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CHAPITRE I : La dynamique générique dans Le conte de l’île inconnue

4. De la subversion par l’ironie ou en quoi Le conte de l’île inconnue ne respecte aucun

4.3 De l’ironie subversive

À la lecture des articles portant sur l’œuvre romanesque saramaguienne, il appert que le style de l’auteur portugais est largement subversif, c’est-à-dire qu’il aime à renverser un ordre, à bouleverser, notamment par l’abondante présence de l’ironie. Saramago ne se contente pas d’idées subversives où l’ordre politique en place est souvent remis en question, voire ridiculisé, où les personnages principaux sont des gens du peuple, des anonymes que l’Histoire a oubliés, il subvertit autant le rôle de la narration classique, que les genres, d’où les nombreux titres où il est question d’un genre (essai, historiographie) dans un autre genre : le roman. Selon Silvia Amorim, ce besoin de subversion provient de l’oppression subie pendant la dictature salazarienne où les journaux et la radio étaient soumis à la voix du dictateur. La fin du régime totalitaire a vu le vent de la liberté de parole et de pensées souffler sur le Portugal et « l’écriture de José Saramago porte les signes de cette libération de la parole et de la pensée. Le narrateur subvertit les règles de la narration

en intervenant de façon intempestive dans le récit, en cultivant largement l’ironie, en imposant sa voix grinçante à un lecteur complice108. »

Concept complexe, comme l’explique Philippe Hamon109 dans L’ironie littéraire. Essai sur les formes de l’écriture oblique, l’ironie est un discours double où l’ironisant tient compte du lecteur en ce sens qu’il tient pour acquis que ce dernier détectera l’ironie, ce qui n’est pas garanti, malgré les indices parsemant le texte, comme la répétition, l’antiphrase, la litote ou l’hyperbole, entre autres. À cause de la distance qu’elle instaure « entre le texte et un autre texte, entre deux parties du même texte [ou] entre le texte et son énonciateur110 », l’ironie risque de ne pas être comprise par son destinataire. La communication échoue donc, car le véritable message sous-entendu par l’ironisant n’est pas capté. L’ironie, quand elle est orale, est affaire de ton et de posture physique, deux éléments difficiles à rendre à l’écrit. Si le lecteur lit et entend le sens premier des mots, l’intonation ironique d’un texte n’est pas décelée, d’où l’importance pour le lecteur de tenir compte du contexte et du ton du discours dans l’œuvre tout en ayant à l’esprit les principales valeurs de l’auteur – en d’autres mots, sa posture idéologique. L’idéologie saramaguienne est notoire : communiste, fervent défenseur des valeurs égalitaires et humanistes qui manquent cruellement à nos sociétés, Saramago se fait le porte-parole des opprimés et l’attaquant féroce des oppresseurs. Il n’est pas hasardeux de dire que l’auteur lusophone s’attaque à tous ceux qui détiennent le pouvoir : politiciens, policiers corrompus, religieux, membres d’une quelconque hiérarchie sociale, etc. De là l’intérêt pour le double discours de l’ironie, qui joue avec l’implicite, établissant ainsi une distance, une tension, avec ses propres propos. Elle permet une critique idéologique ou sociale par la moquerie, alors que l’auteur, en même temps, « se retire du jeu, évite tout commentaire, fait en sorte que sa “présence” ne soit sensible qu’à travers la verve moqueuse qui se dégage111 » du texte. Comme le mentionne Simone Lecointre, « les traces du regard distancié du Narrateur […] sont porteuses d’une subjectivité : le Narrateur feint l’absence mais révèle par l’IRONIE une

108 Silvia Amorim, José Saramago, op. cit., p. 125.

109 Philippe Hamon, L’ironie littéraire. Essai sur les formes de l’écriture oblique, Paris, Hachette Supérieur,

1996, 159 p.

