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Chapitre 3 : Une «seigneurie monastique»

3.2 Seigneuresses cloîtrées : Une réalité qui rattrape (1772-1801)

3.2.3 Vers une délégation complète

Entre 1789 et 1793, on observe donc un tournant marquant dans l’administration seigneuriale des Ursulines. Non seulement elles délèguent des pouvoirs qu’elles avaient gardés jusque-là, comme la concession des terres, mais elles tentent également de déléguer les décisions qui se rattachent au fief. En effet, les lettres de Cadet témoignent d’une autre délégation seigneuriale qui se met en place dans les mêmes années. L’entrée en fonction de Cadet concorde avec l’élection de la dépositaire Sœur Saint-François- Xavier Taschereau, dont le frère, Gabriel-Elzéar Taschereau, s’investit grandement dans les affaires seigneuriales78.

76 Trois semaines plus tôt, l’épouse de Joseph Cadet met au monde l’unique fils vivant de Cadet. En fait,

il s’agit du seul qui ne meurt pas en bas âge. Il est baptisé le 9 mars 1793 à Saint-Antoine-de-Tilly et sera nommé François-Xavier. Se pourrait-il que son fils soit nommé ainsi en l’honneur de Sœur François- Xavier Taschereau? Bien qu’il soit difficile d’établir un lien entre la religieuse et le nom de son fils, il s’agit d’un hasard intéressant. PRDH, Acte de baptême de François Xavier Cadet, #689699, 27 mai 1783.

77 PRDH, Acte de sépulture de Joseph Cadet, #2910642, 21juillet, 1806.

78 Cet éminent personnage fut actif dans plusieurs sphères. Il fut entre autres seigneur, capitaine, juge de la

Cour des plaids, député de Dorchester, siège à la chambre d’Assemblée et grand voyer du district de Québec. Honorius Provost, « Gabriel-Elzéar Taschereau» dans Francess G. Halpenny et Jean Hamelin, dir., Dictionnaire biographique du Canada, Québec, Vol. V, Presses de l’université Laval, 1983, [en ligne], http://www. Biographi.ca/fr /bio /taschereau gabriel_elzear_5F.html, page consulté le 24 novembre 2013.

Après sa nomination comme procureur, Joseph Cadet est encouragé par la dépositaire à échanger directement avec Gabriel-Elzéar Taschereau concernant les affaires seigneuriales. Ce dernier n’est pas le seigneur de Sainte-Croix, mais les religieuses semblent lui accorder une confiance sans faille. Ainsi, dans une lettre du 24 avril 1790, Joseph Cadet, n’ayant pas de réponse des Ursulines, se tourne immédiatement vers Gabriel-Elzéar Taschereau. Il lui demande entre autres l’autorisation de « faire faire la criée public à la sortie de l’Église de cette Paroisse de Ste-Croix pour que deux censitaires soyent obligés de me donner communication de leurs titres79 ». Dans la même lettre, Cadet demande également à monsieur Taschereau de l’éclairer sur une question seigneuriale, à savoir « si il sera a propos d’éxiger le droit de lod sur la reprise d’un bien donné, à un collatéraux ou à un étranger. Si s’éttoit dans un effet de votre bontée, de m’éclaircir la dessus. Si sur telle reprise je doit exiger les lods et ventes soit en entier, en partie ou point du toute80 ». Il est vrai qu’étant lui-même seigneur, Gabriel-Elzéar Taschereau est certainement mieux outillé pour conseiller le procureur que les Ursulines elles-mêmes, d’autant plus qu’il a la possibilité de se rendre à Sainte-Croix. Cette possibilité n’es pas sans déplaire au procureur qui écrit aux religieuses qu’il «serai bien charmé de voir notre bon Monsieur Tacherau Écuyer l’orsqu’il de retour de son voyage et qu’uil vienne à Porneuf, encore mieu s’il pouvoit venir à Ste-Croix, J’aurai besoin de l’honneur de la conversation pour profiter de ses bons avis81».

79AMUQ, Fonds Seigneurie de Sainte-Croix, 1/N, 3, 4, 1, 0, 6 – Correspondances d’affaires, (1714-

1859), Lettre de Joseph Cadet à Gabriel-Elzéar Taschereau, 24 avril 1791.

80 Ibid.

81 AMUQ, Fonds Seigneurie de Sainte-Croix, 1/N, 3, 4, 1, 0, 10 – Correspondances d’affaires, (1714-

Après le départ de Cadet, il semble que Gabriel-Elzear Taschereau n’échange plus avec le nouveau procureur, le notaire François-Xavier Larue. Du moins, aucune lettre n’a été trouvée. Puisque sa sœur, la dépositaire, est nommée mère supérieure la même année, il est possible que la nouvelle dépositaire n’ait pas eu recours à ses conseils. Puisque la correspondance se fait plus rare par la suite, il est difficile de vérifier son influence. À partir de 1793, c’est donc Larue qui s’occupe des affaires de Sainte- Croix jusqu’en 1799. Plus discret que Cadet, ses lettres informent surtout les religieuses sur ce qui se passe sur la seigneurie. Ainsi, il donne des nouvelles du moulin et informe des travaux nécessaires pour les routes. Entre 1793 et 1799, il n’échange que sept lettres avec la dépositaire des Ursulines82. C’est bien peu à comparer aux 28 lettres envoyées par Cadet entre 1789 et 179383.

