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L’obligation pour la partie lésée de limiter ses pertes

L’entrée officielle de la résolution unilatérale dans le droit OHADA souligne le caractère nécessaire du recours à la minimisation du dommage. La liberté retrouvée par l’opérateur lésé est une véritable aubaine pour lui permettre de changer de partenaire « et profiter des occasions offertes par le marché en s’étant affranchi sur le champ d’un débiteur défaillant […] Ainsi, le créancier ne peut plus guère imputer à ce dernier l’aggravation du

dommage survenu par la suite, fut-ce avant l’intervention du juge517.». Pour comprendre le mécanisme tendant à la minimisation des pertes il est nécessaire d’en rappeler le rayonnement à l’échelle du commerce international. Nous verrons dans un premier temps la minimisation des pertes en tant que principe du droit international (A). Par la suite, il conviendra de rappeler le risque auquel s’expose le créancier qui n’a pas rempli cette exigence. En effet, cette attitude téméraire conduira à la réduction des dommages-intérêts pour défaut de limitation des pertes (B).

A. Un principe général du droit international.

L’obligation de limiter ses pertes pour le créancier prétendant à la réparation du préjudice qu’il a subi est parfaitement ancrée dans le commerce international. En effet, parmi une série de décisions particulièrement denses et remarquées518 figure celle ayant opposée en 1989 la République islamique d’Iran à une entreprise américaine519. Le contrat entre les deux pays avait été conclu en 1976 et portait sur la fourniture de biens et de services dans le cadre d’un programme militaire. La loi applicable était en partie américaine et iranienne. L'Iran ne s’acquitta pas de son obligation de payer le prix pour la prestation fournie par la compagnie américaine. Face à cette situation, celle-ci limita ses pertes en

517 Stephan REIFEGERSTE, Pour une obligation de minimiser le dommage, Aix Marseille, Presses

Universitaires d’Aix Marseille, 2002, p.8.

518 ICC 8817, en ligne : http://www.unilex.info/case.cfm?id=398 Il s’agissait d’un contrat de distribution

(Consulté le 8 mai 2012).

519 Iran-United States Claims Tribunal, Watkins-Johnson Co. & Watkins-Johnson Ltd. c. The Islamic

Republic of Iran & Bank Saderat Iran, 28 Juillet 1989, En ligne:

vendant à des tiers les biens d’équipements militaires qui n’avaient pas encore été livrés après avoir pris soin de le notifier à son partenaire en défaut. Le Tribunal arbitral, constata que le créancier avait pris une mesure raisonnable en procédant à une vente de couverture visant à minimiser les dommages qu’il avait subis en vertu des lois régissant le contrat. L’arbitre reconnu ainsi qu'un tel droit était «conforme au droit des contrats du commerce international520» et ne censura pas l’acte posé par le créancier qui dans de telles circonstances faisait bel et bien écho à l’article 88 de la Convention de Vienne521. L’enseignement à tirer de cette décision opportune est que la minimisation des pertes par le créancier-victime d’un dommage fait partie intégrante de la pratique internationale des affaires522. Nous pouvons même considérer que cette règle d’or se confond avec le critère de la personne raisonnable qui est inclue dans les principes généraux du droit matériel uniforme523. En effet, car bien que la Convention de Vienne ne définisse expressément la notion personne raisonnable ou de ce qu’elle entend par raisonnable, les règles de codification privé sont d’un précieux recours eu égard à

520 Id.

521 Article 88, CVIM, : 1) La partie qui doit assurer la conservation des marchandises conformément aux

articles 85 ou 86 peut les vendre par tous moyens appropriés si l’autre partie a apporté un retard déraisonnable à prendre possession des marchandises ou à les reprendre ou à payer le prix ou les frais de leur conservation, sous réserve de notifier à cette autre partie, dans des conditions raisonnables, son intention de vendre. 2) Lorsque les marchandises sont sujettes à une détérioration rapide ou lorsque leur conservation entraînerait des frais déraisonnables, la partie qui est tenue d’assurer la conservation des marchandises conformément aux articles 85 ou 86 doit raisonnablement s’employer à les vendre. Dans la mesure du possible, elle doit notifier à l’autre partie son intention de vendre. 3) La partie qui vend les marchandises a le droit de retenir sur le produit de la vente un montant égal aux frais raisonnables de conservation et de vente des marchandises. Elle doit le surplus à l’autre partie.»

