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L IMITES DES FORMES HYBRIDES POUR L ’ ANALYSE DE L ’ HETEROGENEITE INSTITUTIONNELLE

L A PERSPECTIVE DE L ’ ECONOMIE STANDARD

4.2.2. L IMITES DES FORMES HYBRIDES POUR L ’ ANALYSE DE L ’ HETEROGENEITE INSTITUTIONNELLE

L’approche des coûts de transaction a fait l’objet de critiques. Certaines peuvent être intégrées dans une analyse qui conserve les hypothèses fondamentales de l’ECT, d’autres les contredisent et, par conséquent, rendent impossible une réconciliation entre ces deux visions.

La première de ces critiques s’adresse à l’hypothèse selon laquelle la minimisation des coûts est la seule règle de décision dans le choix du mécanisme de gouvernance. Elle se fonde essentiellement sur des recherches empiriques qui cherchent à déterminer les motivations des agents participant à divers types d’arrangements de coopération. Les travaux d’Hagedoorn et Schakenrad (1992) montrent que les firmes qui participent à des réseaux mentionnent parmi leurs motivations principales les complémentarités technologiques, l’accès aux marchés et la réduction de la période d’innovation.

Une autre approche qui peut être intégrée à cette ligne se focalise sur les ressources impliquées dans les accords. Selon cette perspective, la collaboration provient de la complémentarité des ressources qui existe entre les agents. Le motif le plus commun des relations collaboratives est l’interdépendance des ressources, les firmes collaborent avec le but de diminuer l’incertitude et pour avoir accès à d’autres ressources (Wernerfelt, 1984 ; Miotti et Schwald, 2002). Weil et Durieux (2000) appuient cette perspective et définissent les réseaux comme des « situations où des acteurs sont interdépendants et maîtrisent chacun une partie des compétences ou des capacités nécessaires à une action collective ». Les réseaux existent lorsque chaque partie dépend des ressources contrôlées par d’autres, et que la mise en commun des ressources peut être bénéfique à tous.

Néanmoins, Powell et al. (1996) montrent que ces arguments stratégiques peuvent être interprétés dans le cadre des hypothèses des coûts de transaction : «Posed in thisway, the

decision to collaborateis a variant of the make-or-buydecisionframedlargely in terms of transaction costeconomics» (ibid., p. 117). Ainsi, lorsqu’un agent a besoin des ressources qu’il

ne possède pas, il peut décider de réaliser des investissements pour les produire lui-même – en créant un laboratoire de R&D, en contractant des chercheurs, etc. par exemple pour le cas de la technologie – ou de s’engager dans un accord avec d’autres agents qui possèdent ces ressources. Le choix dépendra finalement des coûts de chaque mécanisme alternatif, en pensant aussi aux risques possibles de comportement opportuniste.

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Une deuxième critique allègue que l’approche ne peut pas capter la dynamique inhérente à l’organisation des processus d’innovation, notamment quand ces derniers impliquent la participation de plusieurs acteurs économiques. DeBresson et Amesse (1991) argumentent que l’ECT se focalise essentiellement dans un trade-off statique des coûts des différentes alternatives d’organisation sans apprécier les avantages de long terme que peuvent avoir ces mécanismes. Toutefois, « forming a network is unimaginable if the expected future

gains in knowledge, technology creation, and strategic advantages are not potentially larger than the considerable coordination costs and possible rent losses».

La troisième critique que font la plupart des auteurs (Powell, 1990 ; Freeman, 1991 ; DeBresson et Amesse, 1991 ; Powell et al., 1996 ; Pyka, 1999 ; Koschatzky, 2002 ; Ozman, 2006) peut être synthétisée dans l’argument de Granovetter (1994, p. 121) selon lequel la poursuite d’objectifs économiques s’accompagne normalement de celle d’autres objectifs, de nature non économique, tels que la sociabilité, l’approbation, le statut social et le pouvoir. De plus, l’action économique est socialement située et ne peut être expliquée par de simples motifs individuels : « elle est encastrée dans le réseau de relations personnelles, plus qu’elle n’émane d’acteurs atomisés ». Enfin, les institutions économiques n’émergent pas automatiquement sous une forme déterminée par les circonstances extérieures : elles sont socialement construites.

Finalement, l’approche de l’ECT se focalise sur le comportement opportuniste et la minimisation des coûts des arrangements institutionnels, en négligeant les comportements basés sur des logiques de confiance, réciprocité, proximité, empathie qui jouent un rôle très important dans l’organisation des acteurs, notamment dans les processus d’innovation et apprentissage (Powell et al.,1996). Nous étudierons en profondeur la théorie des réseaux basée sur ces idées dans le prochain chapitre.

Williamson (1993) considère que la confiance est un concept superflu qui n’a pas de sens dans le cadre des hypothèses soutenues par sa théorie38.Cependant, cette notion a été incorporée dans certains travaux qui tentent de réconcilier les idées de Williamson avec les

38« The relentless application of calculative economic reasoning is the principal device that employ to

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critiques sociologiques (Nooteboom, 2001 ; Ménard, 2004). Ces travaux tentent de rapprocher les hypothèses de l’ECT avec la notion de confiance39.

