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Suite à la réponse immédiate du burst oxydant, une autre réponse rapide, constitutive à la défense chimique spécifique de L. digitata se produit : une augmentation de l’émission de composés organiques halogénés volatils (COHV) et de l’iode inorganique (I2) (Potin et al., 1999; Potin et al., 2002; Abrahamsson et al., 2003; Palmer et al., 2005).

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En effet, l’élément chimique iode a été découvert dans les cendres des laminaires au début du 19ème siècle (Courtois, 1813). Depuis, en raison notamment de l’importance de l’iode dans la santé humaine, la très grande majorité des études a ciblé le contenu en iode des algues commerciales (Teas et al., 2004), et a montré que cet halogène est essentiellement présent sous la forme iodures (I-) (Roche & Yagi, 1952; Shah et al., 2005). Les travaux ont ensuite pris une nouvelle dimension après la découverte de la contribution importante de cet iode dans le cycle biogéochimique des halogènes. En effet, les COHV, et plus particulièrement l’iode, ont un impact significatif sur la destruction de l’ozone et la formation des nuages au-dessus des zones côtières

(McFiggans et al., 2004; O'Dowd et al., 2005). De plus, il a été prouvé qu’à marée basse, l’augmentation de la production de COHV chez les macroalgues brunes est très généralement associée au stress oxydant généré par l’émersion des thalles (Carpenter et al., 1999).

Comme d’autres Laminariaceae, L. digitata a la particularité de pouvoir concentrer l’iode dans ses tissus à des concentrations qui souvent excèdent les 50 mM, soit un facteur de 100 000 par rapport aux concentrations d’iode rencontrées dans les océans (Küpper et al., 1998). Cela fait de ces laminaires les plus grands accumulateurs d’iode parmi les organismes vivants (pour comparaison, l’être humain concentre l’iode dans sa thyroïde à hauteur de 10 mg, concentration 10 000 fois supérieure à celle retrouvée dans le sang (Wolff, 2001)). Cependant, les concentrations d’iode de cette algue varient selon divers facteurs : l’âge du thalle, la partie du thalle (les tissus), la saison et le site (Ar Gall et al., 2004). En effet, les premiers travaux sur la localisation de l’iode inorganique dans les tissus d’un thalle de L. digitata ont montré que les jeunes plantules sont plus riches en iode que les sporophytes âgés (Küpper et al., 1998; Küpper et al., 2008). L’iode concentré dans les thalles correspond à environ 5 % du poids sec chez les jeunes plantules contre 1 % chez les thalles adultes (Figure 28). Ces mêmes travaux ont également montré qu’au sein d’un sporophyte adulte, la distribution de l’iode est hétérogène. Ainsi, la teneur en iode augmente nettement depuis la zone méristématique (tissus les plus jeunes) jusqu’aux parties distales de la lame et jusqu’au crampon (Figure 28) (Küpper et al., 1998). De plus, les teneurs les plus faibles sont observées en été, quand les sporophytes sont les plus exposés aux stress abiotiques (luminosité, UV, température, dessication…). Ces derniers ont un impact direct sur l’augmentation des niveaux d’espèces activées de l’oxygène (EAO), et donc,

sur la production de COHV par l’algue, en particulier l’émission d’I2, appelée la iodovolatilisation (Ar Gall et al., 2004; Palmer et al., 2005).

Figure 28 : Schéma d’interprétation de la localisation de l’accumulation d’iode inorganique dans les sporophytes de L. digitata. (D’après Küpper et al., 1998)

Les jeunes plantules sont plus concentrées en iode, avec une concentration pouvant atteindre 4,7 % du poids sec. De même, chez les thalles adultes, plus les tissus sont jeunes (zone méristématique), moins ils contiennent d’iode.

Ces accumulateurs d’iode présentent également de fortes concentrations en brome (Saenko et al., 1978). Très peu de données sont actuellement connues sur la localisation sub-cellulaire de ces composés chez les laminaires. L’hypothèse jusqu’alors émise portait sur un stockage de l’iode dans des vacuoles non spécialisées des cellules corticales de la lame ou dans le compartiment intra-cellulaire, probablement au sein de

physodes (vésicules riches en polyphénols) des cellules du stipe (Dangeard, 1957; Ar Gall et al., 2004). Mais cette hypothèse a très récemment été remise en question. En effet, de la micro-imagerie chimique a révélé que ces deux halogènes, l’iode et le brome, sont essentiellement stockés sous la forme inorganique (Küpper et al., 2008)

dans la matrice extracellulaire des cellules de L. digitata, donc dans les tissus périphériques (Figure 29) (Verhaeghe et al., 2008).

Figure 29 : Cartographies de trois composés halogénés (Chlore : Cl ; Brome : Br ; Iode : I) au niveau des tissus périphériques de coupes transversales de stipe de L. digitata. (D’après Verhaeghe

et al., 2008)

Les images sont obtenues à partir de données brutes en spectrométrie de Rutherford Backscattering (RBS) et par émission de particules induites par rayons-X (PIXE) ; la barre d’échelle correspond à 25 µm ; l’échelle de couleur Min-Max est linéaire et arbitraire, donc propre à chaque élément.

