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Chapitre 6: Discussion générale

6.1 Quelle réponse à la problématique posée

6.1.1. Caractérisation de l’intégration agriculture-élevage

Pour pouvoir évaluer le rôle de l’intégration agriculture-élevage dans l’élaboration des performances des SMAE, il nous apparaissait essentiel de pouvoir caractériser l’IAE à l’échelle du système. Nous avons fait le choix de l’analyser comme un réseau de flux d’azote, en mobilisant la méthode d’analyse des réseaux écologiques. Nous avons ainsi identifié deux propriétés de ce réseau: l’intensité des flux et leur organisation.

Intensité des flux d’IAE

L’intensité des flux d’IAE renvoie à la quantité de ressource considérée qui est recyclée, l’azote dans notre cas. La question du bouclage des cycles biochimiques passe notamment par une meilleure connaissance de la quantité de nutriments recyclée au sein du système.

L’intensité des flux, telle que mesurée dans ces travaux, l’est soit en valeur absolue (TT), soit par rapport au facteur terre (TT/ha), soit par rapport à l’activité totale du système (TT/TST). Or elles n’ont pas le même sens ni le même intérêt suivant la finalité des analyses menées. L’unité de surface est un dénominateur classiquement utilisée en agronomie. Raisonner l’IAE, tout comme les inputs et les outputs par rapport à la surface, permet de comparer facilement des niveaux de dépendance, de productivité et d’IAE entre eux. L’activité totale du système (TST) correspond au total d’azote circulant dans les compartiments (Finn, 1980), i.e. les flux qui proviennent de l’extérieur (inputs) et ceux issus d’un autre compartiment (flux d’IAE). Ramené au TST, l’intensité de l’IAE (TT) évalue la contribution de l’IAE à l’activité totale du système. Dans le cas des exploitations guadeloupéennes, l’intensité de l’IAE mesurée en TT/TST nous est apparue intéressante pour comparer des situations présentant un niveau important d’inputs. Pour ce qui est de la comparaison de l’ensemble de nos cas, le TT/ha nous est apparu plus pertinent, compte tenu de niveaux d’inputs variables d’une situation à l’autre et des niveaux d’activité totale très différents.

En reprenant nos résultats sur l’intensité des flux, trois situations se dessinent. Dans le cas des systèmes à faible niveau d’input et d’output (c’est-à-dire la plupart des cas brésiliens et un cas cubain), les flux d’IAE sont faibles et le total des flux d’azote du système l’est également. Dans ce cas-ci, la possibilité d’augmenter le niveau d’IAE est limitée compte tenu de la faible quantité de nutriments disponible. En revanche dans la plupart des situations guadeloupéennes, l’intensité des flux d’IAE est certes faible, mais l’activité totale du système est importante, ce qui est principalement dû au niveau important d’inputs. Dans ce cas-là, la possibilité d’augmenter le niveau d’IAE est plus importante, liée à une plus grande quantité d’azote circulant à travers le système sans être recyclée. Enfin, dans les situations les plus intégrées, l’activité totale du système est importante, fonction d’une part des inputs mais aussi de l’azote recyclé à travers l’IAE.

Chapitre 6 : Discussion

Organisation du réseau de flux

L’organisation des flux correspond à l’architecture du réseau de flux et à la répartition de l’activité entre ces flux. Il s’agit d’une dimension qui est rarement considérée dans l’étude des exploitations agricoles mais qui apporte un nouveau regard sur l’équilibre du système, en termes de répartition de l’activité et de complexité des échanges. L’organisation des flux ne prend pas en compte uniquement la diversité des connexions, mais aussi leur répartition entre les composantes du système et leur importance relative. Cette notion d’organisation est présente dans les travaux sur les écosystèmes, mais aussi dans les recherches sur le métabolisme urbain et territorial (Zhang et al., 2010).

L’organisation des flux permet de nuancer les résultats obtenus sur l’IAE en termes d’intensité. Certains systèmes sont en réalité très intégrés, au sens où la plupart des productions sont connectées les unes aux autres par des flux d’IAE (cas des exploitations brésiliennes à bas niveaux d’input), malgré le fait que l’intensité de ces flux reste très faible, étant donné la faible activité du système. A contrario, la majorité des cas guadeloupéens ont un très faible niveau d’intégration en termes d’intensité (TT/ha) et très peu de flux d’IAE. Enfin, pour les systèmes ayant une intensité d’IAE élevée, deux situations se distinguent : un cas brésilien pour lequel cette forte intensité est concentrée sur une pratique d’alimentation (culture de maïs pour la production d’ensilage destinée à l’alimentation des bovins), et les autres cas (Cuba principalement) pour lesquels plusieurs flux d’intensité conséquente relient les productions entre elles, en termes d’alimentation animale et de fertilisation.

L’indicateur𝐴𝑀𝐼 𝐻⁄ 𝑟, qui évalue l’organisation des flux, présente toutefois certaines limites eu égard à

la caractérisation spécifique de l’IAE. Cet indicateur permet en effet d’évaluer l’organisation du réseau de flux dans son ensemble, à savoir les flux d’IAE, mais aussi les flux entrants et sortants du système. Une piste intéressante, qui n’a pas été développée dans ces travaux, serait notamment de calculer un indicateur d’organisation qui ne prendrait en compte que l’architecture du réseau de flux internes. A la différence des écosystèmes, les flux externes ont plus d’importance dans le cas des agrosystèmes et peuvent avoir tendance à déséquilibrer l’organisation des flux.

