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Les dommages-intérêts équivalents à la perte subie ou au gain manqué par l’autre

Les dommage-intérêts prévus par l’ancien article 264464 sont destinés à compenser l’inexécution par une partie de son obligation ayant lourdement porté préjudice à son partenaire. Ces dommages-intérêts octroyés émanent de la perte subie ou du gain manqué par l’acheteur ou le vendeur465. Ils répondent à une conception bicéphale du dommage entre damnum emergens et lucrum cessans. Cette position est communément admise tant en droit continental qu’en droit commercial international466. Ainsi, nous constatons que le fameux article 74 de la CVIM467 a servi de véritable canevas au droit communautaire africain concernant la question des dommages-intérêts. La finalité première de l’allocution des dommage-intérêts tant en droit OHADA que dans la pluralité des systèmes juridique, sera de remettre la partie qui en bénéficie dans la situation où elle se serait trouvé si le contrat

464 Acte uniforme 1997, article 264 : «Les dommages et intérêts pour un manquement au contrat commis par

une partie sont égaux à la perte subie ou au gain manqué par l'autre partie.».

465 Id.

466 Voir commentaire sous article 264 de l’acte uniforme de 1997, Recueil OHADA, préc., note 406, p.299. 467CVIM, Article 74: « Les dommages-intérêts pour une contravention au contrat commise par une partie sont égaux à la perte subie et au gain manqué par l’autre partie par suite de la contravention. Ces dommages- intérêts ne peuvent être supérieurs à la perte subie et au gain manqué que la partie en défaut avait prévus ou aurait dû prévoir au moment de la conclusion du contrat, en considérant les faits dont elle avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance, comme étant des conséquences possibles de la contravention au contrat.».

avait été dûment exécuté. Deux principaux enseignements peuvent être tirés de l’article 264468 de l’acte uniforme de 1997 relatif à l’allocation des dommages-intérêts :

1. Il faut un manquement à une obligation contractuelle pour donner lieu à des dommages-intérêts.

2. Le préjudice subi par l’une des parties revêt la forme d’une perte ou d’un gain manqué.

Ici, le manquement n’a pas besoin d’être essentiel pour donner lieu à réparation. L’expression «manquement au contrat469» est en réalité la question de fait à la source du préjudice contractuelle. Ce dernier, bien qu’infime, sera néanmoins suffisant pour engendrer une perte économique ou de chance pour le créancier de voir ses espoirs se réaliser. La preuve de son existence, par celui qui s’en prévaut sera suffisante à légitimer son droit à la compensation470. En effet, à l’instar de l’arbitrage commercial international le législateur OHADA a tenu à donner aux «dommages-intérêts une fonction indemnitaire, tout en leur fixant pour objectif de fournir au créancier l’équivalent de l’exécution471.». En outre, dans le cadre d’une obligation monétaire non respectée par son cocontractant, le créancier malheureux qui souffre d’un préjudice certain, pourra obtenir des dommages-

468, Acte uniforme 1997, Article 264, préc., note 464. 469 Id.

470 SANTOS et YADO TOÉ, préc., note 66 n°673.

471 Mireille TAOK, La résolution des contrats dans l’arbitrage commercial international, LGDJ, 2009, n°179,

intérêts et jouir également des intérêts moratoires. Ceux-ci courront à compter de la mise en demeure de la partie en défaut de payer472.

La volonté du législateur OHADA d’octroyer à la partie lésée une réparation intégrale, c’est-à-dire à la hauteur du préjudice subi, s’inscrit ici en filigrane473. Ainsi, une fois le dommage déterminé dans sa nature et dans son ampleur, il suffira seulement d’indemniser intégralement la partie lésée par le versement de l’équivalent monétaire dudit dommage au jour de sa réparation474. La perte subie et le gain manqué renvoient tous deux à des réalités différentes. Par conséquent, en guise de réparation intégrale le gain manqué peut au même titre que la perte subie être évalué au jour de sa survenance, et éventuellement revue à la hausse au jour de la décision rendue par le juge conformément à l’évolution d’un indice privé475. Cette solution permet d’élargir l’angle d’attaque du juge OHADA qui dispose par ce biais d’une appréciation tant in concreto qu’in abstracto pour déterminer les dommages-intérêts à allouer476. L’actualisation est de rigueur en matière d’évaluation du gain manqué contrairement aux pertes subies477. A titre d’exemple, c’est une solution particulièrement adéquate pour la culture vivrière lorsqu’un agriculteur togolais donc issu d’un pays membre OHADA a perdu ses récoltes suite à l’utilisation d’un engrais non conforme. La perte subie par l’agriculteur évaluée au jour du dommage pourra

