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L’octroi de licences d’exploitation à des tiers

PARTIE 3. La mise en forme de l’exploitation commerciale des brevets

B. L’octroi de licences d’exploitation à des tiers

L’article 55 de la Loi sur les brevets494 prévoit que « quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté […] du dommage de cette contrefaçon ». Ainsi, quiconque, sans l’autorisation des cobrevetés, fabrique, construit, exploite ou vend l’invention revendiquée dans le brevet est en contrefaçon495. Cependant, afin de rentabiliser leur brevet, notamment au

moyen de royautés, les cobrevetés peuvent octroyer des licences à des tiers afin que ceux-ci

488 Marchand, supra note 480 au para 43 in fine. 489 Ibid au para 48.

490 Ibid au para 48. 491 Ibid au para 49.

492 Koutsogiannis, supra note 34 à la p 10.

493 Loi sur les Brevets, supra note 25, art 65 à 71. 494 Loi sur les Brevets, supra note 25.

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puissent bénéficier des droits et privilèges du brevet. Donc, est-ce qu’un des cobrevetés peut octroyer seul une licence à un tiers sans porter atteinte à son cobreveté496? On peut déduire que

si un copropriétaire a besoin de l’autorisation des autres cobrevetés afin d’exploiter l’invention pour son propre profit, alors il aura certainement besoin du consentement des autres pour concéder des licences d’exploitation à des tiers.

Afin d’arriver à cette conclusion, il faut d’abord distinguer les types de licences et voir les conséquences de consentir certains droits. Une licence est un consentement ou une permission d’exploiter l’invention brevetée donnée à un tiers par le propriétaire497. Les licences sont concédées à titre exclusif ou non exclusif. Une licence exclusive permet au titulaire de la licence d’interdire l’exploitation à toute autre personne498. Elle empêche ainsi le propriétaire du brevet d’accorder d’autres licences à des tiers et d’exploiter lui-même le brevet499. Ainsi, le caractère exclusif se reflète par son caractère monopolistique. La licence non exclusive, elle, permet au propriétaire du brevet d’accorder une multitude de licences à des tiers500. Le titulaire conserve également le droit d’exploiter son invention501.

Il n’y a pas de complexité particulière, mais il faut mettre ces définitions en perspective lorsque plusieurs personnes sont copropriétaires d’un brevet et que celles-ci veulent octroyer des licences. Quels sont les mécanismes prévus pour que les titulaires des droits de propriété intellectuelle ne se retrouvent pas dans une situation de discorde une fois sur le marché? L’arrêt Marchand c. Péloquin502 conclut dans le même sens que l’exploitation, c’est-à-dire que, avant de concéder une licence d’exploitation à un tiers, le consentement des cobrevetés est nécessaire. Le juge Mayrand souligne :

« Le droit d'un cobreveté de concéder des licences à qui il veut et pour son seul profit peut diluer étrangement le droit des autres cobrevetés. Si rien ne

496 Code civil du Québec, art 1016 (1).

497 Vaver, surpa note 213 aux pp 241-242 ; Philip Mendes, « Concession de licences et

transfert de technologie » (12 janvier 2006), à la section 5, en ligne : Innovation Law <http://www.wipo.int/export/sites/www/sme/fr/documents/pdf/pharma_licensing.pdf>.

498 Idem. 499 Idem. 500 Idem. 501 Idem.

l'empêche de concéder à tout le monde le droit d'exploiter le brevet, il se trouve à saborder le droit à l'exclusivité qu'ont ses coindivisaires »503.

Ainsi, le principe s’applique que la licence soit exclusive ou non exclusive. Il est facile de voir que si plusieurs licences non exclusives sont concédées, les droits des copropriétaires sont automatiquement dilués. Pour ce qui est des licences exclusives, il faut tirer la même conclusion puisque l’introduction d’un nouvel acteur à l’équation peut porter atteinte à l’autre indivisaire504. Un copropriétaire ne peut pas octroyer plus de droits qu’il en détient lui-même. De plus, les mêmes restrictions de la licence non exclusive s’appliqueront505. En conséquence, si un licencié non autorisé par tous les copropriétaires se mettait à fabriquer l’invention brevetée, il s’exposerait à une poursuite en contrefaçon506.

Cependant, un point reste non résolu: la quote-part. Certes, le consentement de l’autre indivisaire est requis pour concéder une licence, mais si un propriétaire ayant une quote-part minoritaire refuse, est-ce que cela signifie que le copropriétaire ne pourra pas permettre à un tiers d’exploiter? Malheureusement, la jurisprudence au Québec est inexistante sur ce point, mais l’auteure Koutsogiannis507 suggère de trouver la réponse dans les articles sur

l’administration du bien indivis508. Le Code civil du Québec prévoit que « les indivisaires

administrent le bien en commun »509. Lorsqu’il ne s’agit pas d’aliéner le bien, de le partager, de le grever d’un droit réel, de changer la destination du bien ou d’apporter des modifications substantielles au bien, alors les décisions peuvent se prendre à la majorité des indivisaires, en nombre et en parts510. Ces quelques points de décisions ne relèvent pas de l’administration

503 Ibid au para 48.

504 Bolduc, supra note 36. Les auteurs mentionnent que la licence exclusive ne dilue pas le

droit du copropriétaire puisqu’elle n’augmente pas le nombre de personnes ayant le droit de fabriquer, employer ou vendre l’invention. À notre avis, il faut prendre le sens du Code civil du Québec, art 1016 (1) au sens plus large. Le fait de « porter atteinte » peut provenir d’une autre source que la dilution. Le fait de concéder une licence peut venir modifier les litiges, les revenus et la fin de l’indivision.

505 Bolduc, supra note 36 à la p 1 ; Koutsogiannis, supra note 34 à la p 13. 506 Koutsogiannis, supra note 34 à la p 14.

507 Ibid à la p 20.

508 Code civil du Québec, art 1025 et ss. 509 Code civil du Québec, art 1025. 510 Code civil du Québec, art 1026.

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courante du bien et l’unanimité est exigée511. Cela signifie qu’un copropriétaire minoritaire

n’aurait jamais le dernier mot lorsqu’il s’agirait d’octroyer des licences puisque cet acte n’entre pas sous le couvert de l’unanimité512. Les licences, qui s’assimilent au louage513, viendraient-elles assouplir les règles énoncées dans Marchand c. Péloquin514? Cette question demeure sans réponse515. En revanche, pour être prudent, il est fortement recommandé d’éviter de tomber sous la règle générale qui stipule que les parts des indivisaires sont présumées égales516. Donc, une deuxième recommandation est formulée en l’espèce, celle de ne pas stipuler dans un contrat que chacun des copropriétaires sera propriétaire de facto à parts égales des droits de propriété intellectuelle. Ces deux situations pourraient potentiellement mener à une impasse face à la décision commerciale d’octroyer des licences.