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Chapitre 1: Problématique

1.3. L’intégration agriculture-élevage, à la base du fonctionnement des SMAE

Comme nous venons de le voir, les SMAE, comme support de production à l’échelle de l’exploitation agricole, présentent un intérêt pour répondre aux nouveaux enjeux auxquels doit faire face l’agriculture. L’analyse plus fine de ces systèmes, notamment au regard de leur fonctionnement agronomique, montre l’importance de deux aspects : la diversité des espèces présentes qui renvoie à la structure du système mixte et l’intégration entre ces espèces qui renvoie au fonctionnement de ce système (Schiere et Kater, 2001). Les propriétés des SMAE analysées précédemment découlent principalement de la diversité des productions conduites. Nous allons voir maintenant en quoi l’intégration entre ces activités, d’un point de vue biotechnique nous apparait comme fondamentale.

1.3.1. Place de l’intégration élevage au sein des systèmes mixtes

agriculture-élevage

Tout comme le regain d’intérêt pour les SMAE dans la littérature scientifique, la question de l’IAE l’est aussi, traitée de manière sous-jacente dans la plupart des travaux portant sur les SMAE (96 % des publications portant sur les SMAE). En effet, la notion d’IAE est présente dans la définition même des SMAE, faisant référence à des systèmes de production associant à la fois des élevages et des cultures « plus ou moins en interactions » (Seré et al., 1996). Du point de vue des productions animales, les auteurs scientifiques font d’ailleurs de l’IAE un prérequis à la définition de « mixed farming system ». Certains considèrent qu’au moins 10 % de l’alimentation (en matière sèche) doit provenir des cultures de l’exploitation. D’autres considèrent que seuls les systèmes pour lesquels la totalité des cultures est destinée à l’alimentation animale correspondent à des SMAE (Coquil et al., 2013). Cette dernière définition interroge le positionnement des SMAE vis-à-vis de systèmes d’élevage spécialisés produisant leur fourrage tel que les systèmes herbagers. De notre point de vue, ces systèmes répondent à des logiques de spécialisation et d’autonomie en alimentation animale, a

contrario des SMAE qui répondent à des logiques de diversification des productions et de

complémentarité entre ces dernières. D’un autre côté, il existe des SMAE, produisant et commercialisant des produits animaux et végétaux sans construire d’interactions d’un point de vue agronomique, même s’ils sont coordonnés à l’échelle de l’exploitation en termes d’allocation des ressources et des facteurs de production (Perrot et al., 2012; Ryschawy et al., 2014b).

L’IAE peut aussi être appréhendée à d’autres échelles. Sumberg (2003) propose ainsi un cadre d’analyse pour conceptualiser l’IAE, en fonction de ses dimensions spatiale, temporelle, de propriété et de gestion, englobant l’échelle de l’exploitation agricole. Plusieurs travaux traitent en effet de l’IAE à l’échelle territoriale, à travers les échanges de matières et les complémentarités existantes entre les exploitations agricoles d’un territoire donné (Moraine, 2015; Nowak et al., 2015). La question de la durabilité se pose en effet vis-à-vis de la spécialisation, non seulement à l’échelle des exploitations, mais aussi à l’échelle des territoires, et des complémentarités possibles pour y remédier (projet européen Cantogether par exemple).

Ceci est aussi le cas dans des contextes de mobilité des élevages d’Afrique de l’Ouest, où les complémentarités entre agropasteurs, agriculteurs et éleveurs sont essentielles (Vall et al., 2006), notamment pour la gestion de parcours et pâturages collectifs, ou encore au niveau de l’agriculture urbaine où de nombreux échanges de matière ont lieu entre cultivateurs en périphérie et éleveurs intramuros (Robineau, 2013).

De ces travaux, et à l’échelle à laquelle nous nous plaçons, l’exploitation agricole, nous retenons comme définition de l’IAE l’ensemble des pratiques agricoles au sein d’un SMAE visant à exploiter les synergies possibles entre espèces animales et végétales.

1.3.2. Intégration agriculture élevage et enjeux agricoles

Plusieurs bénéfices sont associés à l’IAE pour répondre aux enjeux agricoles. Outre ceux d’ordre socioéconomique communément associés aux SMAE, d’autres aspects relèvent plutôt du fonctionnement agronomique permis par l’IAE.

