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L’ INFLUENCE DE L ’ INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE

1. L’enjeu représenté par les états mixtes

La renaissance du concept d’état mixte débute aux Etats-Unis à partir de la fin des années soixante-dix. Himmelhoch (1976) publie l’observation d’une dépression agitée associée à des épisodes hypomaniaques, puis Akiskal débute une série de publications à partir de 1979 traitant en partie des états mixtes. Rapidement, une collaboration internationale se crée entre ces auteurs américains et deux pays européens : l’Italie (Perugi, Koukopoulos, Benazzi…) et la France (Bourgeois, Azorin, Henry…). Cette collaboration triangulaire est à l’origine de la majeure partie des travaux publiés sur les états mixtes qui n’auraient probablement pu voir le jour sans le soutien de l’industrie pharmaceutique. Cet investissement massif n’est pas dénué

pharmacothérapie des troubles bipolaires. Il va de soi qu’un concept actuellement aussi flou et fragile est aisément manipulable, ce qui peut faire craindre certaines dérives étant donné le nombre limité d’auteurs et le financement quasi-systématique des études par l’industrie pharmaceutique. Les publications diverses ont d’ailleurs tendance à recommander des définitions de plus en plus larges, repoussant les limites d’une mixité dont l’individualisation est toujours loin d’être évidente. L’apport de l’industrie pharmaceutique est souvent déterminant dans la recherche et l’élaboration des classifications, mais dans ce contexte, les limites variables du concept pourraient constituer une voie grande ouverte pour généraliser des prescriptions parfois hasardeuses.

2. Valproate et lithium

Si l’efficacité des anticonvulsivants est aujourd’hui considérée comme supérieure à celle du lithium dans les états mixtes, peu de données viennent paradoxalement confirmer cette hypothèse. En effet, une série d’articles publiés entre 1992 et 1997, dont certains à partir des mêmes données, demeurent très critiquables dans leur promotion de la supériorité du divalproate face au lithium (Henry, 1999).

La première étude (Freeman et al., 1992), compare l’efficacité du valproate par rapport au lithium en double aveugle dans les états maniaques aigus, en distinguant les manies pures et les états mixtes. Les conclusions seraient que, contrairement au lithium, le valproate serait efficace en cas de score de dépression élevé durant l’épisode maniaque. Cette interprétation des résultats doit cependant être tempérée. L’étude en question, randomisée et menée en double aveugle, porte sur 27 patients en épisode maniaque selon le DSM-III-R. Le premier groupe est constitué de 13 patients qui reçoivent du lithium tandis que les 14 autres patients sont traités par valproate, pendant trois semaines. Les posologies sont suffisantes pour

atteindre d’un coté une lithiémie entre 0,8 et 1,4 mmol/L, et de l’autre un dosage sanguin moyen de valproate à 98 µg/ml. Chacun des deux groupes comprend quatre patients présentant un état mixte, évalués à partir de l’échelle de dépression SADS-C (Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia, change version).

La première donnée passée sous silence est que l’étude montre l’efficacité supérieure du lithium dans les états maniaques considérés dans leur ensemble. En effet, 12 patients sur 13 répondent favorablement au lithium tandis que seulement 9 sur 14 répondent au valproate.

Les auteurs parviennent en revanche à mettre en avant la supériorité du valproate par rapport au lithium dans les états mixtes car les quatre patients mixtes du groupe valproate ont répondu positivement contre trois sur quatre dans le groupe lithium. Pourtant si l’on analyse les données brutes, le valproate est certes plus efficace dans les états mixtes (4 patients sur 4) que dans les manies pures (5 patients sur 10), inférieur au lithium (9 patients sur 9) dans les manies pures, mais on ne peut affirmer qu’il lui soit supérieur dans les états mixtes. Ni la taille de l’échantillon, ni l’efficacité des deux produits dans les états mixtes (4 patients sur 4 pour le valproate, 3 patients sur 4 pour le lithium) ne permettent d’établir la supériorité du premier sur le second. Cet article tient malheureusement souvent lieu de référence et fait l’objet de multiples citations non assorties de critiques.

La même année, Freeman et Swann cosignent un article (Clothier et al., 1992) présentant les mêmes résultats issus de la même cohorte, mais en ajoutant des données sur les effets du valproate et du lithium sur l’anxiété et les éléments dépressifs des états mixtes. Ces données montrant que cette symptomatologie régresse de façon analogue quelque soit le produit utilisé…

En 1995, Bowden cite des données non publiées d’une étude réalisée par Swann, Bowden et Calabrese, qui indiqueraient que la réponse au divalproex est supérieure à celle du lithium

dans les états mixtes. La méthodologie n’est malheureusement pas présentée, toutefois l’étude évalue l’amélioration des symptômes après cinq jours de traitement seulement.

Les principaux auteurs de l’article de Freeman et al. examinent la relation entre symptômes dépressifs au cours de l’accès maniaque et la réponse au traitement (Swann et al., 1997).

L’étude est randomisée en double aveugle, d’une durée de trois semaines, comparant l’efficacité du divalproex à celle du lithium, contre placebo. L’échantillon est cette fois plus important puisque 179 patients sont inclus dans neuf centres de recrutement. Tout d’abord il existe un probable biais de sélection puisque la moitié de ces patients ont des antécédents de mauvaise réponse au lithium. Les auteurs interprètent leurs données en affirmant que l’existence de symptômes dépressifs au cours de l’accès maniaque est associée à une mauvaise réponse au lithium et à une meilleure réponse au divalproex, ces résultats n’étant dus ni à des différences concernant le sévérité globale de la pathologie, ni à l’abus de substance, ni au sexe, ni à l’âge. Des critiques sont publiées après la parution de l’article signalant que les mêmes artifices sont utilisés (Woods, 1998 ; Henry, 1999). Les données brutes montrent encore une supériorité du lithium face au divalproex dans les manies pures, mais une efficacité sensiblement équivalente dans les états mixtes. Mais comme le lithium est plus efficace que le divalproex dans les manies pures, son différentiel d’efficacité entre manie pure et état mixte est significativement supérieur à celui du divalproex. C’est cette significativité qui est avancée pour conclure à la supériorité du divalproex dans les états mixtes. La faible efficacité du divalproex dans les manies pures est mise à profit pour faire ressortir sa supériorité dans les états mixtes.

Nous verrons que les résultats des études ultérieures ne permettent pas d’affirmer la supériorité d’un des trois thymorégulateurs classiques (lithium, carbamazépine, divalproex).

Par ailleurs, certains neuroleptiques atypiques, comme l’olanzapine ou la risperidone, qui

semblent dévoiler des propriétés thymorégulatrices, nécessitent la même prudence dans l’analyse des données publiées.

III. DE LA MANIE A L’ETAT MIXTE : LA MANIE AVEC SYMPTOMES DÉPRESSIFS

La majorité des travaux récents mettent en évidence les états mixtes sur des échantillons de patients maniaques par la recherche de symptômes dépressifs associés. Ce type d’état mixte qui est aujourd’hui le plus documenté ne concerne donc que les patients remplissant les critères de l’épisode maniaque. Selon la définition utilisée, les patients présentant un état mixte sont individualisés par la présence d’un certain nombre de symptômes dépressifs. Ils sont alors comparés au reste des patients maniaques sur les plans épidémiologiques, clinique, évolutif et sur leur réponse au traitement.

La variabilité des appellations utilisées (état mixte, manie dysphorique, manie dépressive, manie mixte) reflète celle des critères utilisés pour définir les états mixtes. Ceci rajoute une difficulté importante dans l’uniformisation des données à l’heure actuelle.