• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I : La dynamique générique dans Le conte de l’île inconnue

4. De la subversion par l’ironie ou en quoi Le conte de l’île inconnue ne respecte aucun

4.2 L’horizon d’attente comme terrain de jeu

La relation du lecteur avec un texte est complexe et en partie prédéterminée. Le lecteur, parce qu’il a lu d’autres oeuvres, parce qu’il sait en décoder les similitudes qui les caractérisent, est capable de catégoriser un texte dès le titre ou l’incipit et d’avoir une idée de ce qu’il lira par la suite. Ce processus de décodage repose en partie sur les indices paratextuels, dont, entre autres, le nom de l’auteur. En effet,

Jouve rappelle que sa compréhension de l’expression « image de l’auteur » s’applique à « l’horizon de prévisibilité dessiné par l’inscription du nom sur la couverture ». Chaque lecteur possède ainsi son propre champ sémantique lié au nom « José Saramago », qui influence la construction d’un horizon d’attente88.

Le lecteur ayant déjà lu Saramago anticiperait la présence d’une certaine forme de critique sociale, d’ironie, de subversion, etc. Il s’attend à ce que le Conte s’harmonise avec la vision du monde déjà dépeinte dans les romans saramaguiens précédents, car l’œuvre de ce dernier est particulièrement homogène.

87 Alfred Melon, « Réflexions sur les ambiguïtés constitutives du conte latino-américain moderne », dans Techniques narratives et représentations du monde dans le conte latino-américain, Paris, Université de la

Sorbonne Nouvelle Paris III, 1987, p. 55.

88 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, Paris, PUF, 1992, p. 97. dans Bárbara Chevallier

Cosenza, « Poétique de la réception du personnage chez Saramago. Analyse de L’évangile selon Jésus-Christ au regard de ses divers effets de lecture », mémoire de maîtrise en études littéraires, Québec, Université Laval, 2008, f. 101.

Autre indice paratextuel : le titre. Il n’est pas innocent que celui de l’œuvre de Saramago, Le conte de l’île inconnue, ait une fonction métalinguistique89. Le choix d’intégrer un terme générique au paratexte établit une règle de lecture, notamment un pacte avec le lecteur, un horizon d’attente90, ce dernier étant, selon Hans Robert Jauss,

la relation du texte singulier avec la série de textes constituant le genre [qui] apparaît comme un processus de création et de modification continue d’un horizon. Le nouveau texte évoque pour le lecteur (l’auditeur) l’horizon d’une attente et de règles qu’il connaît grâce aux textes antérieurs, et qui subissent aussitôt des variations, des rectifications, des modifications ou bien qui sont simplement reproduits. La variation et la rectification délimitent le champ, la modification et la reproduction définissent les limites de la structure du genre91.

Avant même d’ouvrir le Conte, le lecteur de contes féeriques prévoit probablement lire une histoire merveilleuse à propos d’une quête parsemée d’épreuves pour aboutir à une île inconnue, où un héros, voire même une princesse, seront mis en scène, etc. Plus l’écart entre l’attente du lecteur et l’œuvre est faible, plus l’horizon d’attente de ce dernier est comblé. Il retrouve alors dans l’œuvre lue la forme ou le style présagé. Par contre, un horizon d’attente comblé peut décevoir si l’œuvre est effectivement conforme en tous points à des canons littéraires qui évitent de renouveler le genre. Au contraire, un écart élevé entre l’horizon d’attente et l’œuvre provoque surprise et déstabilisation chez le lecteur, qui se voit alors obligé de remettre en question les codes littéraires qu’il connaît. Certaines œuvres ont d’abord été rejetées par un public trop désorienté par leur originalité pour être ensuite réhabilitées quand les normes sociales ont changé et ont permis de comprendre les innovations proposées par les auteurs des œuvres d’abord honnies.

