• Aucun résultat trouvé

L’influence de l’environnement non partagé durant l’enfance

1.2 L’environnement familial : un canal de transmission des inégalités de longévité

1.2.3 L’influence de l’environnement non partagé durant l’enfance

Les conditions de vie présentes dès l’enfance et même avant qui influencent la mortalité aux grands âges et la longévité chez les humains ne se restreignent pas à celles issues de l’environnement commun aux enfants d’une même famille. Elles peuvent également pro- venir de l’environnement non partagé par les enfants d’une même fratrie. Dans le domaine du développement comportemental, le cadre théorique proposé parRowe et Plomin(1981) a contribué à mettre de l’avant le concept de l’environnement non partagé qui stipule que les enfants appartenant à une même famille ne partagent pas nécessairement un environ- nement et des conditions durant l’enfance identiques. Leur cadre conceptuel intègre à la fois les facteurs partagés et non partagés qui contribuent à créer des ressemblances et des différences entre les frères et soeurs. La figure 1.1 montre que les frères et soeurs par- tagent en moyenne la moitié de leur héritage génétique (G2), l’autre moitié quantifiant la variabilité génétique non partagée (G1). De façon similaire, l’influence environnementale est fragmentée entre les facteurs environnementaux partagés par les frères et soeurs (E2), l’éducation des parents par exemple, et les facteurs non partagés et uniques à l’enfant (E1).

Figure1.1 – Cadre théorique adapté de Rowe et Plomin

(1981).

Variance entre les frères et soeurs

Variance partagée Variance non partagée

Source

environnementale (E2) Sourcegénétique (G2) Sourceenvironnementale (E1) Sourcegénétique (G1)

Enfant 2 Enfant 1

facteurs individuels tels que le sexe/genre, la place de l’enfant dans la fratrie, l’âge des pa- rents à la conception et la saison de naissance qui peuvent jouer un rôle déterminant dans la construction des inégalités de santé et de longévité et qui s’inscrivent dans l’environne- ment non partagé de l’enfant. Un âge maternel à la reproduction tardif, par exemple, est associé à un risque d’avortement spontané et de mort fœtale in utero, à une fréquence des anomalies chromosomiques chez les fœtus et à un risque de prématurité et de faible poids à la naissance (Liu et al.,2011). Plus récemment, l’âge du père à la conception a aussi été associé à un risque plus élevé de pathologies et de troubles neurocognitifs des enfants une fois adulte (Malaspina et al.,2005;Frans et al.,2008). D’un point de vue biologique, l’âge à la reproduction constitue un indice de degré de maturité de l’organisme et est associé à l’accumulation des mutations pouvant affecter la santé, tant pour les femmes que pour les hommes. Il est aussi possible de penser que l’âge des parents à la reproduction peut agir sur la santé et la mortalité des enfants par le canal social. Plusieurs travaux ont montré qu’une maternité précoce est étroitement liée à un faible niveau d’éducation ainsi qu’à un faible niveau socioéconomique (Bray et al.,2006). De façon similaire, un âge plus élevé au moment de la naissance d’un enfant peut être bénéfique pour la santé de celui-ci en raison de l’accumulation du capital social lui étant éventuellement transmis. L’âge parental à la reproduction gagne ainsi à être conceptualisé dans une approche intrafamiliale, notam- ment parce qu’autrement il peut être confondu avec le rang de naissance et la position de l’enfant dans la fratrie (Myrskylä et Fenelon,2012). L’âge parental peut également ma- nifester son influence à travers l’âge au décès de l’un ou l’autre des parents. Dans ce cas, c’est la perte d’un parent en bas âge, ou durant l’adolescence, plutôt que l’âge parental à la reproduction lui-même, qui influe sur la santé et la mortalité de l’enfant (Smith et al.,

2014).

