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L’offre dans la scène des warez

CHAPITRE 2 – FORMES PARTICULIÈRES DE CYBERCRIMES

2.1 Les warez

2.1.3 L’offre dans la scène des warez

La recherche sur l’offre vise soit les groupes de pirates professionnels soit les amateurs. Tel que mentionné au début de cette section, les groupes de pirates sont des collectifs d’individus qui consacrent une partie importante de leur temps à la scène warez (Craig, 2005). Ce sont les pirates qui sont les plus prolifiques et qui distribuent la quasi-totalité des logiciels et des jeux dans la scène des warez (Goldman, 2004). Les amateurs sont des citoyens ordinaires qui offrent du contenu protégé par les droits d’auteur sur les réseaux poste-

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à-poste (P2P) (Hinduja, 2007). La différence entre ces deux catégories est le niveau d'implication dans la scène warez. Il n'est pas rare pour les pirates de passer plus de 40 heures par semaine à travailler dans la scène des warez (Craig, 2005; Goode, 2006). Les amateurs eux sont généralement plus intéressés par ce qu'ils peuvent télécharger plutôt que ce qu'ils peuvent offrir. En général, ils distribuent des vidéos ou des fichiers musicaux qui nécessitent très peu de compétences et utilisent les réseaux P2P où ils deviennent des redistributeurs. Ils ne ressentent pas de culpabilité, ont des compétences informatiques décentes et sont surtout de sexe masculin (Hinduja, 2007). Alors que les pirates peuvent être vus comme des professionnels, les amateurs sont plutôt définis comme des passionnés (Goldman, 2005).

Les groupes de pirates ont grandi en popularité avec la démocratisation de l'ordinateur personnel et sont devenus des entités d’envergure internationale. Leurs membres utilisent des alias pour camoufler leur identité secrète et se rencontrent rarement en personne (Goode, 2006; Craig, 2005). Leur principal objectif est de devenir les pirates les plus respectés de la scène warez (Rehn, 2003; Craig, 2005). Pour ce faire, ils s’affrontent dans ce qui pourrait être qualifié de tournoi sans fin. La quantité et la qualité des produits piratés par chaque groupe sont mesurées et évaluées par la communauté. Chaque fois qu'un groupe distribue un nouveau warez, il lance un défi aux autres groupes qui doivent soit répondre en distribuant un produit de valeur égale ou perdre une partie de leur statut social dans la scène (Rehn, 2003). Les pirates sont motivés par leur ego, l’excitation du danger, leurs croyances (ex : toute information devrait être gratuite et libre) et leur besoin d'appartenance (Goldman, 2005). Ils ressentent le besoin de prouver leur valeur aux autres et la scène warez est la façon dont ils ont choisi de le faire.

L’importance de la réputation venant des pairs (et dans une moindre partie du public) est une différence notoire entre les criminels de la scène des warez et les autres criminels que nous étudierons dans les chapitres à venir. En effet, ces derniers visent à augmenter leurs gains financiers plutôt que leur niveau de prestige, à l’image des autres criminels à col blancs qui oeuvrent en dehors de l’internet (Kshetri, 2010). Cette différence au niveau de la motivation est majeure et a un impact important sur la prévention et le contrôle de cette forme de criminalité. Dans le cas des warez, la répression risque d’avoir un impact dissuasif moindre étant donné que les comportements des individus sont dictés par une motivation intrinsèque.

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Ainsi, le fait de distribuer en ligne de la propriété intellectuelle vient d’un besoin d’appartenance, de réputation et de réalisation qui pourrait difficilement être compensé à court terme par d’autres formes de récompenses. Dans le cas des autres formes de criminalité (botnets, carding), une répression accrue ou du moins plus visible pourrait avoir un effet de déplacement tel que décrit par Eck (1993). Les besoins financiers des criminels pourraient en effet être aisément compensés à l’aide d’autres formes de criminalités et ces marchés pourraient donc s’adapter plus facilement aux interventions policières. La scène des warez devrait, elle, résister davantage aux attaques et perdurer dans le temps. Il est intéressant ici de constater que la scène des warez est une anomalie en ce sens qu’elle a peu changée au cours des quarante dernières années. La première génération de pirates informatiques était elle aussi motivée par un fort sens de curiosité et par un désir de tester les limites. Les générations suivantes ont réalisé le pouvoir qu’elles détenaient et ont su utilisé leur talent pour augmenter leur capital économique (Kshetri, 2010). Cette transition graduelle s’est opérée particulièrement au cours des dix dernières années et il sera intéressant de surveiller dans un futur rapproché si la scène des warez tend à suivre un chemin similaire et les tensions internes à cette scène si certains participants sont tentés de suivre l’exemple des autres criminels. La scène des warez est donc figée dans le temps et cela pourrait contribuer à nuire au recrutement de nouveaux pirates qui pourraient trouver cet environnement dépassé et donc décider de s’investir dans les marchés pirates qui sont davantage axés sur les gains monétaires plutôt que sociaux et relationnels.

