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L’interdiction de l’esclavage sexuel, une norme de jus cogens

PARTIE II : La répression de l’esclavage sexuel, quelle efficacité ?

Section 2 : La naissance du crime d’esclavage sexuel

B. L’interdiction de l’esclavage sexuel, une norme de jus cogens

L’esclavage sexuel, étant à la fois une forme particulière d’esclavage et une forme particulière de violence sexuelle, revêt un caractère coutumier. La Chambre d’appel du TPIY l’a confirmé dans l’arrêt Kunarać rendu en 2002, lorsqu’elle affirme que la définition de la réduction en esclavage sexuel dégagée en l’espèce « reflète l’état du droit international coutumier »186. Cette affaire illustre le caractère évolutif du droit international pénal où des normes péremptoires peuvent être soumises à de nouvelles interprétations187. Cela a permis de

reconnaître que le crime de réduction en esclavage sexuel était une forme particulière de réduction en esclavage, dont l’interdiction revêt un caractère coutumier.

Mais plus encore, l’interdiction de l’esclavage sexuel est une norme de jus cogens. Selon les rapports de 1998 et 2000 sur le viol systématique, l’esclavage sexuel et les pratiques analogues à l'esclavage en période de conflit armé, l’esclavage sexuel est une forme particulière

185 Formes contemporaines d’esclavage. Rapport final sur le viol systématique, l’esclavage sexuel et les pratiques

analogues à l’esclavage en période de conflit armés, présenté par Mme Gay J. McDougall, Rapporteuse spéciale, op.cit., § 47.

186 Dragoljub Kunarać, et consorts, IT-96-23 et IT-96-23/1-A, Ch. A., Arrêt, 12 juin 2002, § 124.

187 Gekker E., « Rape, Sexual Slavery, and Forced Marriage at the International Criminal Court: How Katanga

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d’esclavage. Or, l’interdiction de l’esclavage et des violences sexuelles étant des normes de jus cogens, celle de l’esclavage sexuel l’est également, de la même manière que les crimes contre l’humanité, le génocide et la torture sont prohibés en tout temps et en tout lieu188. En effet, on

ne peut pas dire que l’esclavage à des fins de travail forcé est une norme de jus cogens, et que l’esclavage à des fins de viol et de violence sexuelle ne l’est pas189.

Le TSSL l’affirme d’ailleurs très clairement dans son jugement du 20 juin 2007 rendu dans l’affaire AFRC :

« Sexual slavery is a specific form of slavery. The prohibition against slavery is a customary norm of international law and the establishment of enslavement as a crime against humanity is firmly entrenched. Thus, slavery for the purpose of sexual abuse is a jus cogens prohibition in the same manner as slavery for the purpose of physical labour »190.

La Chambre de première instance I du TSSL, dans le jugement RUF du 2 mars 2009, adopte la même position. Selon elle, le crime d’esclavage sexuel sanctionne des actions qui étaient déjà criminelles auparavant et doit permettre d’attirer l’attention sur des crimes graves qui ont été historiquement négligés191. Partant, elle est convaincue que le crime d’esclavage sexuel est un

crime international et une violation d’une norme de jus cogens de la même manière que l’esclavage192.

La CPI a également eu l’occasion d’affirmer le caractère impératif de l’interdiction de l’esclavage. Dans sa « Décision relative à la confirmation des charges » du 30 septembre 2008 concernant Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, la Chambre préliminaire I énumère quelques formes d’esclavage, telles que la réduction en esclavage des femmes dans les « camps de viol », faisant ainsi écho aux faits de l’affaire Kunarać, et affirme qu’il s’agit là de « violations de la norme péremptoire interdisant l'esclavage »193. Certes la CPI ne reconnaît le caractère de norme de jus cogens uniquement à l’interdiction de l’esclavage. Cependant, l’esclavage sexuel étant une forme d’esclavage, son interdiction est également une norme de jus cogens.

