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CHAPITRE III. LES FACTEURS EXPLICATIFS DU COMPORTEMENT FINANCIER

Section 3. L’influence des variables sociodémographiques

Les consommateurs acquièrent des services financiers selon des besoins spécifiques et en fonction d’attributs psychologiques. La littérature considère également de nombreuses variables sociodémographiques spécifiques qui peuvent influencer l’acquisition des services financiers (Xiao, 2016).

La capacité, l’éducation et la formation financière

Un des débats de la finance comportementale concerne la capacité intellectuelle financière des ménages. Selon la théorie économique standard, les consommateurs sont pleinement informés et peuvent faire des choix rationnels dans la planification financière à long terme pour maximiser leur utilité au cours des étapes du cycle de vie. Cependant, des recherches empiriques indiquent que les consommateurs ne sont pas pleinement informés et ne peuvent pas faire de choix rationnels, même lorsque les informations sont disponibles (Xiao, 2016).

Il existe aujourd’hui un réel besoin d’information pour les consommateurs financiers. La littératie financière concerne à la fois l’éducation, la formation et la capacité financière. En général, les consommateurs ont un niveau de littératie financière faible. En France, selon une étude du CREDOC de 201149, les concepts et les calculs financiers les plus élémentaires ne sont pas compris par les ménages. Dans une étude analysant la littératie financière des jeunes50, il apparaît que la moitié des répondants ne savaient pas comment calculer les intérêts annuels d’un placement financier simple. Dans cette même étude, moins de la moitié des répondants connaissaient la définition approximative d’un Fonds Commun de Placement (FCP) et d’un dividende. Enfin, 80 % se reconnaissent incompétents en matière de placements financiers.

Selon Hilgert, Hogarth et Beverly (2003), la plupart des ménages américains ne comprennent pas les concepts financiers de base, en particulier ceux liés aux obligations, aux actions et aux FCP. De plus, Moore (2003), constate que les consommateurs ne parviennent souvent pas à comprendre les conditions des prêts à la consommation et des prêts hypothécaires. Enfin, ce problème semble persister dans le temps (Moore, 2003).

Benartzi et Thaler (2007) confirment cette tendance, en expliquant que l’épargne pour la retraite semble être un choix crucial mais difficile pour les consommateurs. Épargner pour la retraite est important, mais compliqué, pour les ménages non formés. Comme il existe très peu de formations pour les aider dans le processus de sélection des services financiers relatifs à cette étape du cycle de vie, les ménages ne prennent pas les décisions pertinentes et encore moins optimales. Ils font des investissements financiers d’une manière passive en suivant les conseils des commerciaux (Hobeika, 2017). Ils sont lents à acquérir des services financiers avantageux, ils font des changements peu fréquents et adoptent des stratégies de diversification naïves.

49 Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de Vie. (2011). La culture financière des

Français. https://www.cnle.gouv.fr/IMG/pdf/CREDOC_la_culture_financiere_des_francais.pdf [consulté le 10 décembre 2019]

50 Étude réalisée au 4ème trimestre 2006 par l'institut Csa à la demande de l’Institut pour l’éducation financière du

public (La Finance pour tous), en partenariat avec l’Autorité des marchés financiers.

https://www.lafinancepourtous.com/presse/ouverture-du-site-www-lafinancepourtous-et-presentation-d-une- etude-sur-les-jeunes-et-l-argent/ [consulté le 10 décembre 2019]

La littératie financière51 peut être considérée comme la capacité d'appliquer une connaissance financière appropriée et d'avoir des comportements financiers souhaitables pour atteindre des objectifs spécifiques et améliorer son bien-être financier en général (Xiao, 2016).