La scène des warez est un milieu relativement fermé avec ses propres règles, ses coutumes et ses médias (Rehn, 2003; Craig, 2005). Il n'y a pas de lieu central où tous les groupes de pirates se rencontrent. Ils utilisent les canaux IRC ou distribuent des journaux clandestins pour se contacter les uns les autres. Bien que la scène se compose principalement de groupes de pirates, certains individus indépendants sont également autorisés à y participer (Goldman, 2005). Ces personnes sont soit des collectionneurs ou des amateurs qui recueillent d'anciens logiciels qui ne sont plus disponibles. L’éthique est très importante dans la scène (Craig, 2005; Rehn, 2003; Goldman, 2005). Aucune rétribution monétaire pour le travail dans la scène des warez n’est acceptée. Les groupes encouragent souvent le public à acheter les produits qu'ils aiment. En ce sens, les warez sont considérés comme une option pour essayer

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avant d’acheter. Cette manière de concevoir la scène des warez permet de neutraliser tout sentiment de culpabilité ressenti par les pirates (Goode, 2006; Craig, 2005).

La recherche sur la scène des warez que nous venons de présenter n’est pas sans intérêt; bien au contraire. Elle est cependant limitée à quelques niveaux. Tout d’abord, les chercheurs se sont par le passé particulièrement concentrés à la demande, à la régulation ainsi qu’aux amateurs qui distribuent des warez en ligne. Cela a déplacé le moteur de cette activité illicite, les groupes de pirates professionnels, du point central d’intérêt vers la périphérie. Nous avons donc ici, comme dans le cas des botnets, un déficit de connaissances au niveau des acteurs principaux de la scène. Cela permet aux groupes de pirates de poursuivre leurs activités beaucoup plus aisément. La dynamique interne des groupes ainsi que les systèmes de promotion et d’intégration dans des groupes devraient être étudiés en détail afin de comprendre comment la scène des warez survit depuis des années. Il existe aussi beaucoup de répétition dans les études. Un même fil d’idée sera souvent repris. Ce trait est particulièrement frappant lorsque nous étudions les sondages auprès d’étudiants universitaires. Ce choix de sujets, bien que sans doute très pratique pour les chercheurs, reste très surprenant. Nous pouvons douter de la représentativité des étudiants universitaires; ils ne correspondent fort probablement pas au profil des criminels professionnels ou encore à tous les consommateurs de warez. Ainsi, les méthodologies employées ne permettent que rarement de généraliser les résultats en raison d’échantillons trop limités. Finalement, quelques chercheurs nous semblent être de simples relais des groupes industriels. En citant à répétition les statistiques non validées des groupes de pression, les chercheurs ne font qu’augmenter la campagne de peur créée par ces derniers et ajoutent à la vague de désinformation. Avec ses moyens financiers, les groupes de pression prennent beaucoup de place dans le débat sur la scène des warez et il serait important de séparer la recherche commanditée de la recherche impartiale.

Bien qu’absente de cette revue de littérature, la question de la légalité des warez se doit d’être attaquée. Tout comme bien d’autres pratiques questionnables, le fait d’offrir ou de télécharger des warez n’a pas été criminalisé dans la plupart des juridictions. Même dans celles qui sont passées à l’action et qui ont créé une nouvelle classe de crime, la pertinence et les motivations derrière ces modifications légales sont remises en doute (Leman-Langlois, 2004). Ce débat, bien qu’intéressant, est en dehors du champ de notre thèse. Notre revue de

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littérature a démontré que les pirates s’organisent dans des entités dévouées au contournement des règles sur le droit d’auteur. Ils utilisent des pseudonymes pour camoufler leur identité, se rencontrent dans des chambres IRC secrètes et ont un discours de défiance face aux détenteurs de droit d’auteur. Les pirates du warez savent donc qu’ils encourent un risque de répression sociale en participant à la scène. Leurs comportements ne sont donc possiblement pas aussi criminels que d’autres, mais ils se situent malgré tout sur un continuum de comportements visés par la réprobation sociale. Leurs attitudes et comportements démontrent qu’ils sont bien au fait qu’ils s’exposent à des conséquences légales civiles voir même criminelles. Pour ces raisons, nous avons donc décidé d’inclure les pirates de la scène des warez dans notre échantillon de thèse.

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