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Les méthodes : du terrain au laboratoire

2.1 L’origine des macrorestes végétaux

2.1.1 Les activités avant enfouissement

L’existence des végétaux sur les sites archéologiques résulte de gestes passés volon-taires ou non ayant conduit à leur dépôt. Tous les champs d’activités impliquant des plantes sont concernés : l’alimentation humaine et animale, l’utilisation médicinale, textile, artisanale, symbolique et/ou cultuelle, ornementale, l’utilisation comme com-bustible et comme matériaux de construction (bois d’œuvre, dégraissant, couverture). L’ensemble de ces catégories sous-entend l’utilisation de plantes choisies selon un de-gré de sélection plus ou moins fort. A priori, les choix alimentaires impliquent une sé-lection forte, tandis que la récolte de bois de feu pour alimenter les foyers domestiques résulte plutôt d’une collecte opportuniste. À chacun de ces domaines correspondent des gestes humains favorisant ou non l’utilisation, le dépôt et l’enfouissement des végétaux. À cet ensemble de plantes « choisies » s’ajoute un vaste spectre de végétaux dont la présence n’est pas le résultat de gestes humains volontaires. Leur présence peut s’expliquer par l’intervention d’agents naturels, comme le vent, ou parce qu’elles sont

présentes dans les mêmes milieux de collecte des plantes sauvages ou cultivées, accom-pagnant ainsi jusqu’au site occupé le bois de feu ramassé ou les plantes cultivées. Ces plantes peuvent également être ramenées par les animaux, accrochées à leurs poils ou parce qu’elles ont été ingérées et non digérées, se retrouvant alors dans les déjections utilisées dans les régions semi-arides comme combustible (Charles 1998; Miller 1984, 1999; Reddy 1998). Quant à l’origine même de toutes ces plantes, il est important de penser qu’elles peuvent venir d’une aire d’acquisition à proximité immédiate du site d’habitat (champs cultivés, végétation spontanée locale), des milieux à moyenne dis-tance, impliquant un déplacement plus important, des milieux floristiques différents, ou bien provenir des circuits commerciaux, nombreux aux époques concernées.

2.1.2 Processus de conservation

Un large éventail de produits du monde végétal peut ainsi se retrouver sur le site ar-chéologique. Néanmoins, ces matériaux organiques se décomposent rapidement sous l’effet des micro-organismes comme les bactéries et les champignons et seule une petite fraction peut être conservée sous différentes formes.

La carbonisation traduit une exposition au feu des végétaux sans que ces derniers soient entièrement consumés. Durant la carbonisation, la matière organique est pro-gressivement transformée en carbone, lui donnant une couleur noire et une solidité qui résiste bien au temps. Ce type de conservation des restes végétaux est de loin le plus commun sur les sites archéologiques du Proche-Orient. Il peut résulter d’incen-dies et d’interventions humaines intentionnelles ou non : brûlis, feu domestique pour la cuisine ou le chauffage, brûlage de déchets, etc. Les plantes dont le traitement et/ou l’utilisation nécessitent un passage au feu ont plus de chance d’être conservées. Les céréales, par les divers traitements qu’elles subissent et par leur mode de consomma-tion sont plus souvent en contact avec le feu que les légumineuses, qui sont plutôt consommées bouillies. Le feu est néanmoins largement destructeur, si bien que seules certaines espèces ou parties des plantes sont conservées. La préservation des restes végétaux dépend de caractéristiques propres à chaque élément (robustesse, structure cellulaire, composition, etc.) et de facteurs externes comme la température, le type de combustion, la durée d’exposition à la chaleur, l’atmosphère oxydante ou réductrice. La structure initiale du matériel végétal préservé est ainsi souvent déformée ou brisée, rendant parfois l’identification taxonomique difficile (Boardman et Jones 1990).

La dessiccation est un processus de conservation induit par des conditions envi-ronnementales où l’humidité est très faible ; le manque d’eau inhibe l’activité biolo-gique, en particulier l’activité microbienne responsable de la décomposition de la ma-tière organique. Elle est en soi non destructrice. La structure, la forme et la couleur sont conservées, mais certains éléments anatomiques peuvent être affectés (Newton 2002; Van der Veen 2007). Ces conditions de préservation sont présentes au Proche-Orient mais rares, réservées aux régions les plus arides, à des dépôts particuliers, dans

2.1. L’origine des macrorestes végétaux

les aménagements funéraires clos par exemple, ou résultant de phénomènes d’enfouis-sement rapides limitant la désintégration des éléments organiques.

Certains restes végétaux peuvent également être minéralisés. Cette minéralisation peut se produire de différentes façons. Un premier groupe comprend les plantes mi-néralisées suite à des phénomènes post-dépositionnels qui induisent le remplacement de la matière végétale par des substances inorganiques. Dans le cadre de cette étude, seul un échantillon provenant de latrines à Bosra est concerné par une minéralisation post-dépositionnelle : celle-ci s’est produite car une solution chargée en sels miné-raux circulait régulièrement dans le sédiment. Les éléments minéminé-raux se sont infiltrés et ont précipité à la place des tissus organiques en cours de décomposition (Green 1979). La matière résultante n’est pas dégradable par une activité biologique ordinaire et prend une couleur miel foncée caractéristique. Le remplissage minéral reproduit l’original selon différents degrés allant d’une préservation parfaite de la microstruc-ture originelle à sa dissolution complète, ce qui peut porter préjudice à la faisabilité de l’identification. Cette minéralisation a également des conséquences sur les assem-blages conservés dans la mesure où certaines espèces (notamment les fruits à noyaux ou les pépins de raisin ou les akènes* de figues) réagissent mieux à ces phénomènes que d’autres (Matterne 2001).

Un deuxième type de minéralisation rassemble les fossiles qui ont été préservés parce que certaines plantes ont la capacité de produire naturellement de la matière minérale impliquant des processus de biominéralisation avant le dépôt et l’enfouis-sement des végétaux (Jahren et al. 1998; Messager et al. 2010). Ces plantes ont plus de chance d’être préservées que la plupart des végétaux présentant une composition organique. C’est par exemple le cas des Borraginacées dont on retrouve de nombreux exemplaires dans nos échantillons. L’apparence fraiche de ces restes est alors un risque de confusions possibles avec des spécimens modernes (Annexe C page 411).

Les réponses apportées aux deux questions, pourquoi et comment, laissent entre-voir les nombreuses possibilités conduisant à la conservation des plantes, mais égale-ment les nombreuses limites. Les choix et les gestes effectués avant dépôt favorisent ou négligent une partie de la végétation disponible. Ces plantes réagissent ensuite dif-féremment aux phénomènes naturels ou induits par l’intervention humaine. Cette conservation différentielle est à prendre en compte pour l’interprétation des résultats, surtout au moment de comparer des proportions (Bottema 1984; Van der Veen 2007). Un grand nombre d’un unique taxon et une fréquence faible d’autres n’est pas néces-sairement une indication de l’importance ou de la rareté économique d’une plante. Cette différence de proportion relative entre deux taxons peut parfois plus refléter des mesures de conservation différentielle que celles d’une abondance originelle.