Le décalage du Conte de l’île inconnue réside à deux niveaux. Le premier, par rapport aux œuvres précédentes de Saramago. En effet, avant L’aveuglement, l’auteur portugais écrivait surtout de la fiction historique. Ce roman marque un tournant allégorique dans l’œuvre saramaguienne et le Conte, publié immédiatement après L’aveuglement, en portugais, symbolise ce virage, par les nombreuses figures spatiales du passage – dont il

89 En fait, Saramago privilégie ce procédé, mais la traduction des titres en français le perd trop souvent : Ensaio sobre a Cegueira (essai), Memorial do Convento (historiographie), etc. Voir Silvia Amorim, José Saramago, op. cit., p. 24. pour plus de détails sur cette notion. Ici, nous concédons que le décalage entre le

présent titre (Le conte de l’île inconnue) est minime, voire inexistant, par rapport à celui des romans qui devient alors l’objet d’une réflexion plus poussée sur « le genre romanesque en tant que tel, et notamment sur ses capacités d’intégration – voire de parodie – des autres genres littéraires. » Silvia Amorim, José Saramago,

ibid., p. 25.

90 Jean-Marie Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire?, op. cit., p. 128. 91 Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, op. cit., p. 49.

sera question dans notre second chapitre. Sans reprendre l’allégorie de la cécité, le Conte semble plutôt proposer une voie de salut, qui permettrait de se soustraire du gouffre auquel nous mène la frénésie sociétale. Le second décalage se situe par rapport au genre du conte merveilleux. Il s’instaure dans la profondeur psychologique des personnages, dans la symbolique des épreuves qu’ils traversent et, enfin, dans la part philosophique du conte – quand nous le comparons à la définition de Propp. Certains procédés stylistiques et narratifs, utilisés par Saramago pour déconcerter le lecteur et lui rappeler qu’il lit une œuvre fictionnelle, contribuent à ce décentrement. Prenons le temps de les analyser.

4.1.1 Il était une fois…

L’absence dans l’incipit du Conte de la formule consacrée « Il était une fois » n’est pas une stratégie d’ouverture anodine. Dès lors, l’horizon d’attente du lecteur est ébranlé, car cette formule d’entrée dans la fiction indique que le merveilleux commence, que les objections que le lecteur pourrait émettre à l’égard des invraisemblances sont abolies92. Comme Michelle Gosselin l’indique, « [l]a formule, quelle qu’elle soit, semble jouer le rôle d’un rituel annonçant à l’auditoire qu’on entre dans un temps et un espace qui ne respectent pas les lois de la conscience diurne habituelle et, à la fin, qu’on sort de l’univers merveilleux pour retourner à la réalité quotidienne93. » L’omission de ces formules – car le conte ne se termine pas non plus par l’habituel « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » − signifierait-elle qu’il n’y a pas d’univers merveilleux, ni de lois autres que celles que nous connaissons, qu’il n’y a donc pas besoin d’un pacte particulier avec le lecteur pour que celui-ci adhère au récit?

En fait, l’absence du Il était une fois n’annule pas le merveilleux, mais peut être perçue comme une première marque de la subversion. Les lecteurs de Saramago connaissent cette tendance de l’auteur à jouer avec des règles considérées comme immuables. Les expressions toutes faites, nous l’avons déjà mentionné, ne sont pas l’apanage de l’auteur lusophone, sinon pour les détourner. Dans la circonstance, des formules aussi usées que le Il était une fois d’ouverture et le Ils vécurent heureux et eurent

92 Christophe Carlier, La clef des contes, Ellipses (Thèmes et études), 1998, p. 41.

93 Michelle Gosselin, Les contes de fées comme récits initiatiques : l’initiation vue par les contes merveilleux de la tradition des francophones d’Amérique, Montréal, Éditions Archétype, 1991, f. 6.

beaucoup d’enfants de fermeture ne peuvent que rebuter José Saramago, qui cherche constamment à éviter les clichés.