472 Acte uniforme 1997, Article 263, préc., note 423. 473 SANTOS et YADO TOÉ, préc., note 66, n°673.

474 Com. 16 février 1954, D. 1954, 534, note R. RODIERE.

475 Com. 2 novembre 1993, Bull. civ. IV, n°380; JCP 1994. I. 3773, n°20, note VINEY; RTD civ. 1994. 622,

note JOURDAIN. 476 Id. VINEY, p.3773. 477 Id. JOURDAIN, p.623.

par conséquent faire l’objet d’une majoration au jour de la décision. Dans pareille circonstances le juge compétent dans l’espace OHADA aura pour rôle d’évaluer et régler le montant des dommages-intérêts. Reconnue en droit romano-germanique notamment en droit français, ce principe conduit le juge à la possibilité d’allouer une somme unique tant pour les dépenses faites que pour le gain manqué du fait du retard dans la livraison des marchandises achetées478.

Il convient à présent de nous appesantir sur le traitement que l’acte uniforme de 2010 confère à l’indemnisation de la partie ayant subi les affres d’un préjudice par le comportement fautif de son cocontractant.

B. De la question des dommages-intérêts dans le droit actuel : Acte uniforme de 2010.

Le nouvel acte uniforme sur le droit commercial OHADA s’est prononcé pour une relative continuité à l’endroit des dispositions traitant des dommages-intérêts attribués à la partie lésée. Toutefois, il faut souligner que sur la forme, le style du texte de 2010 semble davantage épuré que son prédécesseur. La définition des dommages-intérêts à travers la dichotomie entre perte subie et gain manqué déjà présente dans le droit antérieur479 est à présent reléguée dans l’article sur l’obligation de mitigation des pertes480. Le législateur

478 Depuis l’arrêt du 24 Octobre 1893 : DP 1894, cette position est de jurisprudence constante en droit

français.

479, Acte uniforme de 1997, Article 264, préc , note 464.

480 Acte uniforme de 2010, article 293: « La partie qui invoque une inexécution des obligations du contrat doit

prendre toutes mesures raisonnables, eu égard aux circonstances, pour limiter sa perte, ou préserver son gain. Si elle néglige de le faire, la partie en défaut peut demander une réduction des dommages-intérêts égale au montant de la perte qui aurait pu être évitée et du gain qui aurait pu être réalisé».

communautaire en refusant de revenir une nouvelle fois sur le traditionnel distinguo damnum emergens et lucrum cessans, semble cette fois avoir pris pour acquis le mécanisme de l’attribution des dommages-intérêts. La reconnaissance de l’indemnisation pour le gain manqué n’est dorénavant plus une position controversée. La réparation pour un préjudice futur ou la perte d’une chance à première vue aléatoire; est à présent parfaitement intégrée dans le droit OHADA et cela depuis l’avènement de l’Acte uniforme de 1997. Celui-ci s’est donc réapproprié un principe «généralement admis481» dans le droit des Marchands et logiquement pérennisé dans le texte OHADA de 2010 sur la vente commerciale. Concernant les outils transnationaux, et les excellentes pistes qu’ils donnent, les principes UNIDROIT définissent avec justesse le concept de gain manqué en tant que : « bénéfice dont le créancier a été privé compte tenu de tout gain résultant pour lui (le créancier) d’une dépense ou d’une perte évitée482 ».