Nooteboom (1992, 2001), dans une version dynamique de la théorie des coûts de transaction, incorpore le long terme dans son modèle à travers le rôle joué par l’apprentissage en tant que processus d’interaction entre agents etprocessus déterminant dans les activités d’innovation. La confiance est introduite dans son modèle comme un résultat de l’apprentissage des agents, elle est importante dans la détermination des formes de gouvernance, fondamentalement par les effets de réputation qui permettent de contrôler les problèmes d’opportunisme qui nuiront à la durée des accords de type hybride.

Pour sa part, Ménard (2004) cherche à expliquer comment les agents choisissent entre différentes variétés de formes hybrides en supposant que la décision d’adopter une forme hybride donnée a déjà été prise. La forme hybride choisie dépendra, comme cela a déjà été exposé pour les formes de gouvernance en général, des attributs des transactions. La spécificité des actifs, qui est plus importante, et l’incertitude renforcent cette condition du fait du risque d’opportunisme qui pousse l’organisation vers des formes plus centralisées. Or, comment réduire les risques d’opportunisme quand il y a des gains et que les contrats sont incomplets ? Ménard propose différents mécanismes de gouvernance qui peuvent réguler ces problèmes dans les formes de gouvernance hybrides. Ainsi, d’après l’auteur, les relations basées sur la confiance entre agents peuvent agir comme un mécanisme décentralisé de régulation de la conduite opportuniste – à travers des effets de réputation - Or, lorsqu’il y a des raisons de se méfier de l’efficacité de ces dispositifs, les agents peuvent avancer vers la création de mécanismes plus centralisés. La constitution d’une autorité qui organise les échanges apparaît comme l’autre extrême dans la régulation des formes hybrides.

Certes, ces approches incorporent dans l’analyse des éléments de comportement qui interviennent dans les interactions entre les agents et qui permettent de justifier les gains inhérents aux arrangements institutionnels hybrides, ainsi que leur durée dans le temps. Mais elles n’expliquent pas pourquoi et comment ces aspects du comportement apparaissent dans le modèle. Ces approches n’abandonnent pas le postulat sous-jacent dans l’ECT selon lequel toutes les formes de gouvernance peuvent être placées dans un continuum où la forme marchande apparaît comme la forme naturelle d’interaction, à partir de laquelle les

39« Pour bien des auteurs,y compriscertains qui se réclament explicitement de la théorie des coûts de transaction, ladifficulté [posée par les contrats incomplets] se trouve résolue par la confiance dans ce mécanisme qui permet deneutraliser l’opportunisme et de restaurer la prévisibilité réciproque des comportements » (Karpik, 1998, p. 1045).

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différentsmécanismes surgissent pour pallier les situations anormales où le marché n’est pas capable d’aboutir au meilleur résultat.

Ménard reconnaît cette limite : « Nous avons très peu avancé dans la direction d'une analyse des comportements des agents qui permette d'aller au-delà des hypothèses, assez ad hoc, de rationalité limitée et de comportements opportunistes » (2003, p. 115). La solution proposée est l’adoption des notions de confiance et réciprocité, de façon également ad hoc, sans qu’il existe dans l’approche des hypothèses explicitant dans quelles situations les agents peuvent développer des comportements basés sur ce type de notions. Comme pour le cas de la hiérarchie où la notion de forbearance est introduite pour justifier l’acceptation volontaire de l’autorité, la notion de confiance apparaît pour renforcer la plausibilité des accords hybrides. Pourquoi et dans quelles circonstances des agents rationnels, ayant l’intention de maximiser leurs gains, et capables d’avoir un comportement opportuniste pour aboutir à leur objectif, développeront-ils de la confiance ? Williamson n’explore pas la compatibilité entre ces hypothèses comportementales et le développement de conduites intersubjectives des individus. Dans son modèle, il semble qu’une fois choisi le mécanisme de gouvernance en fonction des attributs des transactions, les agents adapteront leur comportement selon le type d’arrangement.

Les conclusions de Ménard (2004) mettent en évidence une autre limite de cette approche. Lorsque l’auteur essaie de montrer quels facteurs influencent le choix entre la diversité de formes hybrides possibles, il affirme, qu’en fin de compte, ce choix dépendra largement de l’histoire et de la structure institutionnelle historiquement développée qui définit le cadre de l’interaction entre agents : « Part of this puzzle canbeexplained by path

dependence : historymatterswhenitcomes to explaining the modes of governanceadopted » (p.

369).

En synthèse, en dépit de la reconnaissance du rôle joué par les facteurs historiques dans les mécanismes de gouvernance adoptés, l’ECT n’a pas progressé dans leur incorporation à ses modèles. Ils restent toujours un donné. La capacité prédictive que mettent en avant les théoriciens des coûts de transaction devient ainsi dépendante de nombreuses variables considérées comme des paramètres. Autrement dit, l’ECT reconnait l’influence des éléments historiques et institutionnels. Néanmoins,cette influence reste à notre sens largement sous étudiée lorsqu’elle est seulement appréhendée par l’intermédiaire des coûts de transaction.

