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L ES INSTITUTIONS AGRICOLES ARGENTINES AVANT L ’ IRRUPTION DE LA FIGURE INTERPROFESSIONNELLE

A) L

ES QUATRE SYNDICATS AGRICOLES TRADITIONNELS ET L

ORGANISATION

CRA

La première organisation agricole argentine date de 1866, année de fondation par un groupe de grands propriétaires de terre de la région pampéenne de la Société rurale argentine(Sociedad Rural Argentina) –SRA- (Lattuada, 2006). Dans ses premières années, la SRA a partagé le double statut d’organisation revendicative et technique. En effet, ce groupe de producteurs avant-gardistes ont créé cette association dans le but de diffuser des connaissances pour améliorer la production, notamment l’élevage bovin (Campi, 2013 ; Anlló, 2010 ; Hora, 2002 ; Sesto, 2007). Pour ce faire, la SRA diffusait des publications, organisait des expositions et voyages d’étude, vendait des produits améliorés, et embauchait des spécialistes

pour la réalisation d’activités de vulgarisation. Ainsi, la SRA a eu un rôle très significatif dans la diffusion de technologies pendant sa première période qui coïncide avec une étape de grande croissance du secteur. Postérieurement, le profil est devenu plus syndical en détriment des activités technologiques, et la SRA s’est consolidé comme représentante des intérêts des grands propriétaires/capitalistes de l’embouche, qui participent à différents secteurs de l’économie (Lattuada, op. cit.).

En 2014, elle compte environ 7 000 associés réunis dans les différentes sociétés rurales régionales. Son objectif principal est de promouvoir le développement rural à travers la défense des intérêts de ses membres et la proposition de politiques. Sur un plan technologique, elle conserve un laboratoire de génétique animale, qui permet d’assurer la qualité des races bovines.

La deuxième organisation qui a été créée est la Fédération agraire argentine(FederaciónAgraria Argentina) - FAA-. Fondée en 1912 dans un contexte de protestation de producteurs qui, à la différence des membres de la SRA, étaient de petits et moyens agriculteurs familiaux, la plupart d’entre eux étant fermiers ou métayers (Lattuada, op.

cit.). Le profil de cette organisation est donc essentiellement syndical(Moyano, op. cit.).

Comme signale Lattuada (op. cit.) la constitution de la FAA a favorisé et renforcé le développement du mouvement coopératif. Cette organisation a promu la création de coopératives de producteurs dans le but d’améliorer les conditions d’achat d’intrants et de vente de produits, ainsi que d’organiser et d’assurer les récoltes. En effet, dans les décennies suivantes, un grand nombre de coopératives a été formé, leur rôle étant très important dans l’organisation de la production agricole et en tant qu’institutions d’appui et de représentation des producteurs. Quant aux principaux aspects revendiqués par la FAA, ils ont été liés à la tenure du foncier et à son utilisation, et au développement rural basé sur l’agriculture familiale.

Actuellement, la FAA dit représenter à travers les différentes filiales, centres de jeunes agriculteurs, associations de femmes et autres associations, environ 100 000 petits et moyens producteurs.

En synthèse, les deux premières organisations regroupent les secteurs les plus polarisés des producteurs agricoles. Cependant, dans les années suivantes, les producteurs restants ont formé eux-aussi des associations représentatives de leurs intérêts.

En 1932 s’est constituée la Confédération d’associations rurales de Buenos Aires et La Pampa(Confederación de asociaciones rurales de Buenos Aires y La Pampa) – CARBAP -. Cette

organisation intègre des associations de niveau local des provinces de Buenos Aires et de La Pampa, intégrées essentiellement par des naisseurs qui ont quitté la SRA à cause des conflits entre eux et le secteur dominant de l’embouche (Lattuada, op. cit.).

La CARBAP et d’autres associations locales du reste du pays fondent en 1942 une organisation de troisième degré que les articule au niveau national, nommée Confédérations rurales argentines (Confederaciones Rurales Argentinas) – CRA -. Cette association est créée pour représenter les moyens et grands propriétaires d’exploitations mixtes, qui se consacrent aux cultures traditionnelles de la région pampéenne et à l’élevage.

Cette organisation a forci jusqu’à regrouper actuellement 14 confédérations et fédérations, intégrées par plus de 300 sociétés rurales de différentes régions du pays, représentant environ 109 000 producteurs. Dans ce contexte, elle défend le développement rural basé sur la diversité géographique de la production agro-pastorale.

Enfin, en 1946, une autre organisation de troisième degré9 a été lancée, qui découle du mouvement coopératif initié par les immigrants, promu par la FAA et ensuite par l’État, à partir de 1940. La Confédération inter coopérative agro-pastorale

(Confederaciónintercooperativaagropecuariacooperativalimitada) – CONINAGRO- regroupe

des fédérations de coopératives dans le but de défendre les intérêts de leurs membres et de donner une représentation nationale au mouvement coopératif agricole. Parmi ses activités principales se trouve la commercialisation de la production des membres (Anlló, 2013). La CONINAGRO représente en 2014 environ 120 000 producteurs associés à 1 000 coopératives, qui se regroupent à leur tour en une douzaine de fédérations de deuxième degré.

En somme, au milieu des années 1950, le secteur agricole argentin possédait déjà des organisations syndicales représentatives des différentes catégories de producteurs et qui existent encore de nos jours. Autrement dit, les organisations créées à cette époque répondent aux besoins de représentation horizontale : elles se fondent sur les caractéristiques socio-économiques relativement homogènes des acteurs représentés.

