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institutionnels sur les industries créatives

2.2.1.5 Des pratiques et agencements orientés vers les paradigmes des industries créatives industries créatives

2.2.1.5.5 L’omniprésence de la communication

En grande partie abordé dans les résultats relatifs aux « usages », le dernier paradigme est la prépondérance donnée à la valeur symbolique sur la valeur d’usage qui est liée au fait qu’il s’agit d’industries des biens et services symboliques (Bouquillion, Miège et Mœglin, 2013 ; Liefooghe, 2010) ou encore caractérisées par l’omniprésence de la communication (Paquienséguy, 2010). Cette primauté apparaît dans les pratiques développées et publicisées par les professionnels de la reconfiguration, puisque leur objectif est de susciter une certaine représentation du territoire pour en augmenter l’attractivité auprès d’entreprises, investisseurs, travailleurs ou encore touristes étrangers. La multiplication des marques territoriales, soulignée par ces professionnels lors des rencontres nationales, ainsi que lors de nos entretiens et sur le blog Marketing-territorial, en constitue la pratique la plus symptomatique. Si OnlyLyon est centrale lors des rencontres de Cap’Com du fait que l’équipe qui s’en occupe est associée à l’organisation de l’événement et des interventions de Lionel Flasseur, d’autres marques sont également mentionnées à l’instar d’Auvergne Nouveau Monde, Bretagne ou Les

3 V158.

Cette dernière est un cas particulier qui témoigne de la manière dont certains acteurs (ici, des responsables politiques et des professionnels de la reconfiguration territoriale) poussent au maximum les logiques liées aux paradigmes des industries créatives. Nous soulignons ainsi le caractère spécifique de la démarche à laquelle cette marque est liée, à savoir le fait qu’il s’agit, comme l’indique

157 Ibid.

158 Cette marque et les campagnes qui y sont liées ont été menées de 2015 à 2018. Elles n’existent plus aujourd’hui.

177 Étienne Vicard, directeur de l’agence Souple/Hop !, d’une marque mutualisée de trois territoires français fortement éloignés les uns des autres, à savoir Vendôme (Loir-et-Cher, Centre-Val de Loire), Vitré (Ille-et-Vilaine, Bretagne) et Valence (Drôme, Auvergne Rhône-Alpes). Selon ce dernier et David Drapier, chargé de développement économique de l’Agglomération Valence-Romans, l’objectif est de mettre en avant les traits communs aux trois territoires et d’en promouvoir l’attractivité auprès d’entreprises et de travailleurs qui cherchent à s’installer sur le territoire français ou à multiplier leurs implantations sur celui-ci. Le travail des professionnels de l’agence a alors été de trouver des traits communs aux trois territoires et d’en faire des référents territoriaux diffusés pour susciter une représentation attractive de ces territoires à partir d’une représentation territoriale unifiée.

La présentation de la marque Bretagne sur son site web témoigne également de la volonté de transformer la représentation d’un territoire donné dans l’objectif d’augmenter son attractivité auprès d’acteurs hétérogènes. Ainsi, cette marque est

« une marque de territoire destinée à être partagée par tous ceux qui se réfèrent à la

Bretagne pour se faire connaître et promouvoir leurs intérêts ou leurs créations sur la scène nationale ou internationale. Elle contribue à renforcer l’attractivité de la région, sa capacité à rayonner au niveau national et international, à attirer touristes, investisseurs, étudiants, actifs… : un enjeu stratégique majeur pour le développement de la Bretagne. Elle renforce l’image et la notoriété de tous ceux qui l’utilisent »159.

Dans cet extrait, outre la volonté de diffuser une certaine représentation du territoire contribuant à son attractivité, nous identifions également des thèmes qui renvoient au paradigme de la flexibilité, l’accent étant une nouvelle fois mis sur la volonté de fédérer les acteurs locaux autour d’une démarche de communication territoriale, mais aussi sur l’usage du champ lexical de la visibilité (ici, à travers le terme « rayonnement ») distinctif des discours institutionnels sur les industries créatives.