L’iode aurait une distribution très hétérogène, avec un très fort gradient de répartition depuis le tissu périphérique jusqu’au cœur du stipe, appelé la medulla. A partir de ces résultats, il a été déduit que 80 % de l’iode contenu dans la section analysée est localisé dans le tissu périphérique, sur une zone qui ne représente que 20 % de la superficie totale de la section. De même, le brome, second halogène d’intérêt chez

L. digitata, est aussi préférentiellement localisé au niveau du tissu périphérique, mais sa

répartition est relativement homogène dans les parties plus centrales du stipe, c’est-à-dire le cortex et la medulla. A l’inverse, le chlore, un autre composé halogéné présent chez la laminaire, essentiellement sous forme NaCl et KCl, a ses valeurs les plus faibles au sein du tissu périphérique, alors que sa répartition est relativement homogène dans les tissus plus internes.

Malgré un nombre considérable de recherches effectuées sur l’iode présent chez les Laminaires, la fonction biologique de cet halogène stocké en grande quantité reste encore floue. Il semblerait toutefois que l’émission d’iode jouerait un rôle dans le

contrôle de l’épiphytisme bactérien. En effet, suite à un stress, il se produit une émission d’halocarbonés iodés (I), de plus haute toxicité microbienne que les composés chlorés (Cl) et bromés (Br), qui sont quant à eux émis constitutivement en condition de non-stress (Carpenter et al., 2000; Palmer et al., 2005). Il s’ensuit également un fort efflux d’iode, accumulé sous forme réduite d’iodure et sous forme oxydée d’I2(Küpper et al., 2008). Cette accumulation importante d’iode et de brome dans les tissus de L. digitata, suggère qu’un mécanisme commun d’absorption et de rétention serait impliqué, bien que celui-ci ne soit toujours pas clairement élucidé.

Les avancées actuelles proposent que les mécanismes d’absorption de l’iode chez cette algue soient effectués par diffusion, facilitée par l’intervention d’enzymes : les haloperoxydases dépendantes du vanadium (v-HPO) (Küpper et al., 1998). Des expériences avec des thalles de L. digitata ont montré que son système de HPO, et notamment l’acide hypobromeux (HOBr) est capable de désactiver les molécules de communication de la bactérie marine Chromobacterium violaceum CV026 (les AHL du quorum sensing), illustrant ainsi le mécanisme naturel de défense de cette algue pour empêcher la formation de biofilm à sa surface (Borchardt et al., 2001), à l’image des furanones halogénées de l’algue rouge australienne Delisea pulchra (Steinberg et al., 1997). L’identification d’une iodoperoxydase (IPO) chez L. digitata a renforcé l’hypothèse du rôle de ces enzymes dans l’accumulation de l’iode et donc de son rôle dans le contrôle de l’épiphytisme bactérien (Colin et al., 2005). Des études récentes ont montré que les v-HPO catalyseraient l’oxydation ou la réduction de cet iode inorganique et assureraient la synthèse des COHV en présence de H2O2 et de courtes chaînes carbonées (Leblanc et al., 2006). De même, les enzymes v-IPO3 et v-BPO3 de cette algue représenteraient des formes de HPO exclusivement et spécifiquement induites au cours des réponses de défense suite à une élicitation par des oligoguluronates (Roeder et al., 2005; Cosse et al., 2009). Le temps nécessaire à la surexpression des gènes codant pour ces enzymes suggèrerait ainsi que le premier rôle physiologique lié à la régulation de ces enzymes pourrait être la production de COH, volatils ou non. Toutefois, comme l’iode semble être essentiellement présent sous forme inorganique dans les tissus périphériques de l’algue, et plus particulièrement dans les espaces intercellulaires, et qu’il se colocalise avec des sources carbonées, azotées et soufrées, ceci laisse envisager que des protéines et des polysaccharides pourraient être

Par conséquent, le burst oxydant, l’efflux d’iodure et les v-HPO pariétales pourraient prendre une part importante dans les réponses précoces de défense, en utilisant I2 et des COHV comme composés de défense contre les pathogènes, les bio-salissures et/ou les herbivores, bien qu’encore aucune expérience n’en fasse la preuve. Les COHV émis par cette algue sont encore peu référencés, de par la difficulté d’étudier des composés volatils. Toutefois, il en existe quelques uns bien décrits dans la littérature.

Les premiers CHV identifiés ont été le iodométhane (CH3I), le bromométhane (CH3Br) et le chlorométhane (CH3Cl) (Lovelock, 1975; Manley & Dastoor, 1987; Manley & Dastoor, 1988; Carpenter et al., 2000). Ces halocarbonés ont principalement été identifiés de par leur présence dans l’air et les océans, et en particulier au dessus des champs de laminaires. Le CHV relargué par cette algue et le plus étudié, est le diiodométhane (CH2I2). Il a notamment été identifié grâce aux études effectuées dans la compréhension du cycle biogéochimique de l’iode dans l’atmosphère et dans les océans

(Carpenter et al., 1999; Carpenter et al., 2000; McFiggans, 2005). Le CH2I2 est un précurseur important des radicaux d’iode oxydé dans l’atmosphère. Son flux dans les zones intertidales est dépendant des marées : l’émission de CH2I2 par les macroalgues brunes soumises aux stress oxydants lors des marées basses est alors augmenté

(Carpenter et al., 2001), prouvant son implication dans la réponse de défense de cette algue face aux stress abiotiques. Enfin, plusieurs autres CHV comme le iodoéthane (C2H5I), le chloroiodométhane (CH2ICl), le bromoiodométhane (CH2IBr), le iododibromométhane (CHIBr2), le bromoforme (CHBr3), le dibromométhane (CH2Br2), le dibromochlorométhane (CHBr2Cl), et le bromoéthane (C2H5Br) ont été identifiés comme production naturelle d’halocarbonés par les macroalgues stimulées par un stress abiotique, mais sans réelle certitude chez notre modèle d’étude L. digitata (Carpenter et

al., 2000; Amsler et al., 2005).