La recherche sur la littératie financière vise à comprendre et à améliorer la façon dont les consommateurs prennent des décisions financières. D'une part, cela concerne la connaissance financière des consommateurs, et d’autre part, il s'agit du comportement réel, c’est-à-dire la capacité à appliquer ses connaissances pour prendre des décisions profitables (Hoelzl et Kapteyn, 2011). Selon Kempson, Collard et Moore (2006), la littératie financière peut être analysée au travers de trois dimensions qui influencent le comportement : la connaissance et la compréhension de l’individu du domaine financier, ses compétences ainsi que ses attitudes envers les services financiers.

Le Royaume-Uni est l’un des premiers pays à mener des sondages sur la littératie financière nationale. Grâce à l’enquête « Baseline Survey of Financial Capability », les chercheurs décrivent la capacité financière des ménages et recherchent des groupes de personnes ayant des compétences similaires (Kempson et Atkinson, 2006). Ils explorent également les moyens d'identifier les personnes les plus susceptibles de s’endetter (Kempson et Atkinson, 2006). Dans ce sondage, la notion de capacité est mesurée au travers de cinq dimensions : la gestion budgétaire (avoir peu de problèmes liés aux obligations financières) ; la surveillance budgétaire (garder une trace, c'est-à-dire avoir une vue d'ensemble des dépenses) ; la planification (être orienté vers l'avenir) ; le choix des services financiers adéquats (décider raisonnablement des services financiers) ; et la veille informationnelle (chercher des informations sur les services financiers et l'économie).

51La littératie est définie comme « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à

la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités » Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). Nous utilisons le terme de littératie, car cette notion va au-delà de celle du lettrisme.

Les chercheurs, ayant constaté que les consommateurs ne sont pas parfaitement rationnels dans leurs décisions financières, tentent de mettre en œuvre des formations spécifiques prônant l’éducation financière de ces derniers. Le but étant bien évidemment d’aider les consommateurs financiers à adopter des comportements souhaitables pour atteindre leur bien-être financier. On peut citer par exemple les travaux de Thaler et Benartzi (2004), qui ont créé l’outil « Save more tomorrow™ » pour aider les employés à mieux épargner en vue de leur retraite. L’outil permet de faire une évaluation de sa situation financière et de se fixer des objectifs d’épargne.

D’ailleurs, selon Lewis et Messy (2012), à la suite d'une formation spécifique sur les services financiers, les ménages ont tendance à appliquer ce qui leur a été enseigné et à penser à augmenter la part de leur revenu destiné à la retraite. Cela rejoint la recherche de Peng, Bartholomae, Fox et Cravener (2007), qui montre que la participation à un cours de finances personnelles au lycée ou à l’université est associée positivement à l’acquisition de services financiers d’épargne.

Lusardi et Mitchell (2014) ont intégré, dans un modèle d’épargne en fonction du cycle de vie, cette notion de littératie financière. Le modèle prédit que l’« alphabétisation » financière est déterminée de manière endogène au cours du cycle de vie. Il suggère également que les consommateurs qui reçoivent une éducation financière ont une plus grande capacité à gérer leur argent, contrairement à ceux qui ne la reçoivent pas.

Le niveau de revenus

Il est globalement admis que le niveau de revenus est une variable explicative de la demande des services financiers par les consommateurs, et notamment de l’épargne. Le lien peut cependant être positif ou négatif, selon les différentes considérations conceptuelles et théoriques.

Katona (1975) avait déclaré que : « les personnes ayant un revenu élevé (suffisant) sont plus en mesure d’épargner que les personnes disposant d’un revenu faible (insuffisant) ». Selon Garbinti, et Lamarche (2014), plus le revenu des consommateurs augmente, plus ces derniers souscriraient à des services financiers d’épargne. Il semblerait également, que les Professions Catégories Sociales (PCS) les plus élevées, sont celles qui épargnent le plus (plus d’un quart de leurs revenus annuels) en Europe (Van Raaij, 2014). D’ailleurs, les rares consommateurs qui n’épargnent pas, seraient ceux qui n’auraient pas les moyens de mettre de l’argent de côté (Beverly et Sherraden, 1999).