Analysons d’abord le fameux Il était une fois avant de le comparer à l’incipit du conte saramaguien. Selon Harald Weinrich, le Il du traditionnel incipit est un morphème- horizon – à ne pas confondre « avec le morphème référentiel homonyme : ce dernier sert à établir dans un texte la référence à un nom ou à un autre pronom. » Le référent du pronom référentiel est déterminable, c’est-à-dire que ce il renvoie à un nom présent dans la phrase même ou celles à proximité, par lequel il peut être remplacé. Au contraire, « le morphème- horizon il n’établit aucune référence anaphorique et laisse sémantiquement vide le rôle du référent94. » Prenons cet exemple : dans un conte des frères Grimm, il est question d’une Reine qui n’avait pas de garçon. Ici, le il est vide, il ne réfère à rien qui précède ou qui suit pour préparer le lecteur « au segment qui va pourvoir [le rôle du référent] et pour lequel la plus grande attention est requise. Le morphème-horizon il ouvre ainsi un horizon sémantique pour le texte qui va suivre95. » Quoique Weinrich distingue quatre types d’horizon, nous ne retiendrons que celui qui s’applique ici, c’est-à-dire l’horizon textuel, « qui fournit l’arrière-plan (“thème”) d’une action à venir dans le texte subséquent et qui doit attirer [et diriger] toute l’attention de l’auditeur […] dans le but de conférer au texte un certain profil informatif. C’est ainsi qu’il est possible de focaliser l’attention sur l’importance particulière d’un certain nom […] par rapport à un horizon donné96. »

Jetons maintenant un coup d’œil sur l’incipit du Conte : « Un homme s’en fut frapper à la porte du roi et lui dit, Donne-moi un bateau. » (CII, p. 7) Comme nous l’avons déjà remarqué, le récit débute in medias res. Néanmoins, cela n’entrave pas l’abolition de la réalité connue pour entrer dans la fiction ni ne détourne l’attention du lecteur de la suite du conte. Même sans la présence du traditionnel incipit, la curiosité du lecteur est stimulée, entre autres, car ce dernier est accoutumé à cette sorte d’entrée en matière dont use, notamment, le roman. Alors, pourquoi continuer à utiliser cette expression stéréotypée si elle n’est pas absolument nécessaire? Parce qu’en plus d’introduire un texte entier « en tant

94 Harald Weinrich, Grammaire textuelle du français, Paris, Alliance française et Didier-Hatier, 1989, p. 80. 95 Harald Weinrich, Grammaire, id.

que morphème macro-syntaxique97 » et d’annoncer le genre du texte, celui du conte merveilleux, cette formule d’entrée du conte a été assimilée par chacun d’entre nous. Elle provoque chez le lecteur un horizon d’attente ainsi que la focalisation de son attention sur le récit qui suit. Saramago, en n’amorçant pas son conte par Il était une fois, choisit seulement d’attirer différemment l’attention du lecteur. Le texte débute par le déterminant indéfini Un, dont l’usage est différent de l’article cataphorique une dont nous parlerons plus loin. L’une des acceptions de ce déterminant, dans Antidote, est « [e]n tant que représentant abstrait d’un ensemble. » Dans ce cas-ci, l’homme est effectivement un « représentant abstrait d’un ensemble » du fait qu’il n’est jamais individualisé de quelque manière que ce soit − par un nom ou une particularité physique quelconque − dans le fil de l’histoire. Il reste un homme relativement anonyme, comme nous l’avons déjà mentionné, qui ne se démarque que par son désir de trouver l’île inconnue. Il symbolise ainsi l’homme moyen. Toutefois, le récit, débutant au moment où l’homme s’apprête à demander un bateau au roi, sous-entend que ce dernier est déjà en voie de s’individualiser, car rappelons que la narration saramaguienne ne s’intéresse aux personnages que s’ils s’extraient de leur banalité routinière pour explorer d’autres modes de vie ou de pensée.

Qui plus est, cette première phrase donne l’impression au lecteur que l’homme est déjà en présence du roi, qu’il lui fait directement sa demande, alors que ce n’est pas le cas. Le contexte, ainsi posé, préfigure la suite en donnant le ton de la conversation entre l’homme et le souverain, où déjà on sent la subversion qui sera mise à l’oeuvre, et sert à introduire les nombreuses explications sur le fonctionnement des portes du château et de la hiérarchie qui entoure le monarque, justifiant ainsi le désir de l’homme de quitter cette société.

