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Chapitre 4 - Les recherches sur l’observation des pratiques d’enseignement

2. L’observation des pratiques d’enseignement de l’écriture autonome

La plupart des recherches portant sur l’écriture autonome au CP s’intéressent aux élèves et à leurs processus d’acquisition. Nous n’avons trouvé que peu de travaux décrivant des pratiques d’enseignement de l’écriture autonome. Nous présentons ceux de la recherche Lire-Ecrire CP ainsi que de Bucheton et Soulé portant sur l’observation d’ateliers d’écriture au CP.

Notons que dans leur livre « Les orthographes approchées » (Montésinos-Gelet & Morin, 2006), les auteures apportent des éléments didactiques et pédagogiques précis pour la mise en œuvre d’activité d’écriture approchée dans les classes de fin de maternelle et de début de primaire. Toutefois, la vocation de cet ouvrage n’est pas d’analyser mais d’orienter les pratiques d’enseignement de l’écriture.

2.1 L’atelier dirigé d’écriture au CP (Bucheton & Soulé, 2009a)

S’inscrivant à la fois dans le cadre de l’ergonomie et de la TACD, Bucheton et Soulé (2009a) proposent un modèle de l’agir enseignant élaboré par une équipe de recherche de Montpellier pour développer l’analyse de pratique et favoriser le développement professionnel. A partir de séances filmées dans des classes de CP et d’entretiens d’autoconfrontation menés avec les enseignants observés, ces chercheurs ont identifié cinq gestes professionnels des situations d’enseignement qu’ils appliquent aux séances d’enseignement de l’écriture :

- Le pilotage relève de la gestion générale de la séance : gestion du temps et de l’avancement des tâches, des instruments didactiques, etc. ;

108 - L’atmosphère est liée à la mise en œuvre de conditions sociales et

psychoaffectives propices aux apprentissages ;

- Le tissage aide les élèves à faire des liens entre les situations, les savoirs antérieurs et nouveaux ;

- Le rapport aux savoirs permet d’accompagner les élèves dans leur construction ; - L’étayage didactique s’appuie sur la capacité de l’enseignant à ajuster son action

en direction des élèves pour les enrôler, les relancer dans les tâches proposées mais aussi les orienter, diriger leur attention vers un problème ou sa résolution.

Ces composantes constituent « le multi-agenda de l’enseignant » (Bucheton et Soulé, 2009a) et cherchent à rendre compte de la complexité de l’agir enseignant et de ses gestes professionnels.

A partir de la récurrence de ces actions enseignantes, les chercheurs infèrent des postures enseignantes, une posture enseignante étant « un schème préconstruit du «

penser-dire-faire », que le sujet convoque en réponse à une situation ou à une tâche scolaire donnée »

(Bucheton & Soulé, 2009b, p. 38).

Les postures d’étayage de l’enseignant, inspirées de celles de Bruner (1987), sont ainsi détaillées (Ibid, p. 31/32) :

ü Posture d’accompagnement : l’enseignant laisse le temps de réflexion, pointe les difficultés, signale des aides, etc. ;

ü Posture de contrôle : l’enseignant valide, évalue, corrige, gère les interactions ; ü Posture de lacher-prise apparent : l’enseignant confie la résolution du problème

aux élèves qui s’organisent de façon autonome pour sa résolution ;

ü Posture d’enseignement : c’est le temps d’institutionnalisation, de mise à distance qui va favoriser la conceptualisation ;

ü Posture « du magicien » : l’enseignant théâtralise la situation pour des élèves qui sont davantage dans le jeu, la devinette que dans la réflexion.

Des ateliers d’écriture d’environ 30 minutes, composés de 6 élèves et dirigé par un enseignant, ont ainsi été observés en octobre et en décembre dans deux classes de CP. Au

109 cours de cet atelier, les élèves doivent écrire un message à l’attention de leurs parents pour leur demander des pots de yaourts qui serviront à une réalisation plastique. Ils écrivent par exemple « Bonjour papa et maman, est-ce que vous pouvez nous donner des pots de

yaourts ».

