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Chapitre 3 : L’orientation scolaire et professionnelle des individus : Un processus complexe

3) L’orientation : Influence du contexte extérieur à l’individu

Tout d’abord, nous allons voir que le contexte socioculturel dans lequel la personne évolue influence ses choix d’orientation. La société à travers son organisation particulière apporte des repères à l’individu lui permettant de se construire d’une certaine manière et de guider son orientation. Michel Foucault avance que l’individu se constitue en tant qu’être autonome et doté d’une antériorité, en fonction du rapport à soi, qui émane dans une société donnée à un moment donné.

28 Il développe le concept de subjectivation « sujet se représentant et se rapportant à lui-même

d’une manière déterminée » (Guichard.J, 2004, p.3). Ce rapport à soi joue un rôle dans la

constitution de soi, et va influencer la manière dont l’individu va orienter sa vie. De plus, l’individu dans une société particulière construit dans sa mémoire à long terme des structures cognitives qui vont lui permettre d’élaborer sa vision d’autrui et de se construire lui -même. Pour Jean Guichard, la société met à disposition de l’individu un certain nombre de catégories sociales (Relatives au genre, à la religion, à la profession, à la position sociale, l’orientation sexuelle, l’âge, le métier, la participation à un loisir, le choix politique, etc.…). Cette offre sociale conduit la personne à se forger un ensemble de représentations : un système de cadre cognitif identitaire.

Il constitue « la représentation intériorisée par l’individu de l’offre identitaire dans la société

où il interagit, telle qu’il a pu se la construire en fonction de ses interactions, compte tenu des positions qu’il occupe dans les différents champs sociaux où il se situe » (Guichard.J, 2004,

p.8). Ce système va conduire l’individu à se réaliser selon des formes identitaires subjectives (formes identitaires dans lesquelles l’individu se perçoit et se construit) en fonction du contexte où il interagit.

Le sujet ne développera pas le même système de cadre cognitif identitaire selon la culture dans laquelle celui-ci évolue. De même en fonction du contexte dans lequel l’individu interagit, il développera des formes identitaires subjectives différentes. Il peut successivement passer par exemple du statut père de famille, à celui sportif, de catholique et de médecin. Maurice Reuchlin désigne cette interchangeabilité des formes identitaires sous le terme de vicariance. Les formes identitaires sont donc interchangeables, s’adaptent en fonction du contexte dans lequel évolue l’individu. Celles-ci sont reliées entre elles et sont considérées par le sujet comme une certaine manière d’être soi. Les élèves allophones arrivant en France en fin de cursus possèdent donc un système de cadre identitaire subjectif particulier engendrant la constitution de formes identitaires dans différentes situations spécifiques.

Ces éléments, qui jouent un rôle dans le processus d’orientation sont, en effet, influencés par leur culture d’origine et le rapport à soi émanant de cette dernière. Confrontés à un autre système de cadre identitaire, ces adolescents peuvent se sentir déstabilisés et manquer de repères pour choisir une voie de poursuite d’études.

29 D’autre part, nous pouvons mettre en avant l’importance de l’environnement social et du contexte familial dans la formation des intentions d’avenir des jeunes. Les personnes auxquelles le jeune peut s’identifier, celles dans lesquelles il peut se reconnaître, avec qui il entretient des relations, les différentes activités qui lui sont proposées dépendent en partie du contexte familial et sociétal où le jeune évolue. Bernadette Dumora met en exergue le processus de réflexion comparative « la mise en relation d’éléments descriptifs de soi et des

professions » (Guichard.J et Huteau.M, 2005 p.55). Tout d’abord, l’auteure nous parle du

processus « identification-fusion » où le jeune s’identifie à une personne de son entourage ou repérée dans les médias. Il n’y pas de prise de distance entre ce personnage et le jeune. Il n’est pas dans la capacité d’expliquer en quoi cette image le captive. Dans la période considérée par l’auteur (10-16 ans), la réflexion comparative se fonde dans un premier temps sur une « comparaison tensionnelle » du jeune avec l’image impersonnelle d’un professionnel. Par la suite, celui-ci réussit à déterminer des caractéristiques particulières plus ou moins abstraites liées à ce professionnel, et réalise les liens entre lui-même et ce dernier. Cette réflexion va permettre à terme au jeune de passer d’une identification à un professionnel à la comparaison de soi avec un rôle professionnel constituée de certains des attributs de celui -ci plus ou moins abstraits. Il va réussir en tant que sujet particulier à se mettre à la place de ce professionnel.

Ce processus de réflexion comparative constitue une des dimensions du concept de transaction relationnelle décrit par Claude Dubart. C’est un « processus de définition de soi en

relation avec autrui » (Guichard.J, 2004, p.4) fondé sur des interactions, des dialogues et

parfois des conflits avec autrui. Cette transaction va conduire l’individu à être reconnue dans son identité et dans ses choix à travers le regard d’autrui. C’est grâce au regard de l’autre que l’individu peut se définir. Pour accompagner le jeune dans son orientation, il parait essentiel d’associer sa famille. Elle pourra nous aider à le comprendre ainsi que ses choix d’orientation. Ces derniers auront pu être influencés par son environnement social, certains modèles auxquels il aura pu être confronté dans son contexte familial qui lui est propre.

