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a) Le gouverneur

À partir du xvie siècle, les souverains de Neuchâtel, aussi bien les princes français que le roi de Prusse, n’y résidèrent jamais. Les souverains se firent représenter par un gouverneur. Jusqu’au début du xviiie siècle, ces officiers, les seuls à n’être pas neuchâtelois, appartenaient le plus souvent au patriciat des cantons combourgeois

66 Voir ramseyer Jacques, « La république radicale, 1848-1914 », in Histoire du Pays de Neuchâtel…, T. III, p. 31-51.

67 Fritz Courvoisier (1799-1854), horloger, membre du Corps législatif dès sa création. Ami Girard (1819-1900), de Renan, en Ergüel, où résident de nombreux proscrits de 1831, rejoint les républicains neuchâtelois le 29 février, à la tête de deux cents volontaires.

68 Voir scheurer Rémy, « Le gouvernement des Orléans-Longueville », in Histoire du Pays de

Neuchâ-tel…, T. II, p. 42-53. henry Philippe, « L’organisation du pouvoir sous le premier “régime prussien” », in

tels Soleure ou Fribourg. De même que le souverain, ils étaient catholiques, faisant de ce pays un des rares à ne pas se conformer au principe cuius regio, eius religio, ce qui ne les empêchait pas de travailler avec le Conseil d’État et les Bourgeoisies à l’établissement puis au maintien des institutions réformées. Le gouverneur Georges de Rive, nommé au moment de la restitution du comté par les Confédérés en 1529, tenta de s’opposer à la Réformation au nom de la comtesse Jeanne de Hochberg dont il défendait les intérêts. Dans la seconde partie du xvie siècle, les bourgeois n’adhéraient que difficilement au choix d’un gouverneur catholique : quand Marie de Bourbon nomma Georges de Diesbach pour succéder au réformé Jean-Jacques de Bonstetten, choisi par Jacqueline de Rohan, ils lui firent part de leur scepticisme :

« Non que ce ne soit ung personnage bien digne de plus grande charge, mais seullement que luy estant de religion contraire à la nostre, tiendra toujours les voisins et nous en soubson. »69

Dès le xviie siècle pourtant, la nomination de gouverneurs catholiques ne semble plus avoir posé de problème.

Au xviiie siècle, le prince confia souvent cette charge à d’anciens officiers, protes-tants, mais pas toujours très compétents ni très motivés. Quand certaines affaires urgentes ou complexes exigeaient un fin diplomate, il arrivait au roi d’envoyer à Neuchâtel un ambassadeur ou un chargé de mission temporaire. Le gouverneur représentait le souverain dans tous les domaines, il avait la haute main sur le système judiciaire, il exerçait le droit de grâce. Cependant, de plus en plus souvent, depuis le xviiie siècle, le droit de grâce était dévolu au Conseil d’État. En 1807, le prince Berthier exigea de se voir soumettre toute sentence capitale, avec un préavis du Conseil toutefois70. À la Restauration, le Conseil d’État tenta en vain de retrouver sa prérogative traditionnelle en faisant annuler le décret de 1807. Cette question à forte portée symbolique resta ouverte jusqu’en 184871. Si le droit de grâce lui était retiré en matière criminelle, la pratique montre que le Conseil d’État graciait souvent les condamnés à la prison civile par les consistoires seigneuriaux.

Le gouverneur présidait en principe les séances du Conseil d’État, mais le fait que bientôt le gouverneur ne réside plus obligatoirement à Neuchâtel acheva de donner à ce dernier la considérable autonomie qu’il s’était forgée au cours des siècles.

b) Le Conseil d’État72

La première mention d’un conseil entourant le comte de Neuchâtel date de 1213 où un acte évoque un jugement rendu in plena curia comitis devenue, en

69 roulet Louis-Édouard, scheurer Rémy et courvoisier Jean, Histoire du Conseil d’État neuchâtelois,

des origines à 1945, Neuchâtel : Chancellerie d’État, 1987, p. 15.

70 Voir henry Philippe, « Institutions et révolution : la justice criminelle et le droit pénal neuchâtelois de la fin du xviiie siècle à 1848 », in henry Philippe et barrelet Jean-Marc (dir.), Sujets ou Citoyens ? Neuchâtel

avant la révolution de 1848, Université de Neuchâtel, Genève : Éditions Droz, 2005, p. 110-111.

71 henry Philippe, « Institutions et révolution… », p. 121-132.

1396, le consoil de monseigneur. Ce corps semble avoir été formé de vassaux, d’ecclésiastiques et de divers officiers, en tout une dizaine de personnes. Ce conseil féodal, devenu Conseil d’État, constitua le véritable gouvernement oligar-chique du pays. La Réformation en avait exclu les membres ecclésiastiques et aucun pasteur n’occupa jamais un de ces postes laissés vacants. Cette éviction du clergé des instances dirigeantes est une constante de l’histoire des institutions neuchâteloises73 : même dans les instances qui concernaient directement la vie de l’Église et la pratique religieuse, le pouvoir civil veillera à garder jalousement la prépondérance.