L’analyse des séances observées s’est déroulée à deux niveaux de granularité : à un niveau assez large, le synopsis des séances présente une vue générale des séances ; à un niveau très fin, l’analyse des interactions enseignant-élèves et des commentaires produits par les enseignants en autoconfrontation a pour but de repérer les gestes professionnels mis en œuvre par les enseignants et de préciser la grille d’analyse présentée plus haut.

Les auteurs pointent l’enchâssement des préoccupations de l’enseignant révélées par une analyse du discours des séances transcrites. Nous en voyons un exemple dans l’extrait suivant :

« Dépêche-toi, je veux bien t’aider (pilotage/atmosphère) mais fais attention à ceci (étayage par référence à un problème d’écriture) à l’avenir (tissage) tu ne dois plus te tromper et confondre [t] et [d] (savoir institutionnalisé). » (Bucheton et Soulé, 2009a, p.

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Cet extrait, et l’analyse qui l’accompagne, illustre la difficulté, pour le chercheur, de repérer et d’isoler, dans le discours enseignant, les traces de son action. Ce découpage en unités, allant d’un à quelques mots, nous semble pouvoir en rendre compte assez fidèlement.

Bucheton et Soulé (2009a) comparent ainsi les interactions survenues dans deux ateliers d’écriture, menés par des enseignantes distinctes. Les résultats mettent à jour des postures de l’agir enseignant qui influent différemment sur l’activité des élèves. Pour l’une des enseignantes, la posture d’accompagnement mise en œuvre pendant l’atelier induit une posture créative et réflexive chez les élèves. Pour la seconde, en revanche, la posture de contrôle qu’elle déploie installe une posture scolaire chez les élèves qui cherchent à répondre aux attentes fixées et se montrent peu réflexifs.

L’étude des interactions en situation d’écriture menée par Bucheton et Soulé (2009b) permet ainsi de « mieux identifier les conditions favorables du développement des élèves » (p. 45). Toutefois, les indicateurs de l’analyse de l’activité enseignante, pour intéressants qu’ils soient, restent cependant très généraux et ne nous semblent pas suffire à caractériser

110 finement l’action didactique de l’enseignant pour développer les compétences de scripteurs des élèves.

Nous examinons à présent les premiers résultats fournis par l’étude Lire-Ecrire au CP (IFE) concernant l’écriture afin de voir dans quelle mesure ils peuvent apporter des éléments de précisions aux travaux que nous venons de citer.

2.2 L’analyse des tâches d’écriture dans la recherche Lire-Ecrire au CP

Dans le cadre de la recherche IFE, l’outil d’analyse des tâches d’écriture proposées aux élèves de CP comporte 9 catégories (voir introduction du chapitre 2 « L’enseignement de l’écriture au préscolaire et au début de l’école élémentaire »). Les chercheurs les regroupent en 5 catégories plus larges :

- Calligraphie (E1), - Copie (E2 et E3), - Dictée (E4),

- Production d’écrit (E5, E6 et E7), - Planification/révision (E8 et E9).

Seules les données quantitatives relatives à ces catégories sont actuellement disponibles. Les analyses qualitatives et descriptives des séances filmées seront produites dans un deuxième temps. L’étude dispose ainsi d’une analyse de la répartition du temps d’enseignement consacré à chaque catégorie et de son évolution au fil de l’année scolaire ainsi que des unités linguistiques sollicitées.

Les premiers résultats sur l’écriture (Pasa et al., 2015) montrent que les élèves se voient essentiellement proposer des tâches de copie et de production écrite (respectivement, 33 % et 30 % du temps consacré aux tâches d’écriture), alors que les tâches de calligraphie et de planification/révision sont beaucoup plus rares (11 % pour la calligraphie et 10 % pour la planification/révision). Les chercheurs notent toutefois une variabilité des pratiques très importantes entre enseignants, tant sur le plan de la diversité des tâches proposées que sur celui du volume horaire qu’elles occupent d’une classe à l’autre.

