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Dans les situations observées, les enseignants ont constitué des classes d’instruments, permettant d’atteindre deux catégories de buts. D’une part, ce sont des buts globaux conformes

86 aux modèles scolaires usuels, et d’autre part, il y a des buts intermédiaires, lors des moments d’interaction entre l’élève équipé et l’enseignant plutôt liés à leurs représentations de la prise en charge du handicap. Le premier cas s’est rencontré durant les opérations de dactylographie et de distribution de copie. Le second concernait les opérations de contrôle et régulation du travail de l’élève.

Les divers instruments mobilisés lors de la distribution de copie permettent à l’élève de composer et à l’enseignant de récupérer le travail d’évaluation. Lors des phases collectives, la dactylographie se déroule de façon synchrone aux opérations d’écriture manuscrite des autres élèves. Il faut cependant remarquer que, lors de l’évaluation, un système de tiers-temps inversé a été mis en place. L’élève équipé écrit en même temps que les autres, sur l’heure d’évaluation, mais la quantité de travail demandée est moindre. Dans ces conditions, la dactylographie et la distribution de copie, permettent à l’élève présentant des TAC de réaliser un travail plutôt en adéquation avec les attendus et modalités de travail des cours usuels. Les artefacts numériques permettent alors la prise en charge de la dysgraphie de l’élève, et la téléocinèse permet de limiter le coût cognitif de cette activité.

Lors des phases individuelles de contrôle et de régulation du travail de l’élève, les buts recherchés sont plutôt conformes avec les modèles de prise en charge proposés par Gombert (2008). Pour les enseignants identifiés comme relevant d’une approche attentionnelle, M. Bon et Mme Hur, il existe un souci de vérifier que le cadre de travail de l’élève est optimal et que l’attention de celui-ci est maintenue à un certain niveau. Pour Mme Dar, qui relève d’une approche intégrative, les aspects méthodologiques, le souci d’une forme d’homogénéité de travail avec la classe prévalent. Il est difficile d’affirmer que les artefacts numériques sont la cause de cette prise en charge, dans la mesure où ils ont également été mobilisés dans des temps non différenciés. Nous pensons que c’est plutôt le moment d’interaction entre individus qui permet cette différenciation, dans la mesure où il s’agit du seul point commun entre les activités permettant la prise en charge conformément aux approches relatives au handicap. Les artefacts numériques de l’élève deviennent alors les médias de cette différenciation. Ce point de vue nécessite cependant d’être approfondi, avec, par exemple, le recours à davantage de situations de classe, pour être confirmée.

L’écrit numérisé serait donc majoritairement un instrument permettant à l’élève de suivre le cours, mais il serait également mobilisé, de façon minoritaire, pour individualiser le travail avec l’élève. Cette individualisation n’est d’ailleurs pas nécessairement inclusive ou

87 différenciée (op. cit.). Ce n’est pas l’équipement informatique qui engendre l’individualisation, mais il est mis à contribution lors des phases individualisées. Cette constatation trouve écho dans quelques travaux récents (Coen, 2011 ; Metzger, 2011), dans lesquels la présence de TIC dans la classe n’induit pratiquement pas de modifications des pratiques antérieures. Les artefacts numériques, tels qu’ils sont utilisés, restent cloisonnés à des usages à faible niveau d’intégration (Coen & Schumacher, 2006) visant surtout à substituer le livre et le classeur par les artefacts numériques. Dans ces conditions, leur mobilisation a peu de probabilités de reconfigurer les modalités de travail préexistantes. Les enseignants de l’échantillon ont fait produire un écrit, se sont assuré que le travail attendu soit fait, et l’ont éventuellement régulé, pour les élèves équipés comme pour les autres. Nous avons pu, néanmoins, observer que les élèves équipés faisaient l’objet d’une attention plus soutenue, en matière de durée, de la part des enseignants. Malheureusement, notre dispositif n’a pas pu nous permettre de quantifier cette différence qui pourrait faire l’objet d’une étude ultérieure pour être éventuellement confirmée.

La continuité des buts après un changement d’artefact a déjà été analysée par Rabardel (1995, p. 174), pour qui il n’est  « nullement étonnant qu’un changement d’artefact puisse n’avoir que des effets limités au plan des buts du sujet lorsque ceux-ci sont essentiellement dépendants d’autres déterminations (souvent liées à la définition même de l’emploi dans un contexte de travail) ». Ce sont les autres déterminants de l’activité qui entraveraient les développements possibles des instruments en fixant des cadres forts. Ces cadres pourraient être à chercher notamment dans les représentations de l’école, le poids de la discipline ou encore dans les représentations des enseignants sur leur activité. Rabardel poursuit cette réflexion et avance que les buts ne sont pas influencés par les artefacts mobilisés, mais que ce sont les procédures mises en œuvre pour parvenir à ces buts qui le sont.

Cette approche permet d’expliquer en partie pourquoi les objectifs du cours ne sont pas réellement modifiés par l’introduction des artefacts numériques de l’élève, et pourquoi les buts recherchés par l’instrument s’y combinent fortement. Nous n’avons pas, non plus, de certitude que les étapes de régulation et de contrôle puissent être imputées à l’introduction de l’ordinateur. Il est plausible, si l’on suit le raisonnement de Rabardel, que les modalités de prise en charge soient analogues pour des élèves non équipés. Une étude comparative de prise en charge par les mêmes enseignants, de travaux similaires réalisés avec des élèves équipés et des élèves non équipés, souffrant de troubles analogues, permettrait de voir si les artefacts numériques peuvent avoir une incidence sur la forme que revêt le travail en classe ou si les

88 déterminants possèdent une structuration suffisamment forte sur l’activité pour produire un empêchement, malgré le recours aux TIC.

Nous voyons ici qu’il sera difficile d’attendre que les artefacts numériques orientent, de facto, les buts du travail en classe. C’est dans la conception du cours et dans la partie humaine de l’instrument, au travers des schèmes, que ces réorientations du cours sont à chercher. Nous allons maintenant nous interroger sur les modalités de travail permettant d’atteindre ces buts. Pour ce faire, nous allons analyser les genèses des instruments, pour voir comment elles tiennent compte des contraintes de la prise en charge de l’élève avec son ordinateur.