110 Philippe Hamon, L’ironie littéraire, ibid., p. 109.

111 Simone Lecointre, « Humour, Ironie – signification et usage », dans Langue française, n°103 (1994), p.

110. [En ligne] http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_ 1994_num_103_1_ 5730 [Consulté le 3 septembre 2010].

authentique présence à son texte112. » Par divers procédés stylistiques, « [l]’ironie du romancier s’exerce dans un récit où se marquent les insuffisances, les ridicules et les vices de ses personnages, qu’il amplifie, parfois jusqu’à l’absurde113. » L’auteur portugais s’inscrit effectivement dans ce credo quand il s’attaque à sa cible favorite : le pouvoir.

4.3.1 Le pouvoir, dérisoire

Plusieurs114 ont déjà disserté sur les liens entre l’ironie et le pouvoir chez Saramago. Nous nous contenterons ici de relever les occurrences présentes dans Le conte de l’île inconnue, tout en nous basant sur ce qui a été dit de l’ironie romanesque saramaguienne pour appuyer notre propos. Chez Saramago, « [l]’oppression est présentée comme une arme au service d’un pouvoir illégitime (politique, religieux, économique) et se manifeste soit par une structure sociale figée, marquée par une forte hiérarchisation, soit par la violence physique ou morale115. » Bien que le Conte ne soit pas l’œuvre la plus virulente à l’égard du pouvoir − en effet, la violence physique ou morale y est absente −, il met tout de même en scène un roi ridicule qui s’est entouré d’une structure fortement hiérarchisée tout aussi risible :

[le roi] ordonnait à son premier secrétaire d’aller voir ce que voulait le requérant, que rien116 ne pouvait faire taire. Alors, le premier secrétaire appelait le deuxième secrétaire

qui, lui, appelait le troisième, qui convoquait le premier adjoint, lequel à son tour convoquait le deuxième adjoint et ainsi de suite jusqu’à arriver à la servante, laquelle, n’ayant personne à qui donner des ordres, entrouvrait la porte des requêtes et demandait à travers la fente, Que veux-tu. (CII, p. 7-8)

Malgré cette forte structure, disons-le, inutile, l’oppression est plutôt faible. Le roi est plus asservi par ses possessions que le peuple ne l’est par le roi : « Je suis le roi de ce royaume et les bateaux m’appartiennent tous, Tu leur appartiens sûrement plus qu’ils ne t’appartiennent, Que veux-tu dire, demanda le roi inquiet, Que toi, sans eux, tu n’es rien, et qu’eux, sans toi, pourront toujours naviguer… » (CII, p. 17-18) De plus, c’est la servante,

112 Simone Lecointre, « Humour, Ironie », id. L’auteur souligne. 113 Simone Lecointre, « Humour, Ironie », id.

114 Entre autres, sur L’année de la mort de Ricardo Reis, voir : Benoit Doyon-Gosselin et David Bélanger,

« Ironie du pouvoir, pouvoir de l’ironie dans L’année de la mort de Ricardo Reis de José Saramago », dans

Raison publique, n°12 (avril 2010), p. 317-330. Aussi, voir certains chapitres de l’ouvrage de Silvia Amorim, José Saramago : Art, théorie et éthique du roman, que nous avons déjà abondamment cité.

115 Silvia Amorim, José Saramago, op. cit., p. 35. 116 Notons ici que rien, c’est en fait l’absence de réponse!

en fin de compte, qui prend les décisions finales, ce qui enlève toute autorité à la parole du roi, qui, de toute façon, délègue sa responsabilité :

Occupé comme toujours par les offrandes, le roi tardait à donner sa réponse, et ce n’était pas la moindre des marques d’attention portées au bien-être et au bonheur de son peuple lorsqu’il décidait de demander une opinion écrite et solidement argumentée au premier secrétaire, lequel, inutile de le préciser, transmettait le commandement au deuxième secrétaire, qui s’empressait de le passer au troisième et ainsi de suite jusqu’à arriver de nouveau à la servante qui, elle, tranchait par un oui ou par un non, au gré de son humeur. (CII, p. 8-9)