Enfin, outre l’aspect préfabriqué de la formule introductive consacrée, peut-être est- ce aussi l’article cataphorique une, qui introduit un événement qui ne s’est produit qu’une fois, qui ne se reproduira jamais et qui n’appartient qu’à un temps révolu98, qui pose problème à Saramago. Peut-être l’auteur lusophone a-t-il désiré se détacher de l’événement unique pour le rendre universel, pour éviter d’enfermer son conte, donc l’espoir de

97 Harald Weinrich, Grammaire, ibid., p. 83.

découverte porté par ce dernier, dans des expressions figées pour plutôt en élargir la portée symbolique et permettre au lecteur de réfléchir sur la sensation d’inachevé qui en résulte.

4.1.2 … le narrateur

En parlant de la notion de conte philosophique, nous avons déjà abordé celle de narrateur et décrit certains mécanismes propres à la narration saramaguienne. Ici, nous désirons mettre en évidence l’aspect subversif de cette narration ludique et subjective.

Chez Saramago, la subversion est présente à tous les niveaux du récit : dans le choix des personnages principaux, dans la narration, dans le récit en tant que tel. Par exemple, dans Histoire du siège de Lisbonne, le correcteur Raimundo Silva change un oui pour un non, transformant ainsi ce que nous estimons être la vérité historique, celle du siège de Lisbonne, en fiction et ouvrant la porte à une réflexion sur ce que nous considérons comme véridique. Les interventions intempestives du narrateur provoquent des coupures dans le fil narratif, brisant ainsi l’apparence de continuité, d’homogénéité du récit. Ces cassures sortent le lecteur de l’état d’absorption causé par la narration pour lui rappeler qu’il lit un livre. Pendant un instant, l’adhésion du lecteur au récit est rompue, ce dernier est déstabilisé et reprend pied dans le réel. À ce moment, il n’a d’autre choix que de prendre conscience du fil narratif, des procédés qui l’uniformisent ou au contraire qui le suspendent. Toutes ces stratégies, qui permettent au narrateur d’interrompre le fil narratif, sont subversives en ce sens qu’elles bouleversent la narration dite traditionnelle, celle où le narrateur hétérodiégétique (ou omniscient) se dissimule complètement derrière les actions qu’il relate de manière à ce que la fiction semble couler de soi, comme si elle n’avait pas été écrite. La narration saramaguienne, au contraire, souligne sa présence au sein du récit avec lequel il s’amuse à digresser en parlant de l’acte d’écriture qui l’a fait naître. À ce propos, dans Le radeau de pierre, le narrateur explique : « Écrire est terriblement difficile, c’est une énorme responsabilité, il suffit de songer au travail exténuant qui consiste à ranger les événements selon l’ordre temporel, celui-ci d’abord, puis celui-là ou, si cela convient mieux à l’effet recherché, l’aventure d’aujourd’hui avant celle d’hier99… » Les interventions du narrateur remettent en question la cohésion du récit en interrogeant constamment celui-ci par sa

présence active. Narrateur conscient de lui-même, mais aussi de sa fonction de constructeur du récit – notion développée par David Bélanger100, sur laquelle nous reviendrons −, il s’amuse à jouer avec ce dernier au gré de ses fantaisies. Il aime rappeler au lecteur son rôle, ses limites (fictives) et les choix constants effectués pendant la rédaction. Pourquoi raconter telle histoire et non telle autre? L’événement survenu à un tel est-il le même s’il se produit à tel autre? Pourquoi choisir cette péripétie, ce point de vue, ces mots? Un passage du Radeau de pierre, au moment où la panique s’installe parce que la péninsule ibérique est totalement séparée de l’Europe, nous suggère la réponse. Le narrateur y décrit les diverses réactions des touristes :

D’autres, les désespérés, réagirent par le silence, ils disparurent tout simplement, ils oublièrent et se firent oublier, pourtant, n’importe laquelle de ces existences aurait pu faire un roman, une histoire, enfin quelque chose, ce qu’ils auraient pu, et même si ce quelque chose n’était rien, cela aurait été un rien différent, car il n’y en a pas deux semblables101.