Ces éléments reflètent une vision économique du phénomène. Les ménages auraient davantage de ressources non utilisées dans la consommation, ce qui les pousserait à acquérir des services financiers pour répondre à des besoins spécifiques. Une autre explication, psychologique, est possible quant à l’influence du revenu sur les décisions financières.

Les consommateurs qui perçoivent leur richesse comme étant plus importante peuvent dépenser plus et moins souscrire à des services financiers d’épargne. En raison d’une plus forte confiance envers l’avenir, due par exemple à une hausse des prix de leurs actifs immobiliers et une baisse de l’inflation. Les consommateurs peuvent donc se voir plus riches, et par conséquent avoir moins de besoins justifiant l’acquisition de services financiers de sécurité ou de précaution.

Toutefois, lors d’un retournement économique, la situation s’inverse, une faible confiance des ménages envers l’économie à cause d’un chômage en hausse et d’une forte inflation peut les amener à se voir comme moins riches et donc les pousser à souscrire à des services financiers d’épargne qui combleraient leurs besoins de sécurité ou de précaution (Van Raaij, 2014). Le rôle du contexte économique semble ici plus important que la variable du niveau de revenus.

De plus, les consommateurs ayant une confiance élevée envers l’avenir ont tendance à moins épargner car ils considèrent que leur situation financière va s’améliorer ou ne pas se dégrader. À l’inverse, les consommateurs avec une confiance faible dans l’avenir ont tendance à souscrire plus à des services financiers répondant à des besoins d’épargne, car ils pensent que leur situation financière va se détériorer ou ne pas s’améliorer (Katona, 1975).

Le genre

Plusieurs études ont montré que le genre influence les décisions financières par le biais de la tolérance au risque. Nous présentons les résultats de plusieurs études empiriques descriptives et faisons l’hypothèse d’un construit social, comme explication plausible de ces différences de genre.

Les hommes semblent plus enclins à prendre des risques que les femmes (Byrnes, Miller et Schafer, 1999 ; Felton, Gibson et Sanbonmatsu, 2003) et les femmes seraient plus réticentes à prendre des décisions financières par rapport aux hommes (Donkers et Van Soest, 1999).

Dans une étude expérimentale, Powell et Ansic (1997) ont cherché à savoir si les femmes étaient moins enclines à prendre des risques pour leur trait de personnalité ou pour des raisons de familiarité, d'ambiguïté et de cadrage. Les résultats montrent que les hommes et les femmes adopteraient des stratégies de prise de décisions financières différentes, quel que soit leur degré de familiarité, leur ambiguïté et leur cadrage. Les femmes essaieraient d'éviter les pires situations pour se mettre en sécurité tandis que les hommes tenteraient de réaliser les meilleurs gains possibles, et prendraient donc davantage de risques.

La situation matrimoniale

La littérature s’accorde également sur l’impact du statut matrimonial sur l’acquisition de services financiers.

Les ménages qui souscrivent le plus à des services financiers (d’épargne) sont mariés et ont des enfants. Les ménages célibataires sans enfant à charge seraient ceux qui acquièrent le moins de services financiers (DeVaney, Anong et Whirl, 2007 ; Love, 2009 ; Garbinti, et Lamarche, 2014).

En effet, la présence d’enfants au sein du foyer augmente les besoins de sécurité et de précaution. De nombreux parents épargnent ainsi pour l’avenir de leurs enfants, pour leur garantir une bonne scolarité, mais également afin de prévenir les aléas de la vie.

La variation du statut matrimonial peut également jouer un rôle important. Love (2009) a analysé les effets des changements de statut matrimonial sur l’épargne des ménages. Il semblerait que les chocs familiaux (changements brusques de ressources et d'attentes induites par les transitions dans l'état matrimonial et la composition de la famille) puissent conduire à des ajustements importants dans la structure du portefeuille de services financiers des ménages.

