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De la compensation de l’autre partie pour le préjudice subi à titre

Nous sommes ici en présence des deux cas de figure classiques donnant lieu à une perte ou à un gain manqué pour l’entrepreneur économique évoluant dans l’espace OHADA. La justice contractuelle et l’exigence de coopération entre les parties conduit naturellement à une réparation pour les frais engagés par le créancier insatisfait. Ici, le cocontractant décontenancé par l’inexécution subite de son partenaire prend les devants et opère auprès d’un tiers un achat ou une revente de substitution de la valeur ou du bien convenu dans le contrat initial. Le créancier, pugnace et réactif, mérite d’être récompensé pour ses efforts tendant à obtenir ailleurs ce qu'il était en droit d’attendre de son partenaire originel. Nous verrons dans un premier temps les dommage-intérêts octroyés à l’acheteur en cas d’achat de remplacement (A). En second lieu, il convient d’analyser les dommages- intérêts attribués au vendeur en cas de revente de la marchandise (B).

A. Des dommages-intérêts octroyés à l’acheteur en cas d’achat de remplacement.

Suite au comportement nocif du vendeur ayant conduit à l’inexécution de son obligation de livrer la chose le contrat de vente OHADA a été sanctionné par la résolution491. Ce cadre posé, nous comprenons que l’acheteur trahit dans ses expectatives ne pouvait demeurer dans une posture attentiste. Il a donc procédé à l’achat d’une

marchandise de remplacement.492 Le droit OHADA reprend une solution bien ancrée dans le droit transnational et qui tend à dégager un critère d’évaluation de ce «préjudice de base493». L’article 75 de la Convention de Vienne494, mais également 7.4.5 des Principes UNIDROIT495 et 9:506 du droit européen des contrats496 jettent ainsi les bases d’une prise en considération des mesures prises par l’opérateur économique et justifie par son désarroi, par «l’état de nécessité» dans laquelle il se trouve par la privation qu’il subit du fait de l’agissement néfaste de son cocontractant497.

Néanmoins, la position du droit OHADA marque une véritable rupture avec l’article 1144 du code civil français498. En effet, alors que l’Acte uniforme est plus libéral sur cette question, le droit français exige que le créancier-acheteur afin de procéder à

492 Acte uniforme 2010, Article 292 al.1 :« Lorsque le contrat est rompu et que l’acheteur a procédé à un

achat de remplacement, il peut obtenir des dommages-intérêts correspondant à la différence entre le prix de l’achat de remplacement et le prix convenu au contrat, ainsi que tous autres dommages-intérêts dus pour autre cause.».

493 CNUDCI, Commentaire des articles 71 et suivants du projet, p.174 et s.

494 CVIM, article 75 : «Lorsque le contrat est résolu et que, d’une manière raisonnable et dans un délai

raisonnable après la résolution, l’acheteur a procédé à un achat de remplacement ou le vendeur à une vente compensatoire, la partie qui demande des dommages-intérêts peut obtenir la différence entre le prix du contrat et le prix de l’achat de remplacement ou de la vente compensatoire ainsi que tous autres dommages-intérêts qui peuvent être dus en vertu de l’article 74.».

495Principes UNIDROIT 2010, article 7.4.5: «Le créancier qui, ayant résolu le contrat, passe un contrat de

remplacement dans un délai et d’une manière raisonnables, peut recouvrer la différence entre le prix prévu au contrat initial et le prix du contrat de remplacement, de même que des dommages intérêts pour tout préjudice supplémentaire.».

496 PEDC, 1998, article 9 :506 : «Le créancier qui a résolu le contrat et passé un contrat de remplacement

dans un délai et d'une manière raisonnables, est fondé à obtenir la différence entre le prix du contrat originel et celui du contrat de remplacement, ainsi que des dommages et intérêts pour tout autre préjudice, pour autant que ces dommages et intérêts seraient dus en vertu de la présente section.».

