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Le constat que nous avons fait lors de l’analyse des résultats était que, si l’on exclut l’activité de distribution de copie, l’accommodation des schèmes se produit sur la base des schèmes relatifs aux formes scolaires ou à la prise en charge du handicap et pas à partir des schèmes d’usage de l’artefact (cf. chapitre 7.3). Nous ne défendrons pas, bien sûr, l’idée qu’une instrumentation puisse se faire sans recourir aux propriétés de l’artefact, mais nous restons surpris de la facilité avec laquelle les propriétés et contraintes des artefacts numériques ont été assez peu évoquées lors des entretiens d’autoconfrontation. Schématiquement, tout semble se passer comme si ces outils avaient une forme de transparence lors de leur mobilisation, comme dans la métaphore de la boîte noire de Rabardel (1995). Nous avions également fait l’hypothèse que la représentation des enseignants vis-à-vis des TIC pourrait avoir un effet structurant sur l’appropriation de l’équipement, et ces résultats semblent, a priori, indiquer le contraire.

Les enseignants de l’échantillon sont tous des utilisateurs de logiciels bureautiques. Ils connaissent et utilisent les fonctions courantes des traitements de texte pour leur propre production d’écrits. M. Bon interpelle d’ailleurs Juliette en cours sur sa façon de résoudre un problème de production d’écrit. Mme Dar signale qu’elle aide parfois Corentin  « sur la manière de taper une écriture mathématique, une racine carrée ». Mme Hur indique à propos d’une modification de sujet qu’elle souhaite effectuer pendant l’évaluation qu’il lui faut  « deux minutes pour lui supprimer [et] ce sera plus confortable pour lui ». Il apparaît que ces enseignants ont construit des schèmes d’usage des outils de traitement de texte autour de la production d’écrits numérisés.

Lors des trois types de situations rencontrées, le cours, les travaux dirigés, et l’évaluation, la production d’écrit par les élèves est une activité importante. Ceci est confirmé par la prédominance de l’activité de dactylographie. Les enseignants ont différentes raisons de

89 demander ces écrits, mais il existe une convergence entre leur façon de travailler avec l’ensemble des élèves et la représentation qu’ils ont du traitement de texte, comme moyen de produire un écrit. Les artefacts numériques de l’élève, leur paraissent être, pour les situations observées et explicitées lors de l’entretien d’autoconfrontation, des outils bureautiques permettant la production d’écrit, dont la nature serait très proche à celle des écrits manuscrits de classe. Lors des activités instrumentées de dactylographie, M. Bon parle, d’ailleurs,  « de saisir […] une trace écrite », Mme Dar de  « cahier, comme le cahier de son voisin », ou Mme Hur de  « sujet » sur une  « copie » qu’il faudra  « imprimer […] corriger et […] rendre au même titre qu’une copie […] d’un élève classique ».

Il semble que les représentations du potentiel des artefacts numériques de l’élève sont fortement empreintes d’un modèle, celui des outils bureautiques, que ces enseignants utilisent couramment, notamment pour leur propre production d’écrits professionnels. Il est alors vraisemblable que, bien que ce ne soit pas formalisé lors des entretiens, l’instrumentation soit fortement influencée par l’accommodation de schèmes liés aux outils bureautiques.

Les traitements de texte en particulier, et les outils bureautiques en général, sont conçus dans l’intention de permettre et optimiser le travail de production de documents de bureau. Ils peuvent alors, sans souci, prendre en charge d’autres formes de production de documents, notamment scolaires, tout en restant dans la continuité de l’intention des concepteurs. De plus, le traitement de texte porte en lui plusieurs limitations du champ instrumental de l’artefact : les contraintes de structuration de l’action (cf. p. 53), limitant les conduites possibles pour l’utilisateur et les contraintes de finalisation limitant les transformations possibles de l’objet de l’activité. Aussi, il est plutôt logique que le recours au traitement de texte restreigne l’activité de l’élève et les représentations des enseignants dans le domaine de la production d’écrits.

L’impression d’accommodation autour des attendus de classe, plus qu’autour des propriétés de l’artefact, nous paraît essentiellement due à plusieurs points. Premièrement, les enseignants amalgament l’écrit numérisé produit par le traitement de texte et l’écrit classique, rendant une éventuelle spécificité de l’écrit numérisé difficile à distinguer puis à formaliser. L’utilisation d’analogie avec l’équivalent papier de leur travail est, ainsi, systématique pour chacun des enseignants. Ensuite, les activités demandées, à l’ensemble des élèves, par le professeur n’entrent pas en conflit avec le caractère contraignant des limitations de l’artefact. Tous les élèves de la classe pourraient alors être équipés d’ordinateur et produire le même travail, sans que cela n’interfère avec le déroulement de la séance de classe. La seule activité

90 qui serait éventuellement impactée serait la distribution de copies. Enfin, le fait que l’ordinateur soit affecté à l’élève permet une prise de distance de l’enseignant avec les artefacts mobilisés, renvoyant à l’élève la gestion de son ordinateur. Cela permet au professeur ayant une vision générique du traitement de texte de ne pas trop descendre dans le détail de la mise en œuvre, même s’il reste le concepteur de la séance.

Les enseignants prennent en compte l’ordinateur avec un point de vue global, distant. Cela leur permet de raisonner de façon générale sur l’écriture, sans faire appel à leurs schèmes d’usage des artefacts d’écriture numérisée. De façon comparable, ils n’ont jamais parlé de papier et de crayon lorsqu’ils parlaient des autres élèves. On voit ici que la métaphore de la boîte noire de Rabardel (1995) est opérante pour les deux formes d’écrit, numérique et manuscrit. Ce point pourrait être confirmé ou infirmé si, dans un échantillon élargi, nous rencontrions des enseignants ayant une vision plus confuse des outils bureautiques, ou une véritable capacité à les détourner ou les reconfigurer.

De la même façon dans les instrumentations autour du contrôle et de la régulation du travail de l’élève, l’accommodation des schèmes semble porter sur la prise en charge du handicap. L’absence de discours sur les schèmes d’usages de l’ordinateur peut être analysée de la même façon.

L’instrumentation est alors difficile à déceler, d’une part parce que la place de l’écrit, manuscrit comme numérisé, en classe revêt un caractère implicite, et d’autre part parce que l’artefact mobilisé permet aisément de produit des écrits numérisés sans que cela interfère dans le fonctionnement de la classe.