L’extinction progressive des familles de l’ancienne noblesse autochtone ouvrit une brèche aux membres des corps de Bourgeoisie qui occupèrent peu à peu la majorité des sièges du Conseil d’État. Ainsi virent le jour des dynasties de conseil-lers, par recrutement familial quasi systématique. Il est à relever que la population des hautes vallées était largement exclue de ce processus, le pouvoir étant tout entier concentré entre les mains des bourgeois de la ville. Cette situation n’est pas étrangère à un certain antagonisme, loin d’être éteint aujourd’hui, qui est une clef de lecture importante pour qui entend faire l’histoire de la justice consistoriale neuchâteloise.

Les compétences du Conseil d’État étaient nombreuses et difficiles à cerner : elles s’étendaient à tous les domaines de l’administration sans qu’existent au départ de structures qui s’apparenteraient aux actuels dicastères. Une large part des séances consistait à répondre à des demandes de particuliers s’estimant lésés dans une affaire quelconque et à la recherche d’un arbitrage. Au xvie et au tout début du xviie siècle, il s’agit souvent de prendre la défense de pasteurs en conflit avec un paroissien, situations qu’on retrouve dans les procès-verbaux des consistoires seigneuriaux à la même époque74. Nous verrons plus loin que le Conseil renvoyait aux consistoires seigneuriaux, voire admonitifs, bon nombre d’affaires, créant de ce fait une alterna-tive à la procédure habituelle que nous détaillerons.

À partir du règne de Berthier apparaissent des commissions destinées à des sujets particuliers dont les résultats des travaux offrent aux historiens de précieux rensei-gnements touchant aux questions liées aux consistoires et aux relations conflictuelles avec la Compagnie des pasteurs.

Après la révolution manquée de 1831, le commissaire prussien de Pfuel imposa une profonde réorganisation du Conseil d’État, réduisant ses membres à huit, au lieu de vingt et un, quatre d’entre eux se trouvant à la tête d’un département : les finances, l’intérieur, la justice et la police et les affaires militaires. Les anciennes « dynasties » de conseillers furent dès lors moins présentes au sein de ce nouveau collège.

73 On notera, comme tardive exception, la présence de quatre pasteurs, sur soixante-dix-huit députés, dans les Audiences générales créées à la Restauration.

74 Manuel du Conseil d’État (ci-après MCE), 18 février 1559, un père et son fils condamnés à la prison pour avoir injurié le pasteur de Boudry. 27 mai 1600, différend entre un paroissien de La Sagne et son pasteur qui lui a refusé la cène.

c) Le Tribunal des Trois-États

À l’origine, au milieu du xve siècle, cette institution regroupait des membres du clergé, de la noblesse et des Bourgeoisies. La Réforme en avait chassé le clergé, les pasteurs ne remplacèrent pas les chanoines, la noblesse féodale s’éteignit d’elle-même. Depuis sa réunion à la directe, en 1592, la seigneurie de Valangin avait son propre tribunal des Trois-États75. Ces tribunaux étaient revêtus de compétences législatives et avaient le statut de cour d’appel pour les causes civiles seulement ; il n’y avait aucune possibilité d’appel pour les causes criminelles. Il leur appartenait en outre de se prononcer sur les affaires de succession dynastique, comme ce fut le cas en 1707.

À Neuchâtel, le tribunal était composé de quatre châtelains, quatre conseillers d’État et quatre bourgeois de la ville. À Valangin, on y voyait quatre maires, quatre conseillers d’État et quatre bourgeois du lieu. Peu à peu, tous les sièges se trouvèrent de fait attribués à des membres du gouvernement ; en effet, de nombreux maires ou châtelains, présidents d’une cour de justice, étaient en même temps conseillers d’État.

d) Les Audiences générales

Des Audiences de type féodal avaient existé à Neuchâtel, sous le gouvernement des comtes, au début du xve siècle, comme tribunal d’appel, composées de repré-sentants des trois ordres. Cette cour est à l’origine du Tribunal des Trois-États. La Restauration vit réapparaître cette dénomination avec la création des Audiences générales, une ébauche de parlement, regroupant soixante-dix-huit membres : dix conseillers d’État, quatorze notables (dont quatre pasteurs), vingt-quatre officiers de juridiction et trente représentants des communes. Représentant une limite aux pouvoirs du Conseil d’État, les Audiences générales devaient être informées des rapports entre Neuchâtel et la Diète fédérale et avaient un droit de regard sur les finances de l’État.

e) Le Corps législatif

Après les troubles de 1831, par ordonnance royale, les Audiences générales furent remplacées par le Corps législatif, fort de quatre-vingt-huit députés, élus pour six ans. Si dix d’entre eux étaient choisis par le prince, soixante-dix-huit étaient élus par les communes, au suffrage censitaire. Ses compétences concernaient les rapports avec le Corps helvétique, mais aussi les affaires internes, dans le cadre de la Constitution. C’est dans cette instance qu’ont été discutés, dans les années 1830, les projets de Codes civil et pénal par le biais de commissions créées à cet effet76.