522 TAOK, préc., note 471, n°315.

523CVIM, article 7 (2), préc., note 508; voir également sur le même sujet l’arrêt Tesa v. Amram; 5 janvier

l’interprétation, la précision ou la manipulation de certains concepts à appliquer524. Cela s’explique par le fait que le droit transnational ne peut pas tout ; notamment de par le caractère consensuel de son élaboration. A notre sens c’est précisément à cela que doit aspirer le droit OHADA en étant à même de donner des orientations, de créer des impulsions, des dynamiques lorsque le droit uniforme s’avère impuissant à solutionner un problème. Ainsi, le standard de la personne raisonnable utilisé par la CVIM qui doit limiter ses pertes se rapproche de celui développé par le droit européen des contrats525.

Le juge, souverain en la matière, mettra l’emphase sur les faits, les circonstances et surtout les actes qu’aurait posés un créancier placé dans la même situation526. C’est en quelque sorte une exigence de bonne foi qui lui ait demandé. On se refuse à ce que le créancier lésé soit spectateur de son histoire mais au contraire y joue un rôle de premier ordre. Il se doit d’agir et de ne pas rester passif à attendre que le dommage prenne des proportions incommensurables. En laissant ses expectatives à l’endroit du contrat s’évanouir sans prendre des mesures adéquates permettant de limiter considérablement les dégâts, le créancier verra son indemnisation sévèrement réduite. Auparavant, la Convention de La Haye portant loi uniforme sur la vente internationale d’objets mobiliers corporels de

524Id. Voir également ICC Court of Arbitration, Basel n° 8128, 1995, online: http://www.unilex.info/case.cfm?id=207 (Consulté le 10 mai 2012). On avait eu recours aux articles 7.4.9 des Principes UNIDROIT et 4 :507 des Principes Européens du droit des contrats (PEDC), pour évaluer un taux d’intérêt.

525 PECL, article 1:302: « ; L’auteur KRITZER va également dans le même sens en relevant une grande

similitude de cette notion avec la Convention de Vienne. Albert H. KRITZER, en ligne: http://www.cisg.law.pace.edu/cisg/text/reason.html. (Consulté le 10 mai 2012).

1964 (LUVI) accordait une place de choix à la limitation des pertes du créancier527. Mais aujourd’hui, le texte de la Convention de Vienne est bien évidemment davantage fédérateur. En tant que pierre angulaire du droit international des affaires son article 77 doit faire l’objet d’une attention particulière :

«La partie qui invoque la contravention au contrat doit prendre les mesures raisonnables, eu égard aux circonstances, pour limiter la perte, y compris le gain manqué, résultant de la contravention. Si elle néglige de le faire, la partie en défaut peut demander une réduction des dommages-intérêts égale au montant de la perte qui aurait dû être évitée528.».

Ainsi, la position de la LUVI a été soigneusement remaniée et approfondie : la minimisation des pertes englobe à présent le lucrum cessans et le réajustement des dommages-intérêts se fera en fonction des dommages qui aurait pu être évités. Les Principes UNIDROIT529 ou du droit Européens des Contrats530 vont également dans le sens en obligeant le créancier à minimiser les pertes dont il souffre. Comme nous le verrons plus loin le droit OHADA ne pouvait donc que s’engouffrer dans la voie qui s’offrait à lui.

527 Article 88, LUVI: « La partie qui invoque la contravention au contrat est tenue de prendre toutes les

mesures raisonnable afin de diminuer la perte subie. Si elle néglige de le faire, l’autre partie peut demander la réduction des dommages et intérêts».

528 CVIM, Article 77 : «La partie qui invoque la contravention au contrat doit prendre les mesures raisonnables, eu égard aux circonstances, pour limiter la perte, y compris le gain manqué, résultant de la contravention. Si elle néglige de le faire, la partie en défaut peut demander une réduction des dommages- intérêts égale au montant de la perte qui aurait dû être évitée..».

529 UNIDROIT, Article 7.4.8 : « 1) Le débiteur ne répond pas du préjudice dans la mesure où le créancier

aurait pu l’atténuer par des moyens raisonnables.

2) Le créancier peut recouvrer les dépenses raisonnablement occasionnées en vue d’atténuer le préjudice.».

530PEDC, Article 9 : 505 : «(1) Le débiteur n'est point tenu du préjudice souffert par le créancier pour autant

que ce dernier aurait pu réduire son préjudice en prenant des mesures raisonnables. (2) Le créancier a droit au remboursement de tous frais qu'il a raisonnablement engagés en tentant de réduire le préjudice.».

