, pour cette instance, le profil et les problématiques vécues par les jeunes délinquants diffèrent du portrait clinique des jeunes pris en charge pour leur besoin de protection.

Cet argumentaire basé sur des hypothèses cliniques peut être considéré comme une forme d’inertie. En effet, tel que décrit dans l’historique sur le développement du système de protection de la jeunesse, à l’époque des écoles de réforme et d’industrie les jeunes qui sont aujourd’hui pris en charge pour leurs besoins de protection étaient autrefois traités de la même manière que les jeunes reconnus coupables d’un crime. L’influence des facteurs économiques explique aussi cette résistance au changement (Dupont-Bouchat, 2003). Pour certains des intervenants rencontrés, la mixité des clientèles se justifie par l’obligation de rentabiliser les places disponibles dans les unités d’EI. Ayant un volume plus restreint de demandes d’orientation pour les jeunes en protection, les places vacantes sont comblées par l’hébergement des jeunes délinquants. Fort probablement qu’autrefois la même logique du moindre coût motivait l’absence de distinction entre jeunes à protéger et jeunes à punir.

Au regard des pratiques d’intervention, le cadre légal étant différent, le sens du recours à la privation de liberté n’est pas le même et il importe que cela soit clairement expliqué au jeune. En vertu de la LSJPA, il s’agit d’une peine en garde fermée dont le but est la protection de la société et la responsabilisation du jeune par rapport à ses actes délictueux. La durée de celle-ci est prédéterminée puisque fixée au préalable par le tribunal. Le recours à l’hébergement en EI dans le cadre de l’application de la LPJ est une mesure de protection, car on considère que la sécurité ou le développement du jeune est compromis. Conformément à l'esprit de la loi, le jeune doit se mettre en danger. La durée de la mesure dépend des critères de terminaison qui sont liés à l’atteinte des objectifs de protection et de réduction du risque.

En lien avec la mixité de la clientèle, deux questions mériteraient d’être approfondies dans les recherches futures. Premièrement, quel est l’impact de la mixité sur les conditions d’hébergement dans les unités? Sur ce point, les avis des intervenants rencontrés divergent. Pour certains, la mixité nuit à l’atmosphère dans l'unité et à l’intervention tandis que pour d’autres cela n’est pas le cas. Tout comme certains des intervenants ayant participé à la présente recherche, plusieurs des usagers rencontrés par le CPJ (2004) déplorent cette cohabitation entre jeunes en besoin de protection et jeunes délinquants. En s'appuyant sur la vulnérabilité des premiers par rapport aux mauvaises influences des seconds et l’entrave au processus de réadaptation que produit la mixité des cadres légaux, le CPJ est d’avis qu’une telle situation ne devrait plus exister en centre jeunesse. Conformément aux recommandations du CPJ, il importe donc de développer et de

mettre en œuvre des programmes de réadaptation spécifiques pour chacune de ces clientèles. Un portrait de la situation concernant les répercussions de la mixité sur l’intervention serait donc requis. Cela permettrait de répondre à la seconde question. Ce type de pratique entrave-t-il le droit des jeunes de recevoir des services adaptés à leurs besoins particuliers?