De l’« opinion écrite et solidement argumentée » exigée par le roi, on aboutit à un simple oui ou non à l’oral, selon l’humeur de celle qui détient le véritable pouvoir décisionnel : la servante. C’est dire que, pour Saramago, la prise concrète de décisions représente le véritable pouvoir. Le roi ne se soucie de son peuple qu’en cas de tarissement du flot d’offrandes. En vérité, le monarque passe tout son temps assis à la porte des offrandes et fait la sourde oreille quand quelqu’un frappe à la porte des requêtes. Ses décisions sont prises en fonction de la gratitude future témoignée par le peuple à son égard : « lorsque les requérants constataient que la réponse tardait plus que de raison, les protestations publiques aggravaient fortement le mécontentement social, ce qui ne manquait pas d’avoir des répercussions immédiates et négatives sur l’afflux des offrandes » (CII, p. 12) et cela afin de s’assurer un apport constant en cadeaux qu’il pourra « recevoir, contempler et ranger » (CII, p. 12) à sa guise.

Même si « [b]ien souvent, le roman saramaguien met en scène une société fortement hiérarchisée, dans laquelle les rapports entre les individus semblent figés et où la liberté est entravée par un carcan rigide qui fait renoncer l’individu à toute idée de changement117 », il y a toujours des personnages pour venir mettre du sable dans la machine bien huilée du pouvoir, souvent par de simples gestes et par une compréhension plus profonde de la nature humaine ; nous pensons particulièrement à la femme du médecin dans L’aveuglement, seul personnage à conserver la vue lors d’une épidémie de cécité. Malgré les horreurs dont elle est témoin, elle prend à sa charge un groupe d’aveugles qu’elle protégera au risque de sa propre vie. Ces personnages remettent ainsi en question le fonctionnement du pouvoir établi et de la société en son ensemble. Par ailleurs, Saramago choisit d’effectuer un décentrement, c’est-à-dire qu’il met de l’avant des personnages qui n’appartiennent pas à

une classe sociale élevée, possédant pourtant une psychologie plus profonde que les figures illustres retenues et adulées par l’Histoire. Ce décentrement s’accompagne généralement d’une désacralisation du pouvoir. Par exemple, dans le premier roman important de Saramago, Le dieu manchot, le roi Dom João V est ramené à son humanité par ses flatulences et le narrateur le présente sous un jour grotesque, comme un enfant mégalomane sans intelligence. Le roi du Conte est aussi décrit comme nombriliste (la servante prend les décisions, le roi étant bien trop occupé à recevoir des offrandes). Son seul souci est de bien paraître pendant son entretien avec l’homme, et même encore, sa prestance est tournée au ridicule quand il doit s’asseoir sur la chaise paillée de la servante, et non sur un trône :

Mal assis, car la chaise paillée était beaucoup plus basse que le trône, le roi cherchait une position aussi confortable que possible pour ses jambes, tantôt les repliant, tantôt les écartant de côté, pendant que l’homme qui voulait un bateau attendait patiemment la question suivante, Et pourquoi veux-tu donc un bateau, peut-on le savoir, tel fut en effet ce que le roi lui demanda quand il se considéra suffisamment bien installé sur la chaise de la servante… (CII, p. 15-16)

Cette audience est, elle aussi, mise sous la tutelle de la subversion, notamment par la distance introduite par l’utilisation du langage entre les divers personnages (utilisation de marques de politesse, par exemple, là où on s’y attend ou là où on ne s’y attend pas ou, au contraire, absence de ces marques là où on s’y attend), notion que l’on nomme proxémique verbale118. Ici, la conversation entre l’homme et le roi n’est pas du tout marquée par le respect. Les premiers mots de l’homme sont impératifs : « Donne-moi un bateau » (CII, p. 15). Le roi en est désarçonné, mais il ne le sermonne pas à propos de son impolitesse. S’ensuit alors une série de questions / réponses où l’homme éclipse le roi. Même si ce dernier croit diriger l’échange par ses questions, il est évident que les réponses de l’homme dénotent une rare profondeur d’âme et font de lui le véritable meneur. La joute verbale se termine par une seconde sommation émanant de l’homme. Au refus de la part du souverain d’offrir le bateau, l’homme répond : « Tu le donneras. » (CII, p. 18) En plus d’ordonner au roi de lui donner un bateau, l’homme le tutoie pendant toute la conversation. Une phrase en particulier met de l’avant le manque de respect de l’homme en alliant à la fois le tutoiement et une interjection « ô » utilisée pour interpeller, invoquer : « Qui t’a dit, ô roi, qu’il n’y a plus d’îles inconnues » (CII, p. 16. Nous soulignons.) Ce O vocatif est généralement utilisé pour s’adresser avec déférence à une personne illustre, respectée, souvent un supérieur