Les pratiques d’IAE contribuent à une meilleure utilisation des ressources naturelles. Elles contribuent à une plus grande efficience dans l’utilisation qui est faite de la ressource en eau (Descheemaeker et al., 2010). La qualité des sols en est aussi améliorée, tant par les pratiques de fertilisation organique que par la conduite conjointe d’espèces végétales différentes. L’IAE se fonde souvent sur des variétés végétales et des races locales, de part leur plus grande adaptabilité à l’écosystème local (Archimède et al., 2014; Gonzalez-Garcia et al., 2012).

Les SMAE et l’IAE peuvent aussi contribuer aux grands enjeux liés au changement climatique: en termes de stockage du carbone, par l’apport de matière organique aux sols, la mise en place de pâturage ou encore la conduite de systèmes agrosylvopastoraux ; en termes de mitigation, par une réduction des émissions liées aux fertilisants minéraux et aux déjections animales ; et en termes d’adaptation, la conduite conjointe d’espèces adaptées aux conditions locales leurs permettant de résister et s’adapter face à des événements climatiques majeurs (Bohan et al., 2013; Claessens et al., 2012; Lemaire et al., 2013).

Enfin, en ce qui concerne les services écosystémiques, l’IAE correspond à un mode de conduite de systèmes d’élevage et de cultures qui favorise les fonctions de régulations, d’habitat, ou encore de production de l’écosystème, et finalement de cet agrosystème intégré (Gaba et al., 2015; de Groot et

al., 2002; Swinton et al., 2007).

1.3.3. L’intégration agriculture-élevage vue à l’échelle des pratiques agricoles

De nombreux travaux traitent de la question de l’IAE en se focalisant sur une pratique (alimentation à partir de résidus de culture, gestion du fumier, couverture du sol), et en montrent l’intérêt. Ces pratiques sont relatives à l’alimentation animale, la fertilisation organique, et les associations d’espèces végétales (Gonzalez-Garcia et al., 2012; Iiyama et al., 2007; de Moraes et al., 2013). La figure 1.3 synthétise l’analyse bibliographique faite de l’IAE (Stark et al., 2013). Pour Seré et Steinfeld (1996), les pratiques d’alimentation animale sont centrales dans le fonctionnement des SMAE.

Chapitre 1 : Problématique

En effet, il existe toute une gamme de ressources végétales disponibles et valorisables par différentes espèces animales. Gonzalez-Garcia et al. (2012), proposent de les classer en trois groupes : les graminées, légumineuses et autres fourrages indigènes ; les résidus de culture ; et les coproduits agro-industriels. De facto, la valorisation de ces ressources au sein du SMAE permet d’alimenter les animaux présents tout en diminuant le recours à l’achat d’intrants. De plus, c’est par les pratiques d’alimentation que l’éleveur réfléchit l’adéquation entre des ressources variables dans le temps et dans l’espace et les besoins des animaux, qui eux aussi varient dans le temps et selon les individus, du fait des différences d’état physiologique. Une bonne gestion du calendrier fourrager peut permettre de maintenir le niveau de production même pendant certaines périodes critiques de l’année. De nombreux travaux portent sur les pratiques d’alimentation à partir de ressources locales et de coproduits de culture (Archimède et al., 2014; Sauvant et al., 2013).

La valorisation des déjections animales par la fertilisation organique est l’autre principale pratique d’IAE. Elle diminue tout d’abord la dépendance des exploitations vis-à-vis des fertilisants minéraux et représente souvent la seule source de fertilisation des petites exploitations agricoles (Powell, 2014; Rufino et al., 2007). Elle permet aussi de diminuer les pollutions et émissions liées aux déjections animales, principale source de pollution de l’agriculture (van Keulen et al., 2000). Elle contribue à la fertilité des sols à long terme, ainsi qu’à leur structure et leur composition biologique (Giller et al., 2006).

Les pratiques d’associations de cultures, dans le temps et dans l’espace, sont aussi fondamentales (Malézieux et al., 2009). Elles ne correspondent pas exclusivement à des pratiques d’IAE mais sont développées dans le cadre des SMAE. De nombreux travaux montrent en effet que la conduite conjointe d’animaux, de cultures ou de fourrage améliore la qualité des sols, tant au niveau chimique, physique, que biologique (Blanco-Canqui et al., 2015; Fultz et al., 2013). De plus, ces pratiques améliorent la productivité ramenée à la surface et confèrent une plus grande résistance vis-à-vis des pressions parasitaires (Mahieu, 2013). La conduite simultanée d’une grande diversité d’espèces confère en effet aux SMAE une plus grande immunité du système de production, qu’il s’agisse d’espèces végétales (Altieri et Nicholls, 2012; Jannoyer et al., 2011) ou d’espèces animales (Archimède et al., 2014; Dedieu et al., 2011).

