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L’insertion par empreinte

Dans le document Ghosts (Page 35-42)

Chapitre 3 : Insertion et apparition

3.2. Insertion dans la photographie

3.2.1. L’insertion par empreinte

La dernière étape du processus, l’insertion, est créatrice de cette apparition. Dans ce travail, j’ai utilisé deux méthodes différentes pour ajouter le masque dans le cliché. La première se fait par empreinte. Le masque est ici mis en contact avec le papier afin de laisser sa trace s’imprimer au moment de la révélation. Le masque laisse donc son empreinte sur le cliché. C’est en cachant, ôtant certaines parties de la photographie originelle à la lumière de l’agrandisseur, et donc à la révélation, qu’il prend sa place. Il laisse ainsi certaines parties du papier vierges et donc blanches. C’est une impression en négatif comme en négation. Un témoin de réalité peu fiable, occultant des bribes

d’instants. Le masque altère le cliché par sa présence.

« L’empreinte est donc prédatrice, elle garde ce que nous perdons, elle nous isole, et même, nous déchires de notre ressemblance. 38 » nous dit Didi-Huberman. Le masque

vient apposer son empreinte en négatif, dans cette photographie tirée en positif. En se déposant, il occulte certaines parties de réel. Ces dernières ne sont donc pas présentes sur l’œuvre finale. Le négatif, laisse des marques blanches, en creux. L’empreinte est double ; empreinte de réel par la photographie, mais empreinte par photogramme du masque.

Et pour que le masque s’inscrive encore mieux dans la photographie, que sa marque, son empreinte soit encore plus visible, et que parallèlement, la photographie originelle rompe avec son statut de témoin, de la ligne espace/temps à laquelle elle appartenait, j’inverse les tonalités par le biais d’un effet similaire à la solarisation dans une

38 Didi-Huberman, Georges. La ressemblance par contact : archéologie, anachronisme et modernité de

logique d’empreinte/contre-empreinte, ce qui donne de la profondeur à cette empreinte. Cette dernière se fige alors en faisant évoluer la photographie autour d’elle. Au moment où il devrait rester dans le noir, le cliché est amené à la lumière. Les tons, les contours, la photo se muent peu à peu. Un voile dense apparaît sur l’image et les différents tons de gris, suivant leur densité, s’éclaircissent ou s’assombrissent. La balance de l’image s’en trouve changée et l’empreinte du masque passe de blanc à noir, remplissant ces bouts de papier vierges par le noircissement. L’empreinte devient figure, s’inscrit dans ce qui est maintenant devenu une œuvre. C’est à ce moment-là que le fantôme apparaît. Le photogramme prend forme petit à petit en se revêtant de noir. Il s’incarne. Il se mêle au cliché. Cet effet rend plus imperceptibles les différents détails de l’image. En posant son voile de noirceur sur l’image, il change complètement son apparence, joue avec les différentes nuances de gris et plonge le spectateur dans une réelle interrogation devant ces images si denses.

Dans Lyon I, la couleur de fond est plutôt grise. La photo a été prise à contre-jour et cela apparaît lors de cet ultime changement. La silhouette d’Héloïse s’est couverte de ce même gris, un peu plus foncé toutefois. La pièce du fond, elle, s’est parée d’une teinte de blanc. On aperçoit même la fenêtre d’où provenait le rayon de lumière.

Mais les éléments sont difficilement reconnaissables… que ce soit le personnage, Héloïse, ou bien le décor. Tout semble figé, arrêté, recouvert par ce voile de nuances de gris qui redessinent les formes de l’image ; on distingue un petit liseré blanc tout autour du personnage, qui renforce sa présence, nous donne une sorte de perspective. Le masque quant à lui, s’étale, prend sa place. Les formes enlacent la silhouette, s’étirent vers le plafond. Les traits sont noirs, dans de multiples teintes. Certains sont plus présents, ressortent sur le cliché, alors que d’autres encore se fondent, se cachent dedans, se confondent avec lui dans cet effet de solarisation. Mais surtout, la membrane prend son ampleur. La texture du tulle se fait ici blanche, elle contraste donc

particulièrement bien. On voit la trame du tissu qui s’étire, se recroqueville parfois, se pose; les plis du tissu, ces mouvements sont perceptibles, comme au sommet de la photo où l’on se rend compte de l’ondulation dans la matière. Le spectateur ressent cet aspect du recouvrement, cette chose délicate qui a posé son voile sur le cliché, qui cache, ou qui peut avoir l’air de protéger, tant les traits sont fins. Et même s’il a du mal à deviner qu’il s’agit de broderies, il peut sentir l’apposition, la texture. Il résulte de ces clichés comme un

aspect matériel. Le masque funéraire enveloppe le cliché de sa trame, et le décore, l’embellit pour le métamorphoser en fantôme.