hiérarchique, mais il est nettement ironique dans ce cas-ci, si on tient compte du contexte général de la conversation. De plus, cette interjection sert aussi à traduire « un vif sentiment », selon le Petit Robert, sentiment, ici, de mépris de la part de l’homme à l’égard du roi. En effet, l’homme n’hésite pas à tutoyer son souverain, le ramenant ainsi à son niveau en ne respectant pas le vouvoiement de mise. Enfin, l’homme, par son interrogation, questionne l’érudition du roi et celle de ceux qui lui transmettent leurs savoirs. Ici, point de monarque divinisé, ce dernier est tout autant soumis aux erreurs que le reste de l’humanité, dont le narrateur rappelle qu’il est du nombre en le dépeignant comme étant ridicule et avaricieux. En fait, l’homme attaque même le roi de front, en lui demandant : « Et toi, qui es-tu donc pour ne pas me le [bateau] donner… » (CII, p. 17) Sur quoi repose donc le pouvoir du roi, qui justifie son titre, s’il ne peut décider de donner ses biens? Qu’est-ce qui le distingue de la masse s’il ne peut pas prendre cette décision, s’il ne peut offrir de plus grandes largesses que le commun des mortels? Sous-entendu ici que le roi n’est pas roi s’il ne donne pas de bateau à l’homme.

Grâce à tous ces procédés, Saramago « bouleverse les hiérarchies d’une façon carnavalesque […] en désacralisant la monarchie et en mettant sur le devant de la scène [d]es anonymes […]. Ainsi, des personnages issus du peuple deviennent les héros du roman et prennent le pas sur la noblesse, reléguée à un plan inférieur119 », indique Silvia Amorim en parlant du Dieu manchot. Cela s’applique aussi au Conte de l’île inconnue en ce sens que la monarchie est effectivement désacralisée, par le tutoiement et la place secondaire qu’elle occupe dans l’œuvre, et que ce sont des personnages anonymes qui prennent le devant de la scène. Tellement anonymes, en fait, qu’ils n’ont pas de noms120, ils sont seulement désignés par leur sexe (l’homme) et parfois leur désir (l’homme qui voulait un bateau) ou par leur fonction (la servante, le roi, le capitaine du port, etc.) Même si tous les personnages sont anonymes, ils ne sont pas tous égaux quant à leur importance dans l’histoire, l’homme et la servante (aussi appelée la femme) en sont les principaux protagonistes. En fait, on pourrait même préciser que les véritables sujets de l’histoire sont un homme et une femme. Tout comme dans L’aveuglement, ce sont leurs gestes qui les

119 Silvia Amorim, José Saramago, ibid., p. 106.

120 En ce sens, dans L’aveuglement, la jeune fille aux lunettes teintées dit : « Il y a en chacun de nous une

chose qui n’a pas de nom, et cette chose est ce que nous sommes. » José Saramago, L’aveuglement, Paris, Éditions du Seuil (Points), 1997, p. 309. Ainsi, les personnages du Conte, par l’absence de nom, semblent être ramenés à leur universalité.

distinguent et ils ne deviennent sujets que par leur désir différent, bien qu’ici l’absence de nom n’ait pas le même effet que dans L’aveuglement, où les personnages sont nommés par des périphrases, cela pour mettre de l’avant leur déshumanisation, l’abandon de leur identité d’origine qui n’a plus cours dans un monde de non-voyants. Dans le Conte, l’anonymat de l’homme et de la servante les rapproche plutôt de H. et M. dans Manuel de peinture et de calligraphie où H. est en pleine crise identitaire, donc à la recherche de lui- même, et M. est la femme qu’il aime. Notons que H. et M. sont les initiales des mots homme et femme en portugais.