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CONCLUSION

Les approches théoriques que nous avons recensées dans ce Chapitre 4 permettent d’identifier différentes manières d’organisation de leurs interactions par les agents économiques. Les types d’arrangements considérés, notamment dans l’économie néo-institutionnaliste, permettent de mettre en exergue les formes d’interaction qui coexistent dans un système productif.

Les nombreuses transactions qui ont lieu entre les acteurs des systèmes productifs agricoles que nous étudions en Argentine s’organisent en suivant les trois grands mécanismes d’interaction reconnus dans la théorie des coûts de transaction. Ainsi, dans chaque filière agro-alimentaire, il y a des interactions de type marchand, ou bien les activités se trouvent intégrées au sein des firmes et, entre ces deux extrêmes, les acteurs s’organisent selon des formes hybrides.

Concrètement, le système d’innovation agricole argentin est constitué d’organisations plurielles qui s’appuient sur des types divers d’arrangements institutionnels : la production par l’état à travers l’INTA, la production privée dans les laboratoires R&D des firmes, soutenue par des brevets, les organisations de producteurs (CREA), et d’autres organisations, parmi lesquelles les organisations interprofessionnelles, qui peuvent être considérées comme des arrangements hybrides. Comme cela a été mis en évidence par l’ECT, les différents types d’arrangements coexistent : des agents qui entretiennent des échanges marchands peuvent en même temps être membres d’un réseau.

Ainsi, telles qu’elles ont été définies dans le Chapitre 2, les OIP peuvent être assimilées aux formes organisationnelles hybrides ou à des réseaux d’innovation dans le cadre de l’ECT. Elles représentent une forme d’organisation des agents de la filière qui ne répond pas à une logique marchande et pas non plus à l’intégration, mais à une structure stable et à des objectifs économiques et d’innovation.

Toutefois, nous avions alors avancé que les trois cas analysés ont des caractéristiques communes mais aussi des particularités, ce qui justifie la démarche comparative que nous proposons.

La stratégie d’organisation interprofessionnelle orientée vers les objectifs d’innovation de ces trois filières semble ainsi surgir dans un contexte de changement technologique et économique qui bouleverse les conditions de production et de reproduction de l’ensemble du système agricole et agro-industriel argentin. Or, ces changements n’imposent pas les mêmes

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conditions aux acteurs des filières du riz, du tournesol et du soja. Dès lors, la stratégie suivie par chaque organisation aura des particularités en fonction des problèmes auxquels elle doit apporter des solutions. Par ailleurs, la structure de chaque filière, et celle des maillons qui la composent, en termes de taille, niveau géographique, concentration, etc., diffèrent également et influencent le rôle des organisations.

En d’autres termes, il y a des similitudes et des différences dans les stratégies d’organisations de l’innovation des trois filières. Mais, si l’ECT permet, sous certaines hypothèses, d’analyser ces similitudes à partir de la notion de formes hybrides, elle ne dispose pas de bons outils pour traiter les différences.

Pour répondre à nos questions de recherche, nous devons donc avancer vers une construction théorique qui permette de prendre en compte ces facteurs dans la détermination des formes de coordination des agents des filières. Comme nous avons tenté de le montrer, l’ECT a des difficultés pour pouvoir comprendre les différences existantes entre la grande diversité de mécanismes de gouvernance qui peuvent être inclus entre le marché et la hiérarchie.Elle présente donc des faiblesses pour avancer dans la compréhension de notre objet d’étude.

Un autre aspect est l’incorporation des différentes logiques des acteurs qui participent dans les OIP. Nous pensons que les hypothèses de comportement de l’ECT ne sont pas adéquates pour étudier les conduites des différents types d’acteurs qui participent aux organisations interprofessionnelles. Elles ne permettent pas non plus de comprendre leur création et leur persistance dans le temps. Bien entendu, nous ne nions pas la recherche de gains dans le comportement des agents, mais ces comportements ont lieu dans un cadre social où les logiques de confiance, réciprocité et proximité conditionnent l’action. Une théorie qui prend en considération ces différentes influences sur le comportement des individus doit abandonner les hypothèses de comportement rationnel et opportuniste sur lesquelles se fonde toute l’architecture théorique néo-institutionnelle.

Dans le chapitre suivant, nous recensons les travaux d’autres courants théoriques que nous rassemblons sous le nom de courant relationnel-institutionnel. Ils analysent également les réseaux d’innovation mais en partant d’une logique différente qui ne présuppose pas un comportement naturel des agents. Dans ces théories, l’analyse du rôle des institutions pour traiter de la coordination est menée à la fois au niveau des acteurs, pour rendre compte de l’incidence du contexte institutionnel sur le comportement des individus ou des groupes

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d’individus, et au niveau des institutions elles-mêmes, dans le but de questionner plus directement les règles organisant la gestion de l’innovation.

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CHAPITRE 5

LA CRITIQUE RELATIONNELLE ET LES RESEAUX