Figure 1.3: Revue de la littérature concernant l’intégration agriculture-élevage (IAE), Stark et al., 2013. 108 publications analysées et classées suivant 6 approches : i) influence de l’environnement socioéconomique et pédoclimatique sur l’IAE ; ii) conceptualisation de l’IAE ; iii) méthodologie pour l’analyse de l’IAE ; iv) évaluation des performances ; v) intérêt théorique de l’IAE ; vi) analyse de pratiques d’IAE.

1.3.4. Un nouveau regard à porter sur l’intégration agriculture-élevage

Les pratiques d’IAE apparaissent comme un levier pertinent pour la conduite durable des productions animales et végétales. Pourtant, peu de travaux ont été conduits, du point de vue de l’agroécologie, à l’échelle non plus de la pratique mais du système de production, vu comme une entité au fonctionnement intégratif qui repose sur les processus écologiques des écosystèmes. Raisonner l’IAE à l’échelle du système de production et non plus de la pratique agricole, nous apparait comme approprié pour raisonner les performances permises par cet ensemble de pratiques (Faverdin, 2015). En se replaçant dans le cadre proposé par l’agroécologie, à l’échelle du système de production, l’IAE peut être vue comme un ensemble de pratiques qui mobilisent les processus écologiques inhérents au fonctionnement des écosystèmes (Bonaudo et al., 2014), et plus particulièrement en tant que réseau de flux de nutriments (Altieri et Nicholls, 2005). L’IAE correspond en effet à un ensemble d’échanges de flux de matière et d’énergie entre les différentes composantes du système, à savoir les animaux, les cultures et le sol. Outre l’intérêt que représente un flux donné entre deux composantes du système (flux d’aliment, flux de fertilisation), cet ensemble de flux, vue comme un réseau, peut présenter des propriétés émergentes à l’échelle du système, difficilement appréhendables partie par partie (Fath et al., 2007).

Chapitre 1 : Problématique

S’il apparait que les écosystèmes les plus diversifiés et les plus complexes soient à la fois les plus productifs, les plus efficients et les plus résilients (Tilman et al., 2002; Ulanowicz et al., 2009), qu’en est-il des SMAE intégrés, qui semblent être les agrosystèmes qui se rapprochent le plus du fonctionnement de ces écosystèmes ? Les SMAE associent en effet toute une diversité d’espèces, de niveaux trophiques différents, plus ou moins en interactions les unes avec les autres.

Pourtant, les travaux portant sur l’analyse systémique de l’IAE ne l’abordent pas sous l’angle de l’écologie des systèmes (Odum, 1983). Les quelques travaux qui traitent de manière systémique de l’IAE le font sous l’angle des flux de nutriments (Dalsgaard et Oficial, 1997; Rufino et al., 2009a; 2009b; Watson et al., 2005). La question du bouclage des cycles biochimiques est en effet centrale dans une perspective agroécologique (Médiène et al., 2011). De fait, L’analyse de l’IAE, comme transfert de matière et d’énergie entre composantes du système de production, nécessiterait d’être approfondie (Powell et al., 1995). Mieux cerner la quantité de nutriments qui circule, l’efficience de ce recyclage, la diversité des flux, la connectivité des composantes du système, nous apparaissent comme des éléments de fonctionnement à même d’impacter la construction des performances du système (Sumberg, 2003; Tittonell et al., 2007).

Dans ce contexte, nous proposons de regarder l’IAE à l’échelle du système de production, en s’appuyant sur les premiers travaux l’ayant analysé de manière systémique, pour prendre en compte cet ensemble d’interactions sous l’angle du fonctionnement des écosystèmes, et des propriétés qui en découlent. La question se pose alors de savoir dans quelle mesure l’IAE, prise comme un ensemble de pratiques à l’échelle du système, et en tant que mise en œuvre concrète des principes de l’agroécologie, présente des propriétés de structure et de fonctionnement similaires à celles des écosystèmes et aux processus écologiques qu’ils mobilisent.