Au sein des tâches relevant de la production écrite, les tâches de production autonomes (E7-Produire en encodant soi-même une syllabe, un mot, une phrase, un texte) sont plus particulièrement détaillées. Il ressort que les tâches d’écriture proposées semblent variées au fil des observations faites durant l’année scolaire (en novembre, mars et mai). De façon

111 générale, l’écriture de syllabe reste très marginale. Les enseignants proposent plus fréquemment aux élèves d’écrire des phrases et des mots mais cette unité linguistique est moins sollicitée au fil de l’année scolaire au profit de l’écriture de phrases et de textes. Par ailleurs, les résultats montrent ainsi qu’un tiers des enseignants ne propose pas de tâche d’écriture autonome en début de CP.

Ces premières conclusions laissent transparaitre les représentations sous-jacentes aux choix didactiques faits par les enseignants dans l’enseignement de l’écriture. Comme nous l’avions constaté pour la compréhension, les enseignants semblent chercher à limiter la complexité de l’activité de l’élève en favorisant l’étude du code.

Bilan et positionnement sur les recherches relatives à

l’observation des pratiques d’enseignement de l’écrit au début

de l’école élémentaire

Le rapide panorama dressé dans ce chapitre pose les cadres théoriques et méthodologiques mobilisés par différents chercheurs pour rendre compte de l’observation des pratiques d’enseignement de l’écrit au CP. Ainsi, la complexité et la variabilité de la pratique enseignante nécessite une analyse multifocale qui s’inscrit dans des paradigmes nécessairement complémentaires pour faire apparaitre les principes organisateurs de la pratique enseignante.

LA MISE A JOUR DE DETERMINANTS GENERAUX ET DE DETERMINANTS DIDACTIQUES DANS LES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT OBSERVEES

Les chercheurs français cités s’accordent sur la distinction entre déterminants généraux, qui décrivent les actions des enseignants visant la gestion générale de la classe, et des déterminants didactiques, dont certains peuvent être interdisciplinaires et d’autres sont spécifiques à l’objet d’enseignement. Les outils méthodologiques dont ils se dotent s’appuient sur ces déterminants pour analyser les interactions qui se jouent en classe entre enseignant et élèves pour co-construire les savoirs visés. Au fil des recherches, l’analyse s’affine et met à jour le poids de chacun des déterminants en fonction des hypothèses et des objets de recherche. On retrouve de façon transversale les actions des enseignants visant :

- La gestion du groupe ;

112 - La prise en compte de l’individu dans le collectif,

- La gestion et la construction des savoirs.

Cela inclut les modalités d’étayage mises en œuvre par l’enseignant et la gestion de la parole des élèves qui peuvent s’inscrire, selon les approches, dans des déterminants pédagogiques ou didactiques.

VERS LA MODELISATION DE LA PRATIQUE ENSEIGNANTE ET LA MISE A JOUR DE PRATIQUES EFFICACES

Qu’il s’agisse de pointer la variabilité de la pratique enseignante ou de la caractériser pour en inférer des gestes ou schèmes professionnels, les chercheurs tentent de mettre à jour les rouages de l’action enseignante pour mieux comprendre ce qui en fonde l’efficacité. Ainsi, dans sa note d’analyse, Cusset (2011) identifie quatre caractéristiques d’un enseignement efficace :

- Le temps consacré aux apprentissages : des premiers constats faits par Bressoux

(1994) aux plus récents posés par la recherche IFE (Bishop et al., 2015), les études rappellent que ce temps doit être suffisamment conséquent pour permettre aux élèves de s’approprier les contenus visés;

- Les attentes des enseignants vis-à-vis de leurs élèves semblent également induire

chez ceux-ci des comportements différents. Bien que ce paramètre soit difficile à évaluer, le niveau d’exigence de l’enseignant apparait bien corrélé à la progression des élèves d’une classe ;

- Le feedback de l’enseignant et sa gestion de l’erreur : le signalement des erreurs, le

temps accordé aux élèves pour les traiter ainsi que les commentaires qui leur sont associés sont également identifiés comme un facteur important dans la réussite des élèves.

- La structure des activités pédagogiques : une présentation explicite des objectifs et

des attendus ainsi qu’une structuration claire des séances, avec notamment des synthèses, intermédiaires et/ou finales facilitent l’apprentissage.