Enfin, comme souligné dans l’illustration de Vincent Gollain (Fig. 2.6) sur les ambassadeurs, le fait que « [les] prises de parole [de l’ambassadeur] vont dans le sens de l’intérêt du territoire » témoigne du lissage, pour emprunter ce terme à Oger et Ollivier-Yaniv (2003a, 2003b et 2006), des discours diffusés sur le territoire local opéré par les professionnels de la reconfiguration territoriale. Plusieurs pratiques sont en effet mises en place pour lisser les discours d’acteurs hétérogènes sur le territoire. La première d’entre elles est de conditionner l’adhésion au réseau des ambassadeurs à un examen reposant sur ce que nous pourrions appeler un cahier des charges, comme c'est le cas pour la marque

Bretagne et Auvergne Nouveau Monde. En effet, lors des rencontres nationales, Anne Miriel (Encart 2.5), fondatrice de l’agence Inkipit et ex-directrice de la communication (2004-2010) de la Région Bretagne, souligne que le club des ambassadeurs lié à cette marque est réservé aux entreprises et

159 http://www.marketing-territorial.org/2016/02/marque-bretagne-5-ans-et-pas-une-ride.html, consulté le 10/03/2019.

178 partenaires institutionnels, plutôt qu’aux citoyens, et que son adhésion est soumise à un contrôle plus strict que d’autres marques territoriales destinées à être saisies par le plus grand nombre. Les partenaires de la marque Bretagne peuvent, une fois acceptés, en utiliser les codes et différents supports qui y sont liés, dans le cadre de leur propre communication.

« […] On a fait un choix face à un problème d’image à résoudre et on a souhaité que ce soit d’abord des

entreprises et ceux qui communiquent sur le territoire [avant les habitants], qui se saisissent […] de la marque

et qui deviennent les ambassadeurs d’une nouvelle image du territoire. En tout cas, d’une image pas nouvelle, mais qui reflète beaucoup plus la réalité. Or, on avait beaucoup d’entreprises, et on en a encore beaucoup, qui utilisaient des symboles de la Bretagne, qui est une région très identitaire… Soit la langue bretonne, soit une typographie celtique, soit une hermine et la triskèle… […]

Toutes ces entreprises, en tout cas celles de l’agroalimentaire, voulaient signifier cet attachement au territoire et utilisaient donc l’ensemble des codes identitaires classiques mais de façon très traditionnelle et sur des représentations très clichées peut-être. Donc, la marque Bretagne était là pour dire : "Vous pouvez

revendiquer cette appartenance au territoire, faisons-en une force, mais faites-le avec des codes qui correspondent beaucoup mieux à la réalité de ce que le territoire peut produire en termes d’innovation dans des secteurs qui ne sont pas que des secteurs classiques du terroir." Donc, là, nous, notre cheval de bataille, ça a été d’aller chercher tous ceux, que ce soient les entreprises, les associations, les opérateurs touristiques… qui sont producteurs de communication et d’image et de les inviter à utiliser des codes nouveaux… Et ça a plutôt bien fonctionné puisqu’aujourd’hui la marque Bretagne a un peu plus de six cents partenaires et nous avons fait le choix de ne pas aller directement solliciter les habitants…

La marque Bretagne est un peu différente. Elle est aussi soumise à examen. Pour devenir partenaire de la

marque Bretagne et utiliser le logo sur sa communication, il faut avoir rempli un certain nombre de

conditions […] ».

Encart 2.5 : Extrait de l’intervention d’Anne Miriel lors de l’atelier méthodologique Trouver son modèle de

financement.

