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Chapitre 2 : Sainte-Croix et la région de Lévis-Lotbinière

2.1.2 L’intérieur des terres

La région de Lévis-Lotbinière possède peu de cours d’eau. On compte seulement deux grandes rivières, l’Etchemin et la Chaudière, dont les lits traversent uniquement la seigneurie de Lauzon. Deux autres cours d’eau moins importants, la rivière Beaurivage et la rivière du Chêne, traversent quelques seigneuries. Dans le cas de Sainte-Croix,

14 Ursulines de Québec depuis leur établissement jusqu’à nos jours, tome second, Des presses de C.

Darveau, Québec, 1878, P. 148.

15 La seigneurie de Sainte-Croix fait «une lieue de largeur sur le fleuve Saint-Laurent sur dix lieues de

profondeur dans les terre ». Voir Archives du Monastère des Ursulines de Québec, Fonds temporel des Ursulines de Québec, PDQ/PQ/MQ/1/N/3, 4, 2, 2, 1, Acte de concession par la Compagnie de la

seule la Rivière du Chêne parcourt ses terres au sud. Bien que la région ne soit pas particulièrement riche sur le plan de l’hydrographie, la majorité des seigneuries qui la constituent ont toutefois un accès important au fleuve16. Cette ressource naturelle, riche d’une faune aquatique importante, est une opportunité pour les premiers habitants. D’ailleurs, le milieu naturel de Lévis-Lotbinière est doté d’une grève qui avance progressivement dans l'eau et qui est favorable à la pêche à l'anguille.

Le territoire entre Lauzon et Deschaillons présente généralement une topographie accidentée et rocailleuse. Cela a pour effet de réduire l’efficacité agricole qui n’y est pas particulièrement enviable. Des analyses pédologiques ont même démontré que 70% des terres y sont pauvres, voire très pauvres17. Au début du XVIIIe siècle, Gédéon de Catalogne18, qui produit un mémoire sur les plans des seigneuries et habitations de la Nouvelle-France, décrit ces terres comme étant « médiocrement bonnes », entrecoupées de nombreuses collines et ravins19.

À l’époque où Catalogne décrit la Nouvelle-France, les terres en culture divergent d’une seigneurie à l’autre, mais sont généralement en faible nombre. Pour les seigneuries de Lotbinière et de Sainte-Croix, il parle de quelques champs de blé, de chanvre et de lin, où les terres « produisent de bon grain, mais non pas en abondance comme ailleurs20 ». Il ajoute qu’en plus, de manière générale, les terres rocailleuses de la

16 Les fiefs Des Plaines (1737), Saint-Gilles (1738) et Gaspé (1738), issues de la troisième vague de

concession, n’ont pas d’accès au fleuve.

17 Roch Samson et al., op. cit., p. 123.

18 Gédéon de Catalogne était arpenteur, cartographe et sous-ingénieur dont le relevé cartographique de la

Nouvelle-France demeure un document précieux. Voir F. J. Thorpe, « Gédéon de Catalogne», dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003–, consulté le 20 déc. 2014, http://www. Biographi.ca/fr/bio/catalogne_gedeon_2F.html.

19 Gédéon De Catalogne, « Mémoire de Gédéon de Catalogne sur les plans des seigneuries et habitations

des gouvernements de Québec, les Trois-Rivières et Montréal», dans Bulletin des recherches historiques, Vol. 21, no. 9, septembre 1915 [1712], p. 327.

région ne sont pas propices aux arbres fruitiers. Ce faible rendement des terres s’estompe à mesure que l’on remonte vers l’est. La seigneurie de Lauzon, par exemple, présente des terres qui sont fertiles et polyvalentes21. À Sainte-Croix, les points positifs se limitent à la pêche à l’anguille et à la présence abondante de bois permettant à plusieurs habitants d’en vendre une bonne quantité aux marchés de la ville. D’ailleurs, cette pauvreté du sol sera constatée par les seigneurs de la région. Certains en viendront même à demander un agrandissement de leur seigneurie en raison de la faible rentabilité de celles-ci22.

Un siècle plus tard, en 1815, l’arpenteur Joseph Bouchette23 réalise un important dictionnaire topographique du Bas-Canada, dans lequel il réitère la pauvreté du sol de Sainte-Croix. Selon lui, la seigneurie possède « une terre grasse et noire, qui dure l’espace de quelques milles, et alors [qui] offre de vastes marécages24 ». Toutefois, il mentionne à son tour la richesse de la seigneurie pour le bois et précise que les terres y sont couvertes « de cèdres, de sapinette, de frêne noir et de pruche blanche25 ». Il ajoute même que « toute la seigneurie, depuis le front jusqu’au fond, est abondamment couverte de très-beau bois de construction de toutes espèces26 ». Toutefois, malgré la

21 Gédéon De Catalogne, «Mémoire de Gédéon de Catalogne sur les plans des seigneuries et habitations

des gouvernements de Québec, les Trois-Rivières et Montréal», op. cit., p. 329.

22 Roch Samson et al., op. cit., p. 85.

23 Joseph Bouchette était arpenteur un officier de la marine au XIXe siècle. Il occupe un poste officiel au

Bas-Canada, en vertu duquel il produit sa description topographique du Bas-Canada en 1815 à Londres. Il a reçu beaucoup d’éloges pour son ouvrage et cela lui vaut d’être nommé arpenteur spécial de Sa majesté.. Voir Claude Boudreau et Pierre Lépine, « Joseph Bouchette », dans Dictionnaire biographique du

Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 20 déc. 2014,

http://www.biographi.ca/fr/bio/bouchette_joseph_7F.html.

24 Joseph Bouchette, Description topographique de la province du Bas Canada avec des remarques sur le

Haut Canada et sur les relations des deux provinces avec les États Unis de l’Amériques,W. Faden,

Londres, 1815, p. 513.

25 Ibid., p. 513. 26Ibid.

richesse en bois de Sainte-Croix, les possibilités qui en résultent ne peuvent être envisagées que si des colons y prennent censive et l’exploitation forestière n’est pas encore à l’ordre du jour au XVIIe siècle.

La région dans laquelle se trouve la seigneurie de Sainte-Croix paraît difficile à bien des égards. Les obstacles que constituent le fleuve, l’éloignement des terres en amont et la piètre qualité du sol ont certainement été un défi de taille pour les premiers colons. Pour les seigneuresses, les conditions géographiques du fief s’ajoutent aux limites imposées par la nature de leur statut. Comme nous le verrons plus loin, l’éloignement de Sainte-Croix et l’impossibilité des seigneuresses de se rendre sur place viendront complexifier leur gestion seigneuriale.