En ce qui concerne la participation des producteurs agricoles à ces associations, nous pouvons affirmer a priori qu’elles représentent une proportion très élevée de ces producteurs étant donné que, selon le recensement agricole de 2002, il y avait en Argentine 333 533 exploitations. Cependant, comme le signale Anlló (2013), cette affirmation est soumise à deux

9 Une organisation de premier degré est constituée par des personnes physiques, une organisation de deuxième degré regroupe des organisations de premier degré et une organisation de troisième degré les associations de deuxième degré.

problèmes : d’une part, l’appartenance multiple, c’est-à-dire les producteurs qui participent à deux organisations ou plus. D’autre part, le fait d’être associé à une organisation ne signifie pas que les activités de ses dirigeants représentent les intérêts du producteur dans toutes les sphères.

B) L

ES DEUX ORGANISATIONS TECHNIQUES DE PRODUCTEURS

Deux organisations techniques ont été créées dans des moments et des contextes différents.

La première date des années 1957-60, une période dans laquelle le secteur agricole a traversé des difficultés productives et technologiques. Les innovations de la révolution verte n’avaient pas été diffusées massivement et le secteur souffrait d’un grave retard technologique par rapport au reste des pays concurrents.

Les producteurs agricoles, se faisant l’écho des difficultés technologiques qui affectent leur secteur, ont commencé à se mobiliser dans le but de surmonter cette situation. Une stratégie a été la formation des groupes CREA(Consortiums Régionaux d'Expérimentation

Agricole) basés sur le modèle français des Centres d’études technologiques agricoles (CETA). Le

premier CREA a été formé en 1957 dans la Province de Buenos Aires. Les CREA consistent en de petits groupes qui réunissent de 10 à 12 producteurs, généralement proches géographiquement, qui travaillent avec le conseil d'un ingénieur agronome avec l'objectif d’augmenter la production et de devenir un entrepreneur agricole, à travers la coopération et l'échange intellectuel. La manière traditionnelle d'opérer est par le biais des réunions mensuelles organisées dans l’une des exploitations de ses membres. Durant celles-ci, les problèmes posés par l'« hôte » sur le fonctionnement de son entreprise sont posés et traités. Les valeurs essentielles du mouvement sont la solidarité, le travail en équipe et la préservation des ressources naturelles. Depuis 1960, ils se sont regroupés dans l'Association Argentine de Groupes CREA (AACREA). En 2014, l’AACREA réunit 223 groupes, distribués dans 18 régions agro-écologiques, lesquels rassemblent 1 950 entreprises agricoles et 200 conseillers techniques, et représentent un peu plus de 3 900 000 hectares de production agricole et d'élevage.

L'Association a comme objectifs de concentrer les demandes de ses membres, pour développer et porter en avant des projets de formation, d’expérimentation et de transfert de technologie ; compiler, traiter et analyser l'information en provenance des groupes et la mettre à disposition de toute l'organisation.

L’AACREA a su s’adapter aux transformations technologiques et les producteurs qui forment les groupes constituent toujours une référence sur ce plan. Cette association a donc un profil nettement technique. Bien que sa forme d’intégration soit horizontale, car elle regroupe exclusivement de producteurs, l’AACREA refuse d’exercer une représentation syndicale ou politique (Anlló, 2013).

L’AAPRESID, l’autre organisation appartenant à ce groupe, a été créée 30 ans plus tard, en 1989. L’Association argentine de producteurs de semis direct est une ONG composée uniquement d’agriculteurs10. Tel que son nom l’indique, la mission de l’Association est d’« impulser le système de semis direct pour parvenir à une activité agricole durable (économiquement, socialement et d’un point de vue environnemental), basée sur l’innovation (technologique, organisationnelle et institutionnelle), assumant le compromis d’interagir avec les organisations publiques et privées, afin d’atteindre un développement intégral de la Nation » (site web d’AAPRESID)11.

Elle rassemble des producteurs soucieux de préserver les sols et qui estiment que « la nouvelle agriculture (…) vise à augmenter la productivité, sans les effets négatifs propres aux schémas de labour. C’est une réponse authentique au grand dilemme entre production et durabilité que rencontre aujourd’hui l’espèce humaine : produire des aliments et des biocombustibles, tout en maintenant en équilibre les variables économiques, éthiques, environnementales et énergétiques de notre société » (ibid.)

Les membres d’AAPRESID sont des entrepreneurs agricoles qui payent une cotisation trimestrielle qui leur donnent accès aux activités de formation et aux publications de l’organisation. À partir de ces idées, l’AAPRESID réalise des activités de formation qui s’étendent aux autres technologies liées au paradigme technologique actuel.

Comme l’AACREA, l’AAPRESID est une organisation de type technique (Anlló, 2013). Malgré l’inclusion durant ces dernières années d’autres types d’acteurs, l’AAPRESID conserve sa logique horizontale, étant donné que les activités de l’association se focalisent sur le producteur agricole. Cependant, les propos revendicatifs sont exclus des objectifs de l’association. La particularité de cette dernière est qu’elle est organisée autour d’une

10 Ces dernières années, l’AAPRESID a créé de nouvelles catégories d’associés pour les entreprises et professionnels liés à l’agriculture, en permettant leur participation à certaines activités de formation et l’accès à l’information générée par l’organisation.

technologie particulière qui est au cœur du paquet technologique porté aux nues depuis le milieu des années 1990.

Comme le montrent les travaux de Hernández et Gras (Hernández, 2007 ; Gras et Hernández, 2009), ces associations, particulièrement l’AAPRESID, revendiquent la figure de l’entrepreneur innovateur, dont les activités dépassent celles propres à la production agricole traditionnelle et incluent de nouvelles techniques de management des ressources naturelles et humaines, de la connaissance, des outils financiers.