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L’influence des conditions de vie partagées et de l’environnement

1.2 L’environnement familial : un canal de transmission des inégalités de longévité

1.2.2 L’influence des conditions de vie partagées et de l’environnement

La corrélation des âges au décès dans les fratries peut être attribuable en partie au bagage génétique partagé par 50% de ses membres, mais elle peut également être fonction du partage du même environnement et des mêmes ressources dans l’enfance. On se doute depuis longtemps qu’outre les conditions à l’âge adulte, les conditions de vie dans l’enfance ont elles aussi un effet sur la santé et la mortalité aux grands âges, soit directement par l’exposition à des carences physiologiques, soit indirectement par l’exposition répétée à des conditions socioéconomiques défavorables. Parmi les travaux pionniers dans ce domaine citons ceux de Kermack et al. (1934) et deForsdahl (1977, 1978) qui ont montré par le biais d’études écologiques et de cohortes que les conditions environnementales auxquelles les individus sont exposés durant leur enfance ont des conséquences à long terme sur leur santé et leur mortalité une fois adulte. Par exemple,Forsdahl(1977) a mis en relation les taux de mortalité infantile à l’échelle de la région et certains indicateurs de mortalité à l’âge adulte et a découvert que les régions dont les taux de mortalité infantile étaient élevés présentaient également des taux de mortalité à l’âge adulte supérieurs. Cette relation s’est révélée particulièrement forte pour la mortalité par cardiopathie de l’artériosclérose, laissant croire à Forsdahl que la sous-nutrition durant l’enfance pouvait entrainer des dommages biologiques irréversibles. Bien que ces études n’aient pu appuyer une inférence causale, elles ont ouvert la voie à un courant de recherche dont l’objectif est de recentrer l’origine des inégalités de santé et de mortalité aux grands âges dans les expériences vécues

au cours de la petite enfance et même avant.

Dès le début des années 90, les études longitudinales ont permis de confirmer les ré- sultats issus des études écologiques et de cohorte.4 De façon générale, elles ont montré

qu’un environnement défavorable durant l’enfance conduit les individus exposés à des ni- veaux de morbidité (Blackwell et al., 2001;Hass, 2008;Moody-Ayers et al., 2004;Pollitt et al.,2005) et de mortalité (Elo et Preston, 1992; Galobardes et al.,2004; Osler et al.,

2005; Smith et al., 2009) plus élevés que la moyenne. Dans plusieurs études empiriques, les conditions de vie familiales présentes aux jeunes âges ont été associées à la santé et à la mortalité aux grands âges qu’il s’agisse du milieu de résidence (Condran et Crimmins,

1980; Hayward et al., 1997; Stone,2000;Mazan et Gagnon,2007), de l’origine ethnique (Preston et al.,1998;Hayward et Gorman,2004), du décès d’un parent (Smith et al.,2009,

2014; van Poppel et Liefbroer,2014) ou de l’éducation ou occupation du père (Hayward et Gorman,2004;Moody-Ayers et al.,2004;Hamil-Luker et O’Rand,2007;Willson et al.,