La marque Bretagne est évoquée de manière plus détaillée sur le blog, dont un billet160 est consacré aux cinq ans de sa création. Dans ce dernier, nous repérons notamment qu’il est fait référence aux partenaires de la marque qui

« bénéficient d’un accompagnement en communication "Code de marque" lors du montage du dossier de candidature (ateliers de co-développement) puis tout au long du partenariat. Initialement établi pour une durée limitée, le partenariat liant la marque Bretagne à ses premiers adhérents est arrivé à échéance. Une campagne de renouvellement a été lancée fin 2015. À cette date, BDI [Bretagne Développement Innovation] compte déjà 85 % de retours

positifs. Le processus étant en cours, ce pourcentage pourrait progresser jusqu’à plus de 90 % de renouvellement. Cet indicateur très positif renforce la marque Bretagne dans sa mission

160 http://www.marketing-territorial.org/2016/02/marque-bretagne-5-ans-et-pas-une-ride.html, consulté le 10/03/2019.

179

de rassembler autour d’un code de marque partagé et de valeurs communes. Il l’encourage à déployer davantage son réseau et à renforcer les actions d’animation mises en place »161.

Nous constatons ici la manière dont l’utilisation des éléments de communication liés à la marque Bretagne est encadrée et guidée par les professionnels qui en ont la charge, ainsi que la manière dont la marque contribue à fédérer les acteurs implantés sur le territoire autour d’objectifs communs.

Des pratiques identiques sont mises en place dans le cas des marques ouvertes à une plus grande hétérogénéité d’acteurs implantés sur le territoire local. Un cas présenté sur le blog est celui de la marque Inspire Metz162 qui « propose à ses "fans" dès son lancement un code de marque complet mais

assez facile d’accès pour ses utilisateurs. […] Cette politique de marque s'appuie sur un Club des ambassadeurs lancé en 2005 et qui compte déjà 600 membres »163. L’objectif précisé sur le site de la marque est alors de faire participer les adhérents à la promotion du territoire « auprès de [leurs]

contacts professionnels ou lors de [leurs] déplacements »164. Des précisions concernant l’utilisation de cette marque sont également accessibles sur le site165, la plupart d’entre elles étant identiques à d’autres pratiques étudiées par la suite de manière approfondie à travers l’analyse du cas d’OnlyLyon (cf. 3.3.2.4 : 360). Elles témoignent de la volonté de lisser les discours sur le territoire des acteurs hétérogènes, qu’il s’agisse de l’adoption du logo, des couleurs du code marque ou encore de l'utilisation d'un certain lexique (Fig. 2.8) pour désigner les traits du territoire mis en avant dans le cadre des politiques de reconfiguration.

161 Ibid. 162 http://www.marketing-territorial.org/2016/10/metz-lance-sa-marque-territoriale.html, consulté le 10/03/2019. 163 Ibid. 164 http://marque.inspire-metz.com/club-des-ambassadeurs/, consulté le 10/03/2019. 165 http://marque.inspire-metz.com/code-de-marque/, consulté le 10/03/2019.

180

Figure 2.8 : Capture d’écran de la page du site web166d’Inspire Metz synthétisant le lexique devant être utilisé par les partenaires

Une autre pratique visant à lisser les discours des acteurs intégrés aux politiques de reconfiguration territoriale est la mise à leur disposition de supports de communication généraux sur le territoire et des dossiers d’informations sur des sujets plus ciblés, comme celui consacré à la réception de l’UEFA Euro 2016 (cf. 3.2.3 : 294). Sur la plateforme des ambassadeurs d’OnlyLyon, de nombreux documents (supports et plaquettes de communication, dossiers de presse OnlyLyon…), dont certains sont en français et en anglais, sont ainsi mis à leur disposition. Par exemple, les ambassadeurs ont accès à des plaquettes de communication sur Lyon, une ville éco-intelligente et l’Action internationale de Lyon ou encore à un Pack Ambassadeur – Logos, une plaquette sur le positionnement de Lyon dans les classements internationaux (2015) et une Carte [de] Lyon et [de] l’Europe regroupés dans un espace

dont le titre s’adresse directement aux ambassadeurs et témoigne d’une visée injonctive : « … et faites

rayonner Lyon dans vos présentations ! ». La plaquette intitulée Chiffres clés [de] Lyon 2017 (Fig. 2.9) est particulièrement saillante.