Ces variables sont reprises et précisées dans la synthèse de Talbot (2012) qui leur ajoute trois autres facteurs :

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- L’expertise dans la gestion didactique : les enseignants efficaces consacrent moins

de temps à la gestion de la classe du fait d’une structuration pédagogique routinière. Non seulement le temps consacré aux apprentissages est plus important, mais la « cohérence activité/tâches/but » est mieux maitrisée par ces enseignants (Talbot, 2012, p. 3) ;

- La variété pédagogique et didactique des contextes de travail mis en place,

notamment des formes sociales de travail, alternant les interactions orales et le travail écrit, faisant alterner l’enseignement explicite avec des situations problèmes facilitant les échanges entre pairs ;

- Un système d’évaluation régulier : l’évaluation formative mise en place pour

réguler l’apprentissage des élèves vient préciser les éléments déjà évoqués du feedback de l’enseignant.

Dans le domaine de l’enseignement de la litéracie, les études sur les pratiques efficaces d’enseignement sont essentiellement anglophones (voir cependant (Morin, Nootens, & Montésinos-Gelet, 2011). Quelques-unes détaillent les actions de l’enseignant expert dans l’enseignement de la lecture (Hall, 2003) ; (Turcotte, 2010) mais aucune de façon aussi précise que n’a pu le faire Goigoux (2002) pour la lecture. En effet, l’étude de Goigoux permet d’arriver à une analyse assez exhaustive de l’action didactique mise en œuvre en lecture. Elle rend compte très finement des invariants opératoires disponibles et/ou mobilisés en situation par l’enseignant observé et permet d’en qualifier l’efficacité.

Concernant l’enseignement de l’écriture, les analyses détaillées sont peu nombreuses. L’étude menée par Charron, Montésinos-Gelet et Morin (2008) auprès de 22 enseignants de maternelle pointe toutefois des gestes caractérisant les pratiques déclarées d’écriture approchée. A notre connaissance, aucune étude n’a encore caractérisé les pratiques efficaces d’enseignement de l’écriture à partir de pratiques observées.

UN MANQUE IDENTIFIE CONCERNANT LES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT DE L’ECRITURE

Comme nous l’avons précisé, les analyses qualitatives relatives aux séances d’enseignement de l’écriture observées dans le cadre de la recherche Lire-Ecrire CP ne sont pas encore disponibles.

114 Pour l’enseignement de l’écriture, les travaux de Bucheton et Soulé (2009) sur l’observation des pratiques au CP proposent des indicateurs d’analyse qui ne nous paraissent pas suffisamment précis pour comprendre finement l’enseignement de l’écriture pratiqué à ce niveau scolaire. Cependant, parmi les gestes professionnels mis à jour par ces chercheurs, nous retiendrons le geste de pilotage qui rend compte de la gestion générale des séances d’enseignement. Les autres gestes et postures professionnels mis à jour par ces chercheurs, bien qu’ils apportent des éléments d’observation intéressants, apparaissent insuffisants pour détailler les actions et micro-actions déployées lors de séances d’enseignement de l’écriture.

Or, les critères d’observation doivent permettre une analyse détaillée des pratiques effectives d’enseignement « qui ne peuvent être saisies par des catégories trop générales

et trop sommaires » (Goigoux, 2014, p. 2). Face au manque identifié de recherches

documentant très précisément l’observation des pratiques d’enseignement de l’écriture au début de l’apprentissage, il apparait pertinent d’investiguer ce champ de la didactique du français.

DES CHOIX METHODOLOGIQUES

Pour parvenir à cette étude très détaillée, le grain d’analyse choisi est primordial. Il détermine les outils méthodologiques pour mener une analyse allant d’un niveau macro- à un niveau microscopique. Dans ce but, nous retiendrons la méthodologie proposée en TACD : le synopsis des séances observées permettra de comparer la structuration de la séance et de rendre compte de la dynamique de construction des savoirs et savoir-faire. Une grille d’analyse accompagnera l’étude du discours didactique des enseignantes et des interactions au niveau microscopique, c’est-à-dire à un niveau de granularité beaucoup plus fin. Pour la constituer, nous procéderons à une analyse didactique à priori de la tâche d’écriture en nous appuyant sur l’analyse extrinsèque proposée par Goigoux (2007). Celle-ci alimentera l’inventaire des actions et micro-actions des enseignantes, susceptible d’être amendé par les analyses des pratiques effectives.

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