Outre l’âge parental à la reproduction et le rang de naissance, la saison de naissance est une autre variable non partagée qui offre une mesure de l’environnement familial au moment de la naissance et qui sert également de proxy pour l’état nutritionnel de la mère au moment de la grossesse. Il faut savoir qu’à la fin du 19e siècle et au début du 20e, l’apport en nutriments nécessaire au bon développement du foetus et de l’enfant variait en fonction des saisons et de la disponibilité de la nourriture. L’exposition aux maladies infectieuses variait aussi selon la saison, les maladies infectieuses d’origine hydrique ap- paraissant plus fréquemment au printemps et durant l’été. En contraste avec le rang de naissance ou l’âge des parents à la reproduction, la saison de naissance est un indicateur cyclique et largement aléatoire, signifiant que les frères et sœurs plus jeunes ou plus âgés peuvent ou ne peuvent pas être nés au cours de la même saison, permettant l’évaluation

d’interactions (Gagnon, 2012). Dans la littérature, l’influence du mois de naissance ou de la saison de naissance sur la longévité humaine a été soulevée dans plusieurs études, notamment dans celle de Gavrilov et Gavrilova qui, se basant sur des données généalo- giques de familles aristocrates européennes, ont constaté que les femmes nées en mai et en décembre vivaient trois années de plus en moyenne que celles nées en août (Gavri- lov et Gavrilova, 1999). Dans une analyse intrafamiliale, les mêmes auteurs ont trouvé que les frères et soeurs nés à l’automne (de septembre à novembre) avaient de meilleures chances de devenir centenaires comparativement à leurs frères et soeurs nés au printemps (Gavrilov et Gavrilova, 2011). Une autre étude, réalisée sur des données autrichiennes et danoises, confirme ces résultats en montrant que les individus âgés de 50 ans, nés à l’automne, pouvaient espérer vivre en moyenne entre 0.3 et 0.6 année supplémentaire que les individus nés au printemps, établissement ainsi l’existence d’une corrélation entre le mois de naissance d’une personne et sa durée de vie (Doblhammer et Vaupel, 2001). La tendance s’inverse même dans l’hémisphère sud alors que la mortalité à 50 ans était plus élevée pour les individus nés à l’automne comparativement à ceux nés au printemps. En- fin, grâce aux relevés agricoles du Québec préindustriel et aux données démographiques d’un échantillon de 8634 femmes nées entre 1650 et 1850,Gagnon (2012) a aussi dévoilé des différences dans les risques de mortalité après 60 ans selon la saison de naissance.

Enfin, Il convient aussi de glisser une note sur les différences hommes-femmes en matière de longévité. L’étude des risques de mortalité ne peut être réalisée sans tenir compte de l’effet modérateur du genre. C’est pourquoi dans les troisième et cinquième chapitres de la thèse, une attention particulière sera portée aux différences de longévité entre les hommes et les femmes. Il a été établi dans plusieurs travaux en démographie qu’il existe des différences de mortalité entre les hommes et les femmes, les femmes jouissant en général d’une meilleure espérance de vie que les hommes et les femmes offrant plus d’exemples de longévité exceptionnelle que les hommes (Austad,2006;Jeune et Kannisto,

1997;Franceschi et al.,2000). Elles sont toutefois plus souvent désavantagées lorsque sont considérées les mesures de l’état de santé (Read et Gorman,2010;Zunzunegui et al.,2009;

Case et Paxson,2005). Les raisons qui se cachent derrière cette différence sont nombreuses, mais peuvent être comprises par le biais d’un certain nombre de facteurs biologiques et génétiques, sociaux, environnementaux, psychosociaux et comportementaux qui génèrent des disparités entre les hommes et les femmes en matière d’état de santé (Denton et al.,

2004; Verbrugge, 1985, 1989; Onadja, 2013; Alvarado et al., 2007; Balard et al., 2011). Ces disparités doivent être comprises comme étant le fruit de différentiels d’exposition et de vulnérabilité aux nombreux facteurs de risque (Quaranta, 2013). D’un point de

vue empirique et afin d’approcher les mécanismes causaux, il devient donc important de conduire des analyses distinctes selon le sexe.