• Aucun résultat trouvé

Chapitre II: La détection des lipides alimentaires

II.1 La perception du goût

II.1.2 CD36: un récepteur du goût du gras

On peut imaginer qu’il existe un avantage physiologique à une détection orale des lipides pour une préparation fonctionnelle du tractus digestif à leur arrivée et à leur prise en charge, qui nécessite, comme nous l’avons vu précédemment, la fonctionnalité de voies métaboliques très complexes. En théorie, une perception gustative de lipides alimentaires peut être générée par l’interaction d’un acide gras à longue chaîne avec un récepteur spécifique localisé au niveau des bourgeons du goût.

La protéine CD36 (Cluster of Differentiation 36) appelée également FAT (Fatty Acid Translocase) appartient à la famille des récepteurs "scavengers" de classe B. CD36 est une protéine transmembranaire de 88 kDa, fortement N-glycosylée, exprimée dans de nombreux types cellulaires, notamment les plaquettes, les monocytes, les cellules endothéliales capillaires, les érythroblastes, les adipocytes, et les cellules épithéliales intestinales, mammaires et de la rétine. La structure prédictive de CD36 oriente la quasi-totalité de la protéine du coté extracellulaire, à l'exception de deux courtes extrémités cytoplasmiques (de 9 à 13 acides aminés) qui peuvent être palmitoylées (Gruarin et coll. 2000).

La protéine CD36, qui lie les acides gras à longue chaîne (AGLC) avec une très haute affinité (Baillie et coll. 1996), a été identifiée au niveau de la papille caliciforme chez le rat (Fukuwatari et coll. 1997) et chez la souris (Laugerette et coll. 2005). CD36 présente les caractéristiques structurales et fonctionnelles requises pour être un récepteur gustatif aux lipides (pour revue (Glatz and Lagarde 2007; Laugerette et coll. 2007):

1) dans l’épithélium lingual des rongeurs, l’expression du gène CD36 est strictement restreinte aux bourgeons du goût. Elle est particulièrement élevée dans la partie postérieure de la langue, au niveau des papilles caliciformes et dans une moindre mesure des foliées (Figure 25). En revanche, CD36 n’est que faiblement exprimé dans les papilles fongiformes. La protéine CD36 est localisée au niveau de la partie apicale de certaines cellules sensorielles bordant le pore gustatif. Ce positionnement est particulièrement adéquat pour générer un signal gustatif, puisque la lipase linguale peut libérer des AGLC à proximité immédiate des bourgeons du goût, et donc de CD36, dans les papilles caliciformes et foliées.

Figure 25: Le bourgeon du goût (A) et la structure prédictive du récepteur au goût du gras, CD36 (B), exprimé à la surface apicale des cellules du goût. D'après (Abumrad 2005).

2) CD36 a une structure de type récepteur avec une large poche hydrophobe extracellulaire flanquée de deux courts segments transmembranaires plongeant dans le cytoplasme (Figure 25). Son extrémité C-terminale peut s’associer avec des kinases Src constituant ainsi un ensemble fonctionnel pouvant potentiellement permettre la transduction d’un signal lipidique.

3) Les AGLC induisent de façon sélective, rapide et importante, une élévation de la concentration intracellulaire de Ca2+ dans les cellules gustatives isolées à partir de papilles caliciformes. Or ce changement est connu pour être à l’origine de l’activation des voies nerveuses gustatives afférentes. Cet effet est dépendant de CD36 puisque l’inhibition pharmacologique de son site de liaison supprime totalement la réponse calcique induite par les AGLC. En accord avec ce processus, les acides gras à chaîne moyenne, qui ne sont pas des ligands de CD36, sont incapables d’induire un changement calcique dans les cellules gustatives (Gaillard et coll. 2006). Le mécanisme moléculaire à l’origine de la transduction du signal dans les cellules gustatives est actuellement inconnu. Une implication de la voie des tyrosines kinases est cependant plausible. En effet, certaines kinases Src comme lyn ou fyn, connues pour contrôler les flux calciques intracellulaires, peuvent également interagir avec CD36 (Huang et coll. 1991). De même, les résultats récents obtenus avec l'invalidation du canal calcique TRPM5, similaires à ceux obtenus avec l'invalidation de CD36 (Laugerette et coll. 2005) concernant l'abolition de la préférence spontanée des rongeurs pour le gras, suggèrent que TRPM5 peut faire partie de la voie de signalisation activée par la liaison d'acides gras sur CD36 (Sclafani et coll. 2007b).