Toute histoire est unique et mérite d’être la trame d’un roman, même si elle ne consiste en rien, parce que chaque rien est différent d’un autre. Voilà pourquoi José Saramago insiste tant sur les procédés qui marquent la narration.

Ces questionnements fondent l’essence de la narration saramaguienne. Par la révélation du processus d’écriture, par la volonté de provoquer la réflexion du lecteur sur la nature de la fiction et sur son élaboration (ainsi que sur bien d’autres sujets qui débordent le cadre de notre analyse), le narrateur « fait entendre sa voix et n’hésite pas à amener le lecteur, plutôt que de le tromper, dans l’intimité de son discours102 », comme s’il réfléchissait à voix haute, devant le lecteur, alors témoin des réflexions à l’origine de l’édification de l’œuvre et qui la commentent et l’articulent en même temps, faisant ainsi fi de la « transparence narrative ». Selon David Bélanger,

[c]ette résistance à la « transparence narrative », ce refus d’un narrateur caché derrière ses énoncés, donne à voir un récit en construction − volontairement construit, doit-on souligner − et dont l’ambition d’objectivité, face à la singularité des personnages comme face aux faits historiques, est remplacée par une conscience à l’effet que tout discours est avant tout un discours construit103.

100 David Bélanger, « Au-delà de l’omniscience. Étude du narrateur-constructeur dans L’année de la mort de Ricardo Reis de José Saramago et le diptyque Un an et Je m’en vais de Jean Echenoz. », mémoire de maîtrise

en études littéraires, Québec, Université Laval, 2013, 112 f.

101 José Saramago, Le radeau de pierre, ibid., p. 44.

102 David Bélanger, « Au-delà de l’omniscience », op. cit., f. 50. 103 David Bélanger, « Au-delà de l’omniscience », ibid., f. 65.

Ce discours construit devient alors prétexte au jeu, devient en fait le terrain de jeu où le narrateur-constructeur « détourn[e] l’attention du lecteur du cas individuel du personnage fictif, […] [et] l’attire sur son propre discours, celui d’un sujet intelligent et disert qui s’adresse au lecteur pour lui parler de son personnage, mais derrière son dos104. » Ce cas particulier de narration s’inscrit dans un rapport ludique, chez Saramago, par le ton ironique, parfois railleur, et la tendance du narrateur à jouer autant avec les personnages et les multiples possibilités du récit qu’avec le lecteur qu’il s’amuse alors à informer, éclairer, égarer ou tromper à sa guise. Selon Dorrit Cohn, citée par David Bélanger,

plus est forte la présence du narrateur, plus exclusifs deviennent ses privilèges cognitifs. Et cette prérogative en matière de connaissance lui permet de mettre en évidence certaines dimensions du personnage de fiction que ce dernier préfère ne pas révéler, ou n’est pas en mesure de le faire105.

Le narrateur saramaguien, dans le Conte, ne fait pas autrement quand il émet des commentaires où il feint de s’approprier les pensées du roi et d’y adhérer ou quand il intervient dans le déroulement du récit. Silvia Amorim associe ces procédés à la polyphonie et au multiperspectivisme106, permettant ainsi à l’oral de contaminer l’écrit. L’exemple suivant met en scène l’ambiguïté du locuteur : « il [le roi] ordonnait à son premier secrétaire d’aller voir ce que voulait le requérant, que rien ne pouvait faire taire… » (CII, p. 7-8. Nous soulignons.) Les propos en italique semblent provenir du narrateur, mais ils révèlent surtout la pensée du roi, importuné par l’insistance de l’homme. Ici, le narrateur feint de s’approprier les pensées du roi comme siennes pour accentuer la paresse et la mauvaise disposition mentale de ce dernier à l’égard de son peuple. Cet autre exemple, « le roi décida de se rendre lui-même en sa royale personne à la porte des requêtes pour savoir ce que voulait l’insolent qui avait refusé d’acheminer sa demande par les voies

Documents relatifs