497 Ainsi, comme l’illustre si justement Vincent HEUZÉ : «L’acheteur désormais pressé par le temps, devra

accepter de payer, pour être rapidement livré, un prix d’autant plus élevé que le cours des marchandises aura pu lui-même connaitre une hausse sensible depuis la date à laquelle la vente avait été conclue […]»; HEUZÉ, préc., note 11, n°452.

498 C.civ.fr, Article 1144 : «Le créancier peut aussi, en cas d’inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-

même l’obligation aux dépens du débiteur. Celui-ci peut être condamné à faire l’avance des sommes nécessaires à cette exécution.».

l’achat de remplacement, obtienne une autorisation judiciaire préalable et le cas échéant mette en demeure le débiteur-vendeur. Il y a là une différence notable entre les deux systèmes. Le droit communautaire africain s’affranchi de tout formalisme et laisse les coudées franches à l’acheteur qui par réalisme économique a pallié au défaut de son partenaire. Ainsi, alors que le contrat de vente OHADA est résolu, l’acheteur guinéen qui n’a pas obtenu satisfaction a déjà procédé à un achat de substitution avant même que le juge prononce la terminaison. Dans cette situation le juge communautaire est littéralement mis devant le fait accompli. Prenant acte de la situation, le juge procèdera s’il y a lieu à l’évaluation de dommages-intérêts à titre de compensation du préjudice subi par l’acheteur. Les attentes qu’il avait placées à l’endroit de la commande d’une marchandise spécifique auprès de son fournisseur habituel ont été brisées par celui-ci sur l’autel de la négligence fautive.

Ayant lui-même des créanciers à satisfaire, l’acheteur devra prendre des mesures d’urgences afin de mettre à disposition cette marchandise spécifique dans les délais convenus. Il n’aura pas d’autres choix que de trouver sur le marché un bien équivalent et se rapprochant le plus possible des standards prévues avec le fournisseur originelle et qu’il avait lui-même promis en vantant les mérites à sa propre clientèle. La question du coût de la marchandise de remplacement est ici fondamentale. En l’espèce, l’entrepreneur guinéen devra avoir acheté ce bien de substitution plus cher que le prix originel prévu dans le

contrat résolu. Cet état de fait lui permettra d’obtenir des dommages-intérêts correspondant à la différence entre le prix de l’achat de remplacement et le prix convenu au contrat499.

D’un point de vue interne, le droit français applique un régime davantage formaliste en la matière. Cependant, à titre exceptionnel500, un entrepreneur sans mise en demeure ou autorisation judiciaire préalable pourra devant la carence de son cocontractant qui ne lui a pas livré toutes les pièces prévues, et sous la contrainte des délais, s’adresser à un tiers et donc compenser le montant de la facture avec le solde du prix du marché501. Il faut noter que l’héritage colonial a entretenu cette position au sein des État-parties de l’espace OHADA appliquant dans la grande majorité un droit civiliste. Mais l’entrée en vigueur depuis 1997 de l’acte uniforme OHADA sur le droit commercial général implique que ses dispositions supplantent celles du droit commun des États membres au nom de l’applicabilité directe et obligatoire de ce texte supranational502. Toutefois, la frontière est infime entre la faculté de remplacement en cas d’inexécution du vendeur et la réparation contractuelle du préjudice suite au manquement du vendeur à ses obligations et par la nécessité d’acheter un autre matériel à un tiers503.

499 Acte uniforme 2010, Article 292, préc., note 492.

500 «L’exigence est écartée en matière commercial au nom d’un besoin impérieux de rapidité.», MESTRE, RTD.

Civ, 1991, vol.90, p.735.

501 Com. 19 décembre 2000, pourvoi n° 96-20.198. Il est néanmoins toujours possible d’insérer une «clause

d’exécution par tiers» permettant de contourner la lenteur inhérente aux tribunaux. J.M. MOUSSERON, «

Responsable mais pas coupable : la gestion des risques d’inexécution du contrat», dans Mélanges Christian MOULY, t. 2, Paris, Litec, 1998, n°8, p.145.