4) Les souris dont le gène codant pour CD36 a été invalidé n'ont plus de préférence pour une solution enrichie en AGLC par rapport à une solution aqueuse. En revanche, leur attirance pour le sucré et leur aversion pour l’amer restent équivalentes à celles de souris de type sauvage. En absence de CD36, le système gustatif semble donc fonctionner normalement sauf pour la détection des AGLC (Laugerette et coll. 2005).

5) L’augmentation du flux pancréato-biliaire et du contenu en protéines du suc pancréatique induit par le dépôt oral d’AGLC chez les souris de type sauvage n’existe plus chez les souris dépourvues de CD36. La présence de CD36 au niveau lingual semble donc indispensable pour préparer l’organisme à recevoir des graisses (Laugerette et coll. 2005).

6) La présence d’AGLC au niveau oral entraîne une activation neuronale du noyau du tractus solitaire dans des zones connues pour être en relation avec le nerf IX et le nerf VII. Une fois encore, cette activation est dépendante de CD36 puisque l’activation neuronale observée chez les souris sauvages soumises à un stimulus lipidique oral n’est plus reproduite chez des animaux dont le gène codant pour CD36 a été invalidé (Laugerette et coll. 2007).

Figure 26: Perception oro-sensorielle des lipides alimentaires chez la souris: modèle de travail

(d'après (Laugerette et coll. 2007)) AGCL: acides gras à longues chaînes, SNC: système nerveux central

Si, pris dans leur ensemble, ces résultats démontrent que le CD36 lingual joue un rôle prépondérant dans la perception orale des lipides alimentaires chez la souris, la littérature suggérant une perception gustative des lipides alimentaires chez l'Homme reste

actuellement très succincte. Les bases moléculaires d'une perception oro-sensorielle chez l'Homme n’existent pas actuellement; on ignore notamment si les cellules réceptrices gustatives sont pourvues de CD36 chez l'Homme. De plus, il existe une controverse sur la présence de lipase au niveau lingual de telle sorte qu’une extrapolation des données obtenues chez la souris à l'Homme n’est pas, à l’heure actuelle, envisageable.

Néanmoins, l'attirance pour les lipides semble exister chez l'Homme puisque des études déjà anciennes rapportent que les sujets obèses ont une préférence accrue pour les aliments riches en graisses comparativement aux personnes minces (Mela 1988). Ces travaux laissent à penser qu’une perception inappropriée des lipides alimentaires pourrait contribuer à la mise en place d’une surcharge pondérale. D'autres travaux, réalisés chez des volontaires sains, indiquent que la présence des lipides en bouche est suffisante pour affecter la triglycéridémie. En effet, suite à une prise de lipides encapsulés, pour éviter tout contact oral, ils constatent une augmentation plus soutenue de la triglycéridémie chez les sujets ayant été auparavant exposés au niveau oral à un repas fictif non ingéré et contenant des corps gras, que chez les témoins ayant été exposés au même "repas" dépourvu de tout lipide (Mattes 1996). Ce changement est indépendant de la texture de matrice alimentaire utilisée et de toute perception olfactive. Ceci suggère donc que la présence de lipides dans l’aliment proposé est aussi perçue par la voie gustative chez l'Homme (Mattes 2001). Ils montrent également que cette augmentation de la triglycéridémie est due à des lipides issus du repas précédant l’expérience, probablement stockés au niveau intestinal (Mattes 2005). Le mécanisme physiologique à l’origine de ces changements est actuellement inconnu.

A l'instar des récepteurs T1Rs présents sur la langue et dans l'intestin, le récepteur CD36 est également exprimé au niveau intestinal, mais restreint aux entérocytes chez l'Homme (Lobo et coll. 2001) (CD36 sera détaillé dans le chapitre suivant en tant que candidat pour la détection des lipides alimentaires micellaires par les entérocytes). On peut alors envisager également, en complément du modèle présenté en Figure 26, une action de CD36 au niveau intestinal, pour faire face à l'apport luminal de produits d'hydrolyse des lipides alimentaires, avec, potentiellement, des conséquences sur le métabolisme intestinal des lipoprotéines (Petit et coll. 2007a).