B. De la réduction des dommages-intérêts pour le défaut de limitation des pertes.

Le législateur OHADA dans la lignée du droit transnational sanctionne le créancier qui ne limite pas ses pertes de façon raisonnable. Les enjeux sont ici considérables; car du respect de cette obligation dépendra la réparation intégrale; c’est-à-dire à hauteur du préjudice subi par le créancier. La réparation intégrale se terminera là où aura commencé la minimisation des pertes par le créancier. De son comportement dépendra le montant de l’attribution des dommages-intérêts. Enfin, de la perspective du débiteur il s’agira en réalité d’une arme lui permettant d’indemniser son partenaire d’un montant dérisoire au regard du préjudice réel qu’il lui a infligé de par son inexécution. Issue en grande partie de la Common-law, où elle y occupe une place de choix, la limitation du préjudice rappelle que le contrat est avant tout un échange de valeur ou plutôt un bargain531. Et en tant qu’échange

celui-ci se doit d’être gagnant-gagnant, c’est-à-dire équilibré à sa formation, et à son exécution. Ainsi, en cas de facteurs endogènes provoquant une inexécution du contrat, le créancier devra pour obtenir gain de cause, rééquilibrer sa situation ou au moins essayer de rétablir un statu quo ante en prenant toutes les dispositions nécessaires.

Par l’acceptation dans son corpus de règles d’une solution reconnue par le commerce international, le droit OHADA se démarque considérablement du droit commun

de ses États parties en général et du droit français en particulier. Ainsi ce dernier, conçoit le principe de limitation des pertes comme une entorse à la «conception classique et utilitariste du contrat […] ou comme un asservissement du droit au marché».532 Pourtant l’obligation de minimiser les pertes est nécessaire; elle fait partie intégrante du code civil québécois. Selon son article 1479 «la personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l'aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter533.». Même en matière de gestion de portefeuille de valeur mobilière un mandataire devra minimiser ses pertes pour bénéficier d’une réparation intégrale534.

Prenons l’hypothèse d’un entrepreneur congolais qui commercialise dans l’espace OHADA des tablettes tactiles dont il est le concepteur. La colombite tantalite ou coltan qui compose en grande partie les semi-conducteurs de ces appareils électroniques est extrait en République démocratique du Congo mais transformé en Chine pour des raisons de coûts et de ressources. Suite à la hausse du cours du coltan l’entreprise chinoise fournisseur habituel de la compagnie congolaise est dans l’impossibilité de livrer à temps les commandes effectuées par son client. Si l’acheteur ne réagit pas au moment opportun en cherchant un autre moyen d’approvisionnement, il devra alors en supporter les conséquences. En effet, c’est son inaction, son défaut d’avoir essayé de remédier à son préjudice qui sera sanctionné.

532 REIFEGERSTE, préc., note 517, n°18.

533 C.c.Q, article 1479 : «La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l'aggravation de

ce préjudice que la victime pouvait éviter» ; Voir également Marsh Canada ltée c. Crevier, 2006-04-04, 2006 QCCA 484.

C’est ainsi que le droit OHADA parle de «mesures raisonnables». La formulation est adéquate. Il ne s’agit pas de réaliser l’impossible mais uniquement de faire preuve de bonne foi535. La trame factuelle, les circonstances de l’espèce seront examinées de près. A ce sujet NEUMAYER et MING considèrent que :

«Les frais et inconvénients du lésé seront pris en compte car on ne peut pas s’attendre à ce qu’il effectue des dépenses disproportionnées afin de diminuer le préjudice. Lorsqu’il a encouru des dépenses à cette fin, le créancier est en droit de prétendre à leur remboursement dans la mesure où elles sont raisonnables : par exemple les frais de courtage afin de trouver un acheteur de remplacement pour la marchandise dont la partie en défaut n’a pas pris livraison536.».

C’est précisément le degré d’implication, la bonne foi du créancier qui est mise à l’épreuve. La maxime, nul ne peut se prévaloir de ses turpitudes gouverne l’obligation de minimiser ses pertes en plus d’une logique purement mercantiliste.

Nous verrons que le débiteur possède une ultime carte afin d’échapper à la compensation par des dommages-intérêts de son partenaire lésé. Le droit OHADA prévoit ainsi l’exonération de responsabilité de la partie en défaut.