Enfin, l’école joue un rôle majeur dans le processus d’orientation des jeunes. Bernadette Dumora met en avant le concept de transaction biographique « Processus par lequel les

individus anticipent leur avenir par rapport à leur passé ». (Guichard.J, 2004, p. 5). Cette

transaction s’appuie sur des mises en récit et des dialogues avec soi-même. Cette négociation avec soi-même permet à l’individu de prendre du recul, de se détacher de ses appartenances sociales, d’envisager son avenir sous différentes formes et dans plusieurs directions.

30 Ce concept peut se rapprocher de celui de « réflexion probabiliste », développé par cette même auteure qui correspond à la mise en forme de la transaction biographique dans le cadre de l’école. Ce dernier lié à l’expérience scolaire du jeune consiste en un « calcul subjectif

dans lequel le sujet prend la mesure entre l’espace des possibles et l’espace des probables »

(Guichard.J et Huteau.M, 2005, p.56). Pour effectuer des choix d’orientation, l’adolescent va prendre en compte à la fois sa situation scolaire actuelle, les conseils et informations transmises durant son cursus ainsi que ses représentations sur les exigences plus ou importantes de certaines formations et professions. L’articulation du processus de réflexion comparative et de réflexion probabiliste produit, une « réflexion implicative ». Cette dernière constitue la « mise en relation des moyens (scolaires) et des fins professionnelles » (Guichard.J et Huteau.M, 2005, p.56). L’auteure distingue six trajectoires possibles, trois dans lesquelles les moyens et les fins coïncident (trajectoires lisses) et inversement, les trajectoires de rupture où les liens entre moyens et fins ne sont pas établis. Dans les trajectoires lisses (lien entre le désirable et le probable), Bernadette Dumora distingue « la

logique d’excellence », où l’élève est centré sur l’accomplissement d’études valorisées sans se

préoccuper pour l’instant de son avenir professionnel, la logique de l’illusion associe des résultats scolaires faibles à des projets ambitieux. Une pensée magique permet à l’élève de ne pas prendre conscience de ce clivage entre résultats et projets. Certains élèves sont dans une logique pragmatique. Ils effectuent leur choix d’orientation en fonction de leurs capacités. Au niveau des logiques de rupture, l’auteure définie la logique de rationalisation et la logique expectative ou attente inquiète comme étant des choix plutôt enfantin. La logique de résignation concerne des projets auxquels l’élève a dû renoncer. Les professionnels de l’institution scolaire doivent aider l’adolescent allophone à donner du sens à son projet, en effectuant des liens réalistes entre leurs ambitions professionnelles et leurs capacités.

En outre, le jugement, le regard que portent les professeurs sur le jeune en tant que personne ainsi que sur sa scolarité peut avoir des conséquences sur son orientation future. Des schémas scolaires de soi, « intériorisation par l’élève des évaluations par l’école de sa situation

scolaire actuelle », vont influencer ses choix d’orientation (Guichard.J et Huteau.M, 2005,

p.57). Ces évaluations de soi entrainent des comparaisons sociales, notamment vis-à-vis de ses pairs qui vont placer le jeune dans une certaine position dans le domaine scolaire et par la suite dans le monde professionnel et social.

31 Ces comparaisons prennent appui sur la logique de l’école « logique qui valorise l’abstraction

et conduit à accorder plus de valeur aux expériences que vivent habituellement les jeunes issus de familles occupants des positions privilégiées dans l’espace des rapports sociaux »

(Guichard.J et Huteau.M, 2005, p.60). Ces évaluations de soi vont conduire le jeune à se construire une vision de lui-même comme étant plutôt bon dans certaines matières, faibles dans d’autres, intéressé par telle ou telle discipline. L’élève va alors faire coïncider sa situation scolaire avec des représentations stéréotypées, relative aux futures études. Jean Guichard considère l’école comme un « miroir structuré, structurant les représentations que

les jeunes se font d’eux-mêmes » (Guichard.J et Huteau.M, 2005, p.59). Une attitude

bienveillante à l’égard des adolescents et de leur scolarité est à rechercher. L’objectif est qu’ils puissent se forger une évaluation positive d’eux même et réussir leur parcours en fonction d’objectifs personnels et singuliers.

Il a été question dans cette troisième partie d’entrevoir le processus complexe de l’orientation scolaire et professionnelle ainsi que les différents facteurs qui influencent celui -ci. Le processus d’orientation, peut apparaitre complexe pour ces élèves à besoins éducatifs particuliers, qui arrive dans un système qu’ils méconnaissent. Ont-ils réellement plus de difficultés d’orientation du fait de leur situation singulière ?

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Deuxième Partie