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Chapitre II: La détection des lipides alimentaires

II.3 L'intestin endocrine

L'intestin et le système nerveux central synthétisent l'apoA-IV, qui joue un rôle important dans le métabolisme lipidique intestinal et constitue un signal de satiété. Mais l'intestin sécrète aussi des peptides pouvant agir sur la régulation de la prise alimentaire. Il ne s'agit pas ici de traiter de façon exhaustive des sécrétions endocrines intestinales, mais plus d'appréhender l'importance de cet organe dans sa participation au contrôle de la prise alimentaire, notamment par sa capacité à sécréter des peptides en réponse à l'apport de nutriments et des conséquences physiologiques ou physiopathologiques qui en résulteront.

La capacité de l'intestin à percevoir le contenu luminal en nutriments après un repas est d'une importance fondamentale, cette perception permettant d’orchestrer la digestion et d'optimiser l'assimilation des nutriments. De plus, la détection des nutriments par l'épithélium est essentielle pour le contrôle, à court terme, de la prise alimentaire via les voies de signalisation allant de l'intestin vers le cerveau.

Après un repas, plusieurs peptides gastro-intestinaux sont sécrétés par les cellules entéroendocrines (CEE). Ces sécrétions sont conditionnées par le contenu luminal en nutriments. Les cellules entéroendocrines sont classées en fonction de la morphologie et du contenu de leurs granules de sécrétion (voir Chapitre I, section I.1.2.1: Les différents types cellulaires de l'épithélium intestinal). Les mécanismes moléculaires précis de détection des nutriments par les CEE sont encore mal caractérisés.

Le peptide PYY (peptide tyrosine tyrosine) est une hormone intestinale, synthétisée et sécrétée par les cellules endocrines L dans l'intestin grêle distal en réponse à l'ingestion d'aliments (pour revue (Ueno et coll. 2008)). L'apport lipidique est un stimulus fort de relargage de PYY qui, converti par la dipeptidyl peptidase IV en PYY3-36, se lie au récepteur Y2 de la famille des récepteurs NPY. Ces récepteurs Y2 sont distribués dans l'hypothalamus, principalement dans le noyau arqué, et aussi dans l'hippocampe, dans l'intestin, dans les corps neuronaux du ganglion nodal du nerf vague (Koda et coll. 2005). L'hypothèse que PYY3-36 agit comme un facteur de satiété est basée sur l'observation que ce peptide peut inhiber la sensation d'appétit et inhiber la prise alimentaire quand il est administré aux animaux (Batterham et coll. 2002) ou à l'Homme (Batterham et coll. 2003), même si les résultats chez l'animal sont très controversés (Boggiano et coll. 2005; Beglinger and Degen 2006). Récemment, en utilisant un antagoniste du récepteur à la CCK (CCKR1), une interrelation entre l'apoA-IV, CCKR1, l'activation des afférences vagales par le PYY3-36 et l'inhibition de la vidange gastrique a été mis en évidence chez la souris, sans pour autant relier cette voie à l'inhibition de la prise alimentaire médiée par PYY3-36 (Whited et coll. 2007).

Dans l'intestin grêle proximal, le Glucagon-like peptide 1 (GLP-1), le gastric inhibitory peptide (GIP, glucose-dependent insulinotropic polypeptide) et la 5-hydroxytryptamine (5-HT) voient leur sécrétion stimulée par le glucose alors que les acides aminés induisent la sécrétion de gastrine, et les acides luminaux celle de sécrétine. De tous les mécanismes cellulaires responsables de la sécrétion d'entéro-peptides par les CEE, les plus analysés et les mieux compris sont ceux impliqués dans le relargage des incrétines GLP-1 et GIP, induit par le glucose au niveau des cellules L (pour revue (Drucker 2006) et (Todd and Bloom 2007)). Le nombre impressionnant de travaux qui leur sont consacrés est à relier à l’importance de ces mécanismes dans le contrôle de l’homéostasie glucidique et à l’impact de leurs dysfonctionnements dans le diabète de type 2. Récemment il a été montré qu'un apport en lipides peut également stimuler la sécrétion de GLP-1, mais il n'y a pas de mécanismes décrits pour le moment (Lu et coll. 2007). Cela démontre que les concepts

évoluent au fur et à mesure des travaux et qu'il est aujourd'hui impensable de lier un seul nutriment à un seul effet, mais qu'on doit traiter aujourd'hui plus du métabolisme glucido-lipidique que de chacun de ces métabolismes séparément.

La détection des lipides est nettement moins expliquée que celle des sucres jusqu’à présent. En effet, les acides gras, et les lipides en général, sont des nutriments plus difficiles à étudier, du fait de leur comportement complexe d'un point de vue physico-chimique dans un environnement aqueux. De par leur nature hydrophobe, dès que l'on dépasse la limite de solubilisation les acides gras forment préférentiellement des agrégats, sauf s'il y a présence de produits biliaires. La CCK, entéro-peptide majoritairement sécrété par les CEE en réponse aux acides gras libres, stimule la sécrétion biliaire. Ceci suggère l'existence d'un événement précoce capable de détecter les acides gras non solubilisés afin de stimuler rapidement la sécrétion de la CCK. Ces mécanismes moléculaires ont été étudiés chez l'Homme (McLaughlin et coll. 1998b) et sur des lignées murines entéroendocrines, entre autres la lignée STC-1 (McLaughlin et coll. 1998a). Les acides gras (>12 carbones) augmentent le calcium intracellulaire (Ca2+) pour stimuler le relargage de CCK des CEE (McLaughlin et coll. 1998a). L'entrée de Ca2+ extracellulaire induit par les acides gras se fait via des canaux Ca2+ de type L (McLaughlin et coll. 1998a) mais les acides gras mobilisent également le Ca2+ intracellulaire stocké dans le réticulum endoplasmique (Hira et coll. 2004). La co-existence de deux types de voies, mais avec des cinétiques différentes, est donc envisagée: une voie initiée à la membrane plasmique qui déclenche l'influx de Ca2+ extracellulaire et une autre voie au niveau du réticulum endoplasmique qui, après l’entrée des acides gras, relargue le Ca2+ stocké. Dans les deux cas, on peut envisager l'implication des récepteurs membranaires de surface ou des transporteurs spécifiques, exprimés par les CEE, dans ces mécanismes (Hira et coll. 2004). Si ces descriptions mécanistiques sont relativement récentes, les effets centraux de la CCK sont, en revanche, étudiés depuis longtemps. Dès 1973, Gibbs démontrait l'effet inhibiteur de la CCK sur la prise alimentaire chez le rat (Gibbs et coll. 1973).

On peut considérer que la détection des produits d'hydrolyse des lipides alimentaires au niveau de l'intestin provoque l'activation de voies de signalisation générant un signal qui sera transmis au système nerveux central et participe ainsi au contrôle, à court terme, de la prise alimentaire. Je n'aborderai pas ici les contrôles à long terme, en fonction de l'état d'équilibre énergétique, éminemment plus complexes, par l'intervention des tissus périphériques, principalement le tissu adipeux, et la sécrétion d'hormones, telles que la

leptine et l'adiponectine, qui vont également agir au niveau central pour contrôler l'appétit et le métabolisme.