Il est à noter que, suivant les photographies, j’ai quelquefois décidé de laisser un bout de texture s’égarer dans l’image ; pour d’autres, j’ai choisi de couper autour des formes globales du masque, de centraliser la lecture de l’image, afin que l’œil ne se perde pas dans cette membrane. C’est le cas dans Hilton I. C’est la vue intérieure/extérieure d’une piscine. Le masque s’insère en bas à droite de la photographie. Il devient, il incarne une forme, et le fait de ne pas laisser la membrane apparente autour d’elle permet de rediriger le regard sur cette forme qui a l’air de sortir de l’eau pour venir se fondre dans le décor, puis dans les arbres au loin. Ne pas laisser de membrane alentour permet à la forme de mieux exister, de n’être plus qu’elle même.

La photographie n’est plus ce « ça a été, » elle a évolué en « cela » (elle a évolué). Elle existe parallèlement à nous. Le fantôme y a fait son apparition et se

manifeste à nous. Dans cette série que j’appellerais par « empreinte », (comme l’image a été transformée par contact, par empreinte) ne reste du masque que sa trace. L’œuvre est donc plane, en deux dimensions. Elle existe en tant qu’image et photographie dans le sens où le résultat est de composante photographique ; papier photographique tiré par l’action de la lumière. Ce qui renvoie à l’étymologie de photographie (cf partie 1).

Lyon I

Photographie argentique 13x18cm

Hilton I

Photographie argentique. 12X20cm.

Ces fantômes se retrouvent dans l’exposition « Ghosts » présentés à la galerie Visual Voice sous une forme de mosaïque. La présentation choisie les propose comme une grande constellation. Chaque photographie existe par elle-même tout en faisant partie d’un ensemble ; elle vient réalimenter de ce fait cette sorte de mythologie personnelle, faite d’altération de vécu, de transformation de souvenirs, de mutation de « ça a été ».

Dans la salle de la galerie, deux des murs sont alloués à cette fresque fictionnelle mais également commémorative, au sens de son attachement initial à mon passé. Les images se dispersent et se regroupent sur ces deux murs comme un pôle d’attraction/répulsion sous une forme elliptique. Cette dernière cherche à retrouver l’intime, la rondeur qui rappelle le nid, le confort, la chaleur et le rapprochement que j’entretiens avec tous ces instants. Cette notion d’intimité est très forte au sein de l’installation, sous forme

d’invitation lancée au spectateur pour rentrer dans mes fictions personnelles, venir jouer avec et déjouer les embrouillages transformatifs apposés aux photographies. Cela se retrouve notamment dans le petit format de la majorité des œuvres qui, tant par leurs sujets que par leur taille, ne se prêtent pas facilement à la lecture et renforcent ce caractère du cocon, cette impression d’entrer dans une sphère intime et privée. De même, c’est dans cet esprit qu’il m’a semblé important de jouer avec la mise en lumière de cette installation. En effet, pour rajouter au côté intimiste et fragile, j’ai encadré chaque photographie de plexiglas, et, en créant une distance au mur, j’ai pu jouer avec un éclairage dirigé qui a permis d’ornementer chaque photographie de sa propre ombre. Cette ombre vient rehausser chaque image, lui attribuant une place précise au sein de cette mythologie, lui redonnant son importance, soulignant sa singularité au milieu de cet agglomérat

de souvenirs. Ce phénomène d’attraction/répulsion de chaque photo face à l’ensemble, rend bien à mon sens la pluralité des Ghosts et de chaque fiction, chacune avec son histoire propre au sein de cette fresque, elle-même reflet de l’histoire qu’ont été ma vie, mon expérience de maitrise et cette exposition au Québec.

Le spectateur se trouve face à cet enchevêtrement de souvenirs, chacun ayant sa propre force, et pouvant se lire de façon singulière autant que dans sa globalité. Afin de lui faciliter l’appréhension de chaque photo, des seuils de lecture lui ont été aménagés. Les cadres bénéficient d’une distance au mur pour favoriser la formation des ombres, mais ces distances ont été réalisées chacune différemment, afin que certaines photos soient exposées plus en avant que d’autres, créant ainsi un système de décalages. Cette

accumulation de souvenirs, qui apparait comme « désordonnée » tant par les différents paliers de lectures et la mise en relief au mur que par les différences de tailles et de formats tendent à redonner à chaque image sa place au sein de cette constellation, soulignant l’aura de chaque oeuvre, sa propre vie, sa propre histoire, tout comme l’ode à sa transformation.

Dans cette installation intimiste chaque photo « brille » par sa noirceur en guise d’hommage à la Photographie et à mon passé.

Vue d’exposition Ghosts Galerie Visual Voice, Montréal, 2014

Dans le document Ghosts (Page 35-42)

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