2007;Montez et Hayward,2014).Galobardes et al. (2004) ont mis en commun 22 études portant sur le sujet. De ces 22 études, 18 ont conclu que le fait de vivre dans des conditions socioéconomiques défavorables dans l’enfance avait une influence négative sur la longévité. Une trop forte densité à l’intérieur du logement, l’absence d’eau courante, une mauvaise ventilation et un père possédant un emploi manuel sont toutes des caractéristiques in- diquant un faible profil socioéconomique et par conséquent, influençant négativement le risque de survie. Condran et Crimmins (1980), par le biais des recensements de 1890 et 1900, ont étudié l’effet du lieu de résidence dans l’enfance sur la survie à l’âge adulte. Ils ont trouvé une espérance de vie à la naissance supérieure pour les individus résidant en milieu rural (54,1 ans) comparativement aux individus résidant en milieu urbain (44,6 ans). L’avantage de survie des ruraux s’explique par la forte densité qui caractérisait les villes à cette époque ainsi que par le partage des ressources communes facilitant la dif- fusion des maladies infectieuses. Dans un article paru en 1998, Preston et ses collègues, s’intéressant aux déterminants de la longévité des Africains-Américains nés au tournant du 20e siècle, ont mis en évidence l’effet des caractéristiques socioéconomiques au niveau des ménages et des individus sur la survie aux grands âges. Parmi les variables explicatives de leurs modèles, l’éducation fut l’une des plus significatives, les enfants ayant grandi dans une famille dont le chef de ménage était analphabète avaient une probabilité inférieure de 27% d’atteindre 85 ans. Preston et al. (1998) ont également souligné l’effet du milieu de résidence alors que les enfants ayant vécu sur une ferme durant leur enfance avaient près de 50% plus de chances que la moyenne de vivre jusqu’à 85 ans. Plus récemment,

Hayward et Gorman (2004) ont confirmé ce résultat en affirmant que les enfants nés de pères fermiers possédaient un risque de mortalité aux grands âges inférieur à la moyenne. Ils ont également montré que la mortalité masculine à l’âge adulte était fortement associée aux conditions économiques et familiales vécues dans l’enfance et que la profession de la mère, le milieu de résidence, l’éducation et le revenu avaient tous un effet sur la survie. Si l’effet délétère d’un environnement défavorable dans la petite enfance a été confirmé dans de nombreuses populations, les publications sur ce sujet sont restées plutôt discrètes dans la population québécoise. Ce champ d’investigation n’est cependant pas tout à fait vierge et en tête de liste, on pense aux travaux deQuevillon(2011) etGagnon et Bohnert

(2012) qui ont contribué à alimenter les réflexions sur cette voie. S’intéressant aux familles résidant en milieu rural au début du 20e siècle,Gagnon et Bohnert(2012) ont montré que les hommes ayant vécu sur une ferme de grande taille durant l’enfance, élément indiquant un haut statut social, avaient de meilleures probabilités de survie à l’âge adulte que les hommes qui ont grandi sur une ferme de plus petite taille.

Ces résultats font écho aux grandes études portant sur les inégalités sociales de santé et de mortalité dans lesquelles le gradient socioéconomique est bien documenté. Comme les travaux démographiques, les études épidémiologiques ont montré que les enfants pro- venant de familles au statut socioéconomique plus faible sont plus susceptibles de tomber malades, de subir des blessures et de décéder de manière prématurée (Lang et al.,2009). Ce gradient socioéconomique est également perceptible dans la plupart des systèmes phy- siologiques et pour un large spectre de causes de mortalité ce qui permet d’affiner nos connaissance sur le fonctionnement des déterminants sociaux de la santé. Des études em- piriques, longitudinales, de cohorte ou écologiques ont souligné l’existence d’un lien entre un environnement socioéconomique défavorable tôt dans la vie et le risque d’ACV (Leon et Davey-Smith,2000), de maladies de l’appareil circulatoire (Lundberg,1997), de maladies cardiaques ou chroniques (Crimmins et Finch,2006;Finch et Crimmins,2004;McEniry et Palloni,2010) et de santé physique et mentale (Luo et Waite,2005;Alvarado et al.,2007). Le gradient est également perceptible pour la plupart des facteurs de risque, notamment pour le diabète et la masse corporelle (McEniry, 2011; Johnson et Schoeni, 2011) ainsi que pour les comportements associés à la cigarette (Stringhini et al.,2010). En dépit des différences constatées dans le choix des indicateurs et malgré la pluralité des échantillons, des populations et des époques, il est ainsi possible d’identifier plusieurs dimensions de l’environnement en bas âge qui sont presque invariablement associées aux comportements de santé, à un accroissement des morbidité et à une mortalité précoce.