Quelques années après le mandat de Cadet, les religieuses se libèrent finalement complètement de leurs devoirs seigneuriaux. En 1801, les Ursulines décident de céder par bail Sainte-Croix et Portneuf. Malheureusement, les sources sont discrètes concernant les délibérations qui mènent à une telle décision. Nous savons que ce bail fut signé pour une durée de 50 ans et qu’il fut conclu avec Mathew MacNider, marchand de Québec. Ce dernier possède déjà les seigneuries de Grondines et de Bélair lors de la signature du bail84. En échange de ce bail, les religieuses établissent que MacNider « donnera tous les ans à notre communauté 600 minot de bon bled et 1200 en arpent

82 François Xavier Larue, Lettre de F.-X. Larue, n.p. , à Mère Saint-François-Xavier Taschereau,

dépositaire des Ursulines de Québec, 21 avril 1793, PDQ/PQ/MQ/1/N/3, 4, 1, 0, 33, Correspondance d’affaires à François Xavier Larue, Lettre de F.-X. Larue, n.p. , à Mère Saint-François-Xavier Taschereau, dépositaire des Ursulines de Québec, 28 octobre 1799, PDQ/PQ/MQ/1/N/3, 4, 1, 0, 43, Correspondance d’affaires

83 Considérant que Larue réside à Neuville, il serait normal que son investissement à Sainte-Croix soit

moins important. Voir PRDH, Acte de mariage de François-Xavier Larue et Marie Madeline Luce Hinse, #68316.

84Assemblée nationale du Québec, «Mathew MacNider», [En ligne],

pour celle de Sainte-Croix85 ». Les religieuses se montrent alors satisfaites de cette affaire et écrivent « nous serons libres de rentrer dans nos processions et nous jouirons de même de toute les améliorations qui auront été fait sur les dites seigneuries, ce qui est un très grand avantage pour nous86 ». Il apparaît évident que les religieuses se sentent libérées d’une responsabilité importante. Non seulement elles n’auront plus à s’occuper des tâches seigneuriales, mais en plus elles pourront profiter d’une seigneurie bien développée dans 50 ans et ce, sans débourser quoi que ce soit. D’ailleurs lorsqu’elles font référence à cette cession dans leurs Annales, les religieuses se disent « délivrées de bien des peines et des dépenses qui excedoit souvent les revenues87 ». Après 1801, les religieuses ne cessent pas pour autant d’être informées de ce qui se passe sur leurs fiefs. MacNider, ainsi que ceux qui lui succèdent, font souvent appel aux religieuses concernant des documents, différents travaux et des services88.

Les aveux des religieuses, suite à la cession par bail, ne sont pas sans rappeler la « pesante charge » évoquée par Colleen Gray pour parler des supérieures de la Congrégation Notre-Dame de Montréal89. En effet, nous croyons que le processus de délégation que l’on observe dans la gestion seigneuriale des Ursulines, est synonyme d’une tâche devenue trop lourde à porter. Bien qu’elles aient d’abord assumé leur rôle, il est possible que les différents problèmes survenus lors du mandat de Cadet aient poussé les Ursulines à se détacher de leurs responsabilités. Toutefois, il ne faut pas interpréter

85 Annales des Ursulines de Québec (Tome I, 1639-1822), p. 375.

86 AMUQ, Annales des Ursulines de Québec (Tome I, 1639-1822), p. 375. 87 Annales des Ursulines de Québec (Tome I, 1639-1822), p. 375.

88AMUQ, PDQ/PQ/MQ/1/N/3, 4, 1, 0, 44, Correspondance d’affaires Mathew Macnider, Lettre de

Mathew Macnider, aux Ursulines de Québec, 18 septembre 1802, à AMUQ, PDQ/PQ/MQ/1/N/3, 4, 1, 0,

44, Correspondance d’affaires, Lettre de W. B. Coltman, à Mère Saint-Henri McLaughlin, 30 mars 1819,

Les lettres qui dépassent cette date n’ont pas été étudiées.

89 Voir le chapitre « La pesante charge » dans Colleen Gray, The Congrégation de Notre-Dame, Superiors,

cette délégation de la gestion comme une perte « d’autonomie ». Au contraire, les propos qu’elles tiennent suite au bail de leurs deux fiefs démontrent qu’elles sont soulagées de ne plus en avoir la charge pour quelques décennies. D’ailleurs, le fait que les religieuses ne s’en départissent pas est intéressant. En cédant par bail pour une période limitée, plutôt qu’en les vendant à MacNider qui est par ailleurs aussi seigneur, les religieuses s’assurent non seulement de conserver leurs titres, mais également de récupérer une seigneurie qui sera, elles l’ignorent alors mais s’en doutent peut-être, bien établie, entièrement peuplée et donc nettement plus lucrative.