75 À la mort de René de Challant, en 1565, un long procès de succession opposa ses deux filles Philiberte et Isabelle. De nombreux acquéreurs potentiels se manifestèrent. Marie de Bourbon, princesse régente de Neuchâtel, parvint à acheter la seigneurie de Valangin en 1592 et à la réunir à la directe.

f) Les Bourgeoisies

Les habitants de la Ville et des bourgs de Valangin, de Boudry et du Landeron avaient obtenu durant le Moyen Âge des chartes de franchises qui leur donnaient une certaine autonomie. Peu à peu, le statut de bourgeois n’étant plus obligatoirement lié au lieu de résidence, on vit apparaître une distinction entre bourgeois internes et bourgeois externes ou forains. Ces Bourgeoisies se sont dotées de leurs propres institutions pour gérer leurs populations, leurs biens, leurs intérêts. Leur poids n’était pas négligeable dans les domaines qui nous concernent particulièrement : c’est au traité de combourgeoisie de Neuchâtel avec Berne qu’on peut attribuer le passage de la ville à la Réforme. Les bourgeois forains, quant à eux, ont largement contribué à son expansion dans le comté. L’attachement à leurs franchises a empêché la création de consistoires seigneuriaux en ville, à Boudry et au Landeron, le seul bourg qui soit parvenu à résister à la Réforme elle-même. La Bourgeoisie de Valangin n’a pas pu s’opposer à la mise sur pied d’un consistoire seigneurial mais, dès la réunion de la seigneurie à la directe, elle l’a investi de plus en plus comme garant de son autonomie face à la Classe des pasteurs et au pouvoir central dont elle se méfiait, se sentant souvent discriminée par l’oligarchie aristocratique du Bas du pays77.

g) Les institutions de la Ville de Neuchâtel

La Ville comptait deux conseils, le Grand et le Petit Conseil (ou Conseil étroit ou Conseil des Vingt-Quatre). Le second était revêtu de compétences administra-tives et judiciaires puisqu’il fonctionnait comme cour de justice civile et criminelle. Le pouvoir exécutif était aux mains du collège des Quatre-Ministraux composé de quatre maîtres-bourgeois, du banneret78 et de deux maîtres des clefs, donc de sept personnes. En vertu des franchises obtenues par la Bourgeoisie de la ville, ce collège avait des compétences judiciaires, un bourgeois ne pouvant être jugé que par ses pairs, pour quelque délit que ce soit, même commis hors de la ville. Il exerçait en ville le droit de police qui le conduisait souvent à sanctionner des comportements qui ailleurs auraient fait l’objet d’une comparution devant un consistoire seigneurial.

h) Les communautés rurales79

À l’instar des Bourgeoisies, les communautés villageoises étaient dotées d’ins-titutions propres à administrer les biens communs, à décider des travaux d’intérêt public, à entretenir l’église, à financer les écoles. Les chefs de famille se réunis-saient en conseil de communauté, souvent dans l’église après le culte, pour régler

77 Voir Jelmini Jean-Pierre, « Politique extérieure et intérieure de Neuchâtel, de 1707 à la veille de la Révo-lution française », in Histoire du Pays de Neuchâtel…, p. 91-105, sur la Bourgeoisie de Valangin, p. 97-99.

78 Le banneret, ou banderet, porte la bannière de la Bourgeoisie. Il est le chef de la milice chargée de faire régner l’ordre dans la ville. Il occupe la deuxième place, après le maire, dans la cour de justice. Voir Jelmini

Jean-Pierre, Neuchâtel 1011-2011, mille ans, mille questions, mille et une réponses, Hauterive : Éditions Gilles Attinger, 2010, p. 41.

79 Voir Jelmini Jean-Pierre, « Bourgeoisies et communautés », in Histoire du Pays de Neuchâtel…, p. 238-254, sur les communautés rurales, p. 249-254.

les affaires courantes. Chaque année, deux ou plusieurs « gouverneurs » étaient élus pour s’acquitter des lourdes charges de gestion qu’imposait la vie communautaire. À côté des « communiers » vivaient les simples « habitants », qui ne jouissaient pas des mêmes avantages matériels et décisionnels et qui étaient susceptibles d’être rejetés en tout temps. Une des raisons de ces expulsions pouvant être une moralité jugée douteuse, il arrivait que les communiers s’adressent directement aux consis-toires pour rappeler à l’ordre un habitant.

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