Attardons-nous maintenant aux tournures langagières ironiques du Conte de l’île inconnue. Nous tenterons d’en faire la liste la plus exhaustive possible sans pour autant prétendre qu’un autre n’en discernerait pas ailleurs. Commençons par l’antiphrase, figure de style ironique la plus reconnue, car la plus facilement reconnaissable, où l’auteur exprime le contraire de sa pensée réelle : « Occupé comme toujours par les offrandes, le roi tardait à donner sa réponse, et ce n’était pas la moindre des marques d’attention portées au bien-être et au bonheur de son peuple lorsqu’il décidait de demander une opinion écrite et solidement argumentée au premier secrétaire » (CII, p. 8. Nous soulignons.) L’ironie tient au fait que le roi accorderait une marque particulière d’attention au bonheur de son peuple quand il fait demander une opinion écrite, alors qu’en vérité, il délègue sa responsabilité à un autre, qui la délègue tout autant : « lequel, inutile de le préciser, transmettait le commandement au deuxième secrétaire, qui s’empressait de le passer au troisième et ainsi de suite jusqu’à arriver de nouveau à la servante qui, elle, tranchait par un oui ou par un non, au gré de son humeur. » (CII, p. 8. Nous soulignons). Ici, le narrateur insère un commentaire de son cru, commentaire sous lequel se déguise un jugement de la situation décrite. Pourquoi dire qu’il est inutile de préciser un fait, sinon pour justement le souligner? D’ailleurs, tout ce passage met en scène une ironie situationnelle. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’ironie provient de ce que la servante prend les décisions à la place du roi, selon son humeur du moment, en plus. Justement, l’accumulation de titres composant cette abondante hiérarchie dont le roi s’entoure, et dont aucun des membres ne s’acquitte de ses tâches, relève de l’ironie : « le premier secrétaire appelait le deuxième secrétaire qui, lui, appelait le troisième, qui convoquait le premier adjoint, lequel à son tour convoquait le

deuxième adjoint et ainsi de suite jusqu’à arriver à la servante » (CII, p. 8). Le roi a-t-il réellement besoin d’avoir à son service trois secrétaires, deux adjoints − et même plus, car le « ainsi de suite » laisse présager que les intermédiaires pourraient être encore bien nombreux avant que l’ordre ne parvienne à la servante – quand on sait qu’il passe tout son temps à la porte des offrandes? Quand le roi décide de rencontrer l’homme, c’est la tautologie qui se fait ironique : « le roi décida de se rendre lui-même en sa royale personne » (CII, p. 12. Nous soulignons) Le roi est nécessairement une personne royale. Accentuer ce fait le rend comique, voire risible, retirant du même coup le prestige que s’accorde le monarque – n’oublions pas que la suite du récit montrera l’homme tutoyant le roi, le ramenant ainsi au niveau du peuple.

Les signes de ponctuation peuvent aussi devenir des lieux où fleurit l’ironie. En effet, dans le Conte, Saramago place parfois son ironie entre parenthèses : « Comme le roi passait tout son temps assis à la porte des offrandes (offrandes qui lui étaient destinées, bien entendu)… », où le narrateur feint de clarifier ce qui précède, alors qu’en fait il pose un jugement implicite. Dans une note de bas de page, Philippe Hamon souligne que « Spitzer […] écrit, à propos de Proust, que “la parenthèse est l’équivalent linguistique de la coulisse121” » où se chuchotent les commentaires qui se voudraient inaudibles pour les acteurs sur la scène – ici, les personnages −, mais audibles pour le public, c’est-à-dire pour le lecteur.

En outre, utiliser et déjouer les clichés, selon Philippe Hamon122 et Silvia Amorim123, est aussi une forme d’ironie. Au contraire des romans où ces derniers foisonnent, le Conte n’en présente qu’un seul : celui où la servante s’inquiète de n’avoir point de nourriture pour préparer le repas : « le soleil allait bientôt se coucher et l’homme

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