502Article 10, Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique : «Les actes

uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États Parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure.».

Le caractère synallagmatique de la vente qui juxtapose des obligations corrélatives, implique que le vendeur bénéficie également d’une compensation pour l’opération de substitution à laquelle il a procédé suite au manquement de son partenaire.

B. Des dommages-intérêts attribués au vendeur en cas de revente de la marchandise.

Dans le contexte socioéconomique africain, le vendeur s’expose également à des risques, c’est-à-dire à «toute déviation de la réalité contractuelle par rapport au scénario convenu504». En effet, l’acheteur peut ne pas payer le prix ou omettre de prendre la chose en livraison505. Un tel comportement fautif de sa part pourra conduire à la terminaison contractuelle. Mais que faire lorsque le créancier-vendeur à toujours entre ses mains la marchandise commandée par son partenaire? Le droit OHADA prévoit ainsi la possibilité pour le vendeur de rétablir tant bien que mal l’équilibre rompu en saisissant la première opportunité s’offrant à lui. Les enjeux quant à l’écoulement du stock peuvent découler de raisons diverses. Ainsi, on peut citer l’inflation du marché, ou la dépréciation de la marchandise au demeurant négociable. Ces raisons peuvent conduire le vendeur à entrer en affaire avec un partenaire de substitution. Les aléas inhérents au recours à un autre marché plus ou moins concurrentiel sont susceptibles de minorer le prix de revente par rapport au

504 MOUSSERON, préc., note 286, n°1.

505Acte uniforme 2010, Article 262: « L’acheteur s’oblige à payer le prix et à prendre livraison des

prix du contrat initial. Dans cette hypothèse fâcheuse, «lorsque le contrat est rompu et que le vendeur a procédé à une revente des marchandises, il peut obtenir des dommages-intérêts correspondant à la différence entre le prix convenu au contrat et le prix de revente506.». Le législateur communautaire a choisi de ne pas mentionner expressément le standard de la personne raisonnable dans la facture de l’article 292507. Tant à l’endroit du délai pour procéder à l’opération de substitution ou la manière dans laquelle celle-ci doit se dérouler. Pourtant par le truchement de l’article 7 (2)508 le droit matériel uniforme, à savoir la Convention de Vienne, érige le critère de la personne raisonnable en tant que principe général509. Ce choix est regrettable à bien des égards. L’intérêt que le législateur porte sur le comportement du débiteur afin de déterminer l’inexécution aurait pu donner lieu à l’exigence d’un comportement raisonnable du créancier procédant à une opération de remplacement. En effet, car si on exige de la part du créancier le respect d’un préavis avant

506 Id. Article 292, al. 2. Le vendeur peut également obtenir tous autres dommages-intérêt dus pour autre

cause. Selon Vincent HEUZÉ :«Le vendeur, obligé de se débarrasser de produits qu’il a peut-être déjà

expédiés dans un pays où il ne dispose d’aucune structure de commercialisation, ou qui peuvent ne plus correspondre aux exigences d’un marché évoluant au gré des modes, des saisons ou des rapides progrès de la technologie, devra se résigner à les céder à un prix très inférieur à celui que lui garantissait le contrat résolu.». HEUZÉ, préc., note 11, n°452.

507 Acte uniforme 2010, article 292, préc., note 492.

508 Article 7 (2), CVIM : «2) Les questions concernant les matières régies par la présente Convention et qui ne

sont pas expressément tranchées par elles seront réglées selon les principes généraux dont elle s’inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles du droit international privé.».

509 BrunoZELLER, «Comparison between the provisions of the CISG on mitigation of losses (Art. 77) and the

counterpart provisions of PECL (Art. 9:505)», Avril 2005, en ligne:

de notifier la décision de rupture unilatérale510 pourquoi ne pas exiger expressément le respect d’un délai raisonnable lorsqu’il procède à un achat ou une revente auprès d’un tiers?