Privilégiant la fluidité et voulant se prémunir à tout prix des formulations superflues et de l’écueil relatif à la redondance; le législateur OHADA a conservé l’essentiel du concept de dommage-intérêt en évacuant le reste. Cela s’explique également par le remaniement dont l’acte uniforme a fait l’objet suite à l’intégration en son sein du mécanisme de la résolution unilatérale. Paradoxalement cette mise en conformité du droit régional aux exigences du commerce international a conduit le législateur africain à mettre

481 P. FOUCHARD, E. GAILLARD et GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Paris, Litec,

1996, n°1492 p.845; U. DRAETTA, «Notion de dommages conséquents dans la pratique du commerce

international : fusion des concepts de la common law et du droit civil», RDAI 1991, spéci. p.494.

482 Principes UNIDROIT 2010, Article 7.4.2 (2) : « 2) Le préjudice peut être non pécuniaire et résulter

un terme au critère de la privation substantielle qui caractérisait jadis l’inexécution contractuelle; tout en admettant dans le même temps la résolution extrajudiciaire. Comme susmentionné dans nos précédents développements, le comportement du débiteur est à présent soumis à une expertise draconienne. C’est de cette analyse globale et subjective que jaillira la caractérisation de l’inexécution commise par l’autre partie483.

Un tel bouleversement dans l’économie du droit positif OHADA justifiait que l’expression «manquement au contrat484» de l’acte uniforme de 1997 qui conduisait à l’octroi de dommage-intérêt disparaisse. Nous savons que la gravité du comportement de l’acheteur ou du vendeur relève de la faute lourde. Cette version élargie de l’inexécution contractuelle intensifie le manquement privant de façon substantielle ce que le créancier était en droit d’attendre en transigeant avec son partenaire. Or, une jurisprudence récente nous enseigne qu’une faute contractuelle n’implique pas nécessairement par elle-même l’existence d’un dommage en relation de cause à effet avec cette faute485. Le législateur OHADA aurait donc été mal avisé de verser dans le dogmatisme en faisant un lien systématique entre la faute et le dommage. En effet, des dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il résulte un préjudice de la faute commise486. A ce sujet, l’idée que «l’inexécution appelle une sanction, tandis que le

483 Acte uniforme 2010, article 281, préc., note 8. 484 Acte uniforme de 1997, article 264, préc., note 464.

485 Civ. 1re, 18 novembre 1997, Bull. civ. I, n°317; D. Affaires 1998, note S.P.

486 Civ. 3e, 3 décembre 2003, Bull. Civ. III, n°221; Gaz. Pal. 2004, 525, note RABY, Id. 547, note BARBIER. Il

dommage résultant de cette inexécution appelle une réparation487» est parfaitement sensé. Nous pourrions croire que le législateur africain semble se prononcer non pour une responsabilité contractuelle classique nécessitant la réunion d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité mais pour une exécution par équivalence, c’est-à-dire à la hauteur du comportement fautif du débiteur à l’origine de l’inexécution de l’obligation488.

Afin d’éviter toute ambiguïté, le législateur aurait dû à notre sens clarifier sa position notamment au regard de la question de la réparation du préjudice morale. Comme sous le droit antérieur, cette question semble avoir été soigneusement évitée489, alors qu’elle est en réalité cruciale depuis l’instauration du nouveau critère du comportement du débiteur et celui de la personne raisonnable. Ces éléments objectifs pour l’un et subjectifs pour l’autre, seraient ainsi plus enclins à faciliter la reconnaissance de l’atteinte à la réputation ou à l’image de l’entrepreneur à l’instar de l’arbitrage commercial international ou du droit uniforme tel la Convention de Vienne490.

Nonobstant toutes les autres causes diverses et variées donnant lieu au dommages- intérêts, il s’agit à présent d’évoquer les cas précis où le droit OHADA reconnait le droit à l’opérateur économique lésé d’obtenir une compensation.

487 Id. RABY, p. 526. 488 Id. BARBIER, p. 548.

489 SANTOS et YADO TOÉ, préc., note 66, n°673. 490 TAOK, préc., note 471, p. 134-135.

Paragraphe II. De la compensation de l’autre partie pour le préjudice subi à titre