Ainsi, le décès d’un conjoint semble réduire d’une manière importante les montants épargnés et les effets sont particulièrement marqués pour les femmes. Le divorce, en revanche, conduit à des ajustements de portefeuille dans des directions opposées pour les hommes et les femmes. Les hommes évoluant vers une composition du portefeuille financier plus risquée et les femmes vers une composition plus sûre. L’existence ou non d’enfants, est aussi une variable influente du modèle de Love (2009).

SYNTHESE DU CHAPITRE III

Dans ce troisième chapitre, nous avons étudié les facteurs explicatifs du comportement financier au travers de deux approches. Economique d’abord, puis psychosociale ensuite. Nous avons montré que les économistes présentaient des modèles macroéconomiques où la volonté des consommateurs n’avait que très peu de place.

Par la suite, nous avons observé que de nombreux chercheurs ont réfuté les hypothèses économiques relatives aux décisions financières des consommateurs en proposant des alternatives comportementalistes. Ainsi, les décisions financières répondraient à des besoins spécifiques, principalement de sécurité et de précaution. De plus, il semblerait que les traits de personnalités et les attitudes des consommateurs aient un impact important sur leur comportement financier. Les principaux concepts saillants du champ de la finance comportementale ont ainsi été présentés.

Enfin, nous avons détaillé les principales variables sociodémographiques qui impactent les décisions financières. Nous avons ainsi appris que le choix des services financiers pouvait dépendre du niveau de revenu, du genre et de la situation matrimoniale des consommateurs.

DEUXIEME PARTIE. CADRE CONCEPTUEL

DE LA RECHERCHE

« Le savant n'est pas l'homme qui fournit de vraies réponses ; c'est celui qui pose les vraies questions. »

INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE

Les théories et concepts que nous avons abordés dans la revue de la littérature nous ont permis de mieux comprendre le phénomène que nous souhaitons analyser. Comme la littérature ne fait pas de lien entre le contexte économique et comportement de multiéquipement, cette deuxième partie a pour objectif de définir le cadre conceptuel de la recherche. Cela dans le but de répondre à la problématique : dans quelle mesure, le contexte économique influence-t-il

le comportement de multiéquipement des clients de la bancassurance ? Et aux questions de

recherche que nous rappelons ci-après.

1. Le degré de multiéquipement des clients de la bancassurance varie-t-il en fonction du contexte économique (contraction/expansion) ?

• (a) Le degré de contraction (expansion) de l’économie influence-t-il le degré de multiéquipement des clients de la bancassurance ?

• (b) Existe-t-il un effet asymétrique dans la manière dont la contraction (expansion) économique influence le degré de multiéquipement des clients de la bancassurance ?

2. Comment le contexte économique (contraction/expansion) influence-t-il le degré de multiéquipement des clients de la bancassurance ?

• (a) L’influence du contexte économique (contraction/expansion), sur le degré de multiéquipement des clients de la bancassurance est-elle canalisée par certains services financiers, plus que d’autres ? En d’autres termes, certains services sont-ils plus sensibles aux variations du contexte économique que d’autres ? • (b) Cette influence est-elle également canalisée par des émotions générées par la

perception du contexte économique ?

• (c) L’influence du contexte économique (contraction/expansion) sur le degré de multiéquipement des clients de la bancassurance est-elle modérée par les traits de personnalité du consommateur ?

Le cadre conceptuel de la recherche est la clé de voûte de tout travail scientifique. Au- delà de vouloir analyser les liens, entre le contexte économique et le comportement de multiéquipement, ce travail ambitionne de construire une théorie valide sur le phénomène. Pour cela, nous mobilisons un cadre théorique spécifique au phénomène étudié, avant de proposer notre modèle conceptuel (CHAPITRE IV) et de détailler les hypothèses de la recherche (CHAPITRE V).

CHAPITRE IV. LE MODELE CONCEPTUEL DE