166 Ibid.

181

Figure 2.9 : Plaquette Chiffres clés de Lyon 2017 (p. 3-4), publiée par OnlyLyon

Suite à nos analyses thématique, lexicale et sémiologique, nous identifions plusieurs thèmes renvoyant aux critères d’attractivité mis en évidence dans leurs discours par les professionnels de la

182 reconfiguration territoriale, dont une grande partie le sont également dans les discours institutionnels sur les industries créatives et entrent aussi en résonnance avec les travaux de Florida (2004 [2002] et 2005). Ainsi, la présence sur le territoire d’un tissu entrepreneurial dense et de nombreux établissements d’enseignements et de recherche est mise en évidence, l’ensemble d’entre eux constituant des facteurs d’attractivité. Il en est de même pour ce qui est de la référence faite à la manière dont les acteurs implantés sur le territoire bénéficient de subsides, dont des aides dans le cadre du Contrat de plan état-région. D’autres thèmes synthétisés sur la cinquième page de la plaquette, dont le titre indique que Lyon est 38e au palmarès où il fait bon vivre, renvoient quant à eux à l’environnement agréable et au bon-vivre sur le territoire lyonnais, et soulignent à nouveau le nombre d’établissements d’enseignement implantés, les projets de réhabilitation territoriale ou encore la mobilité facilitée sur le territoire du fait notamment des mille kilomètres « de voies cyclables [prévues]

d’ici 2020 ». Une autre constante observée dans l’analyse d’autres supports de communication liés aux

politiques de reconfiguration du territoire métropolitain lyonnais (cf. 3.1.2 : 228) est la mise en exergue du positionnement du territoire dans différents palmarès, ceux-ci figurant au sommet de chaque page.

En partie liée au développement de marques territoriales, une autre pratique repérée est la création de produits dérivés dans l’objectif de promouvoir le territoire. Vincent Gollain consacre un billet167 au cas de la Ville de Paris notamment. Dans celui-ci, il précise que la Mairie de Paris développe depuis plusieurs années une « politique de produits dérivés »168, similaire à celles entreprises par d’autres villes comme New-York et Amsterdam, et que cette politique a d’abord été menée avec la vente de produits dérivés liés à la marque Vélib’169, qui est celle des vélos en libre-service. Il souligne surtout les retombées financières liées à ces produits dérivés de la « marque Vélib' [qui] représentent plus de

2,5 millions d'euros de ventes sur deux ans »170. Cette pratique peut être mise en lien avec la nécessité de trouver de nouvelles ressources financières à laquelle sont confrontés les professionnels de la reconfiguration territoriale, celle-ci étant soulignée par plusieurs intervenants lors des rencontres nationales 2016 de Cap’Com.

Enfin, l’omniprésence de la communication apparaît également du fait que, si les pratiques et agencements mis en place par ces professionnels dépassent du seul cadre de la communication, ils sont intégrés en tant que référents territoriaux aux politiques de reconfiguration dans l’objectif de susciter et de diffuser une certaine représentation du territoire. Il s’agit alors de diffuser une représentation créative du territoire, comme nous le montrerons à travers notre analyse du cas métropolitain lyonnais (cf. Chapitre 3 : 221). Par exemple, lorsque des aides fiscales ou foncières sont mises en place sur le

167 http://www.marketing-territorial.org/2016/05/les-produits-derives-ville-de-paris.html, consulté le 10/03/2019. 168 Ibid.

169 Devenue depuis Vélib’Métropole.

183 territoire, elles sont évoquées sur les supports de communication pour susciter une représentation d’un territoire sur lequel des pratiques et agencements sont mis en œuvre pour favoriser le développement de l’entrepreneuriat, ceci renvoyant à l’un des traits du territoire créatif tel qu’il est esquissé par Miot (2015).

2.2.1.6 Le marketing territorial : une version des industries créatives affirmée

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