188Formes contemporaines d’esclavage. Le viol systématique, l’esclavage sexuel et les pratiques analogues en

période de conflit armé. Mise à jour du rapport final présenté par Mme. Gay J. McDougall, Rapporteuse, op.cit.,

§ 9.

189 Ibid., § 51.

190 Alex Tamba Brima, et consorts, SCSL-04-16-T, Ch. II, Jugement, 20 juin 2007, § 705. 191 Issa Hassan Sesay, et consorts, SCSL-04-15-T, Ch. I, Jugement, 2 mars 2009, § 156. 192 Ibid., § 157.

193 Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, ICC-01/04-01/07, Ch. Prél. I, Décision relative à la confirmation

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Une norme de jus cogens est une norme à laquelle on ne peut déroger. Un État ou ses agents ne peuvent donc pas consentir à la réduction en esclavage sexuel d’une personne, quelles que soient les circonstances. De même, une personne ne peut pas, quelles que soient les circonstances, consentir à être réduite en esclavage sexuel. Ainsi, l’auteur du crime d’esclavage sexuel ne peut pas, en principe, invoquer le consentement de la victime comme moyen de défense194.

L’interdiction de l’esclavage sexuel étant une norme de jus cogens, il s’agit également d’une obligation erga omnes. Les États ont donc l’obligation d’incriminer l’esclavage sexuel et de punir les auteurs de ce crime195. La violation de cette interdiction peut justifier la mise en œuvre par un État de sa compétence universelle s’il ne peut pas exercer sa compétence territoriale ou sa compétence personnelle, comme c’est le cas concernant l’interdiction de l’esclavage.

Les violences sexuelles, dont l’esclavage sexuel, ont acquis le statut de norme de jus cogens. Cela était déjà affirmé en 1998 par la rapporteuse spéciale, Mme Gay J. McDougall. En 2001, la jurisprudence Kunarać marque la naissance du crime de réduction en esclavage sexuel. Cependant, l’inclusion du crime d’esclavage sexuel dans le statut de la CPI et dans les Éléments des crimes entraîne une consécration de l’esclavage sexuel en tant que crime autonome. Largement ratifié, le Statut de Rome témoigne du caractère coutumier de l’interdiction de l’esclavage sexuel en tant que crime contre l’humanité et crime de guerre.

194 Ibidem.

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Chapitre 2 : La définition de l’esclavage sexuel précisée par les

juridictions pénales internationales

En décembre 1997, un tournant majeur s’est produit au cours des négociations du Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale, avec la proposition d’y inclure les crimes sexuels, dont l’esclavage sexuel. L’inclusion de cette nouvelle incrimination n’a suscité aucun débat et a été considérée comme reflétant le droit coutumier196. Cinquante ans après la réduction en esclavage sexuel des « femmes de réconfort » pendant la Seconde Guerre mondiale, l’esclavage sexuel est enfin reconnu comme constitutif d’un crime international197.

Le Statut de Rome devient le premier instrument international incriminant les violences sexuelles en tant que telles : elles font parties des crimes les plus graves198. Cette avancée a surtout été permise grâce aux efforts d’un certain nombre d’ONG, dont le Women’s Caucus for Gender Justice. Influencé par le Statut de la CPI, le Statut du TSSL adopté le 16 janvier 2002, fait figurer à son tour l’esclavage sexuel dans la catégorie des crimes contre l’humanité.

Tant la CPI que le TSSL ont eu l’occasion de préciser la définition du crime d’esclavage sexuel. Ces juridictions pénales internationales ont toutes deux contribué à préciser les éléments constitutifs du crime d’esclavage sexuel (Section 1).

Pour autant, cette définition ne semble pas encore tout à fait claire, la jurisprudence ne permettant pas, à ce jour, d’établir avec certitude, si le mariage forcé doit être considéré ou pas comme une forme particulière d’esclavage sexuel (Section 2).

Section 1 : Les éléments constitutifs de l’esclavage sexuel précisés par la