En conclusion, il nous est possible de caractériser ces formes d’IAE (figure 6.1) suivant deux indicateurs (intensité de l’IAE et organisation du réseau de flux) et de répondre ainsi à la première sous-question en se basant sur notre échantillon de dix-sept exploitations qui présente bien une gamme contrastée de formes d’IAE.

Figure 6.1: Représentation schématique de la caractérisation des formes d’IAE en fonction de l’intensité des flux d’IAE et de l’organisation du réseau de flux.

Autres propriétés

Dans ce travail de thèse, nous avons aussi testé d’autres indicateurs que nous n’avons finalement pas retenu pour caractériser l’IAE. Le premier est la densité des flux, le rapport entre nombre de flux d’IAE et nombre de compartiments. En effet, les travaux préliminaires qui nous ont conduits à sélectionner les exploitations avaient pour objectif d’identifier la présence ou l’absence de pratiques d’IAE, leur nature, et les productions concernées. L’analyse quantitative de ces flux (en termes d’intensité), montre qu’en fin de compte, la mesure de la diversité relative des flux qui est permise par l’indicateur de densité des flux est très éloignée du niveau d’IAE. Le nombre de compartiments présents dans une exploitation agricole, à l’échelle retenue, est beaucoup plus faible qu’au sein des écosystèmes, ce qui réduit considérablement la diversité des flux. Fath et al. (2007) citent par exemple des travaux portant sur des écosystèmes de 60 compartiments. De plus, le nombre de flux possible d’un point de vue théorique diffère de celui possible d’un point de vue agronomique. Il y a en effet des flux possibles entre compartiments animaux et végétaux présents (alimentation, fertilisation), entre certaines cultures (résidus de culture pour couverture, engrais vert), entre certains élevages (petit lait), mais pas de manière systématique. Des flux du compartiment stockage de fumier vers un compartiment animal n’existent pas dans la réalité, tout comme des flux d’un élevage porcin vers un élevage bovin par exemple.

Un autre indicateur classiquement utilisé pour caractériser l’intégration est l’indice de Finn. Cet indicateur est largement utilisé et discuté dans les travaux portant sur les écosystèmes (Allesina et Ulanowicz, 2004). L’ensemble des travaux portant sur les agrosystèmes et les exploitations agricoles le calculent aussi (Alvarez et al., 2013; Rufino et al., 2009a; 2009b). Dans notre échantillon, les valeurs de l’indice de Finn restent très faibles (0.8 % en moyenne, avec un écart-type de 2.6 %). Pour 8 exploitations agricoles sur 17, l’indice de Finn a une valeur nulle, alors que notre échantillon présente toute une gamme d’intensité et d’organisation d’IAE.

Chapitre 6 : Discussion

Ces résultats concordent avec ceux de Rufino et al. (2009b) et Alvarez et al. (2013), qui obtiennent eux aussi de faibles valeurs de FCI (compris entre 0.9 et 11 % pour Rufino et al., 2009b; entre 2.5 % et 4.4 % pour Alvarez et al., 2013). Nous nous posons donc la question de la pertinence de mobiliser cet indicateur pour étudier les exploitations agricoles, compte tenu du faible niveau de « cyclage » de ces systèmes, en comparaison des écosystèmes. Finn (1980) obtient par exemple un FCI de 75.8 % en mesurant le réseau de flux d’azote de l’écosystème d’Hubbard Brook et Allesina et Ulanowicz (2004) des valeurs comprises entre 0 et 40 % dans des travaux portant sur 23 écosystèmes. Le « cyclage », tel que mesuré par Finn, correspond à la quantité d’azote qui sort et entre à nouveau au sein d’un compartiment donné. Hors, dans les exploitations agricoles, le nombre de flux est moins important que dans les écosystèmes, et la possibilité que l’azote circule à nouveau au sein du même compartiment est très réduite. La figure 6.2. illustre cette notion de « cyclage ». Dans le cas de C2, l’architecture du réseau de flux permet à l’azote de circuler à nouveau dans le même compartiment via plusieurs chemins existants. Dans le cas de B1, les flux d’azote ne vont que dans un sens (ils rentrent dans un compartiment, mais ne ressortent pas vers un autre), ne permettant pas le « cyclage » de l’azote, et conduisant à une valeur nulle du FCI. L’indicateur d’intensité de l’IAE (TT), nous apparait donc plus adapté pour appréhender le niveau de circulation de l’azote dans une exploitation.

Exploitation C2 (FCI=10.7%) Exploitation B1 (FCI=0%)

Figure 6.2: Diagramme de flux d’azote de deux exploitations (C2 et B1) présentant des niveaux de « cyclage » très différents.

En gris foncé, les compartiments végétaux ; en gris clair, les compartiments animaux ; en noir, les compartiments de stockage. La taille des compartiments et des flux est proportionnelle à la quantité totale de flux circulant totale de chaque exploitation.