Comme pour la définition des dommages-intérêts gain manqué/perte subie, le législateur OHADA a cru bon de centraliser le critère raisonnable dans l’article 293511. Toutefois, la terminologie usitée, à savoir la prise de «toutes mesures raisonnables512» par la partie lésée n’est à notre sens pas satisfaisante notamment parce qu’elle évite de prendre en considération le délai à respecter. Certes la «manière raisonnable513» exigée par les textes transnationaux renvoi directement aux mesures raisonnables» requises lorsque le créancier doit minimiser ses pertes pour obtenir une réparation intégrale514. Pourtant, qu’il s’agisse d’un achat de substitution ou d’une vente de couverture, le consensus international est tel que la partie lésée doit répondre à trois critères distincts permettant l’octroi de dommages-intérêts :

1. Le remède ou la transaction de secours opéré par le vendeur ou l’acheteur doit être préjudiciable au regard de la différence entre le coût du contrat et le coût de la substitution;

510Acte uniforme 2010, article 281, préc., note 8. 511 Id., article 293, préc., note 480.

512 Id.

513Voir les articles Article 75, CVIM, Article 7.4.5 Principes UNIDROIT 2010, Article 9 :506 PEDC, préc.,

note 494 et s.

2. Le délai raisonnable requis par la pratique du commerce international doit courir du moment de la rupture contractuelle et dépendre des faits de l’espèce515;

3. Finalement, la partie lésée doit se comporter de «manière raisonnable» au cours de la transaction. Elle doit ainsi minimiser ses pertes au possible516. Ainsi, l’Acte uniforme gagnerait en clarté en intégrant dans son économie ces éléments qui permettent d’instaurer d’avantage de pédagogie, de cohérence et de clarté s’agissant des conditions menant à l’octroi d’une indemnisation pour l’entrepreneur africain ou l’investisseur étranger implanté dans un État-membre de l’espace OHADA et donc soumis à son ordonnancement juridique.

Nous allons voir à présent que l’octroi des dommages intérêts visant à réparer le créancier lésé peut dangereusement être compromis s’il omet de minimiser ses pertes.

SECTION 2 : LES LIMITES DE L’EFFET COMPENSATOIRE DE LA RÉSOLUTION DU CONTRAT DE VENTE OHADA.

515 CIETAC, Chine, 7 Avril 2005, en ligne: http://cisgw3.law.pace.edu/cases/050407c1.html (Consulté le 5

mai 2012).

516District Court Hamburg, Allemagne, 26 Novembre 2003, en ligne: http://cisgw3.law.pace.edu/cases/031126g1.html (Consulté le 5 mai 2012).

Les limites au caractère indemnitaire de la résolution traduisent dans le droit matériel uniforme en général et dans le droit OHADA en particulier l’exigence de bonne- foi reposant sur les parties, notamment le créancier-victime. La compensation pour le préjudice subi est un palliatif à la privation de ce que celui-ci était légitiment en droit d’attendre. La réallocation des valeurs perdues par le canal pécuniaire doit répondre à la prévisibilité et à la certitude. Ainsi, le juge communautaire veille au grain par le biais de son appréciation souveraine quant à l’attribution des dommages-intérêts. Les limites à l’effet compensatoire de la résolution se cristallisent à travers deux institutions distinctes : la minimisation des pertes et les cas exonératoires de la responsabilité du débiteur. Coincé dans un étau, le créancier lésé ne prouvant pas la légitimité de son préjudice se trouvera dans l’incapacité de se prévaloir du bénéfice de la réparation intégrale. Par conséquent, il convient d’analyser son obligation de limiter ses pertes (PARAGRAPHE I). Par la suite, de la perspective du débiteur nous verrons les tenants et les aboutissants de l’exonération de responsabilité de la partie défaillante (PARAGRAPHE II).