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L’environnement à l’âge adulte : l’effet du conjoint

1.2 L’environnement familial : un canal de transmission des inégalités de longévité

1.2.5 L’environnement à l’âge adulte : l’effet du conjoint

Comme nous l’avons vu, l’influence de l’exposition à un environnement défavorable au cours des périodes critiques ou sensibles de l’enfance peut aussi être modifiée par des ex- positions plus tard au cours de la vie. La ressemblance des durées de vie entre les membres d’une même fratrie, résultat du partage du même environnement familial aux jeunes âges ou d’un même patrimoine génétique, doit ainsi être nuancée par l’environnement à l’âge adulte. Si bien qu’il est possible de penser que les conjoints, qui partagent les mêmes conditions de vie à l’âge adulte, partagent également un risque de mortalité.

La littérature épidémiologique et médicale a souvent confirmé l’hypothèse selon la- quelle il existe une ressemblance des comportements et des conditions de santé entre époux, et cela pour de nombreux comportements tels que les habitudes alimentaires, la consommation de tabac, l’hygiène dentaire, ainsi que pour de nombreuses conditions y compris l’hypertension, la pression artérielle, les maladies cardiaques, l’obésité, les symp- tômes de dépression et d’anxiété et le cancer (Hippisley-Cox et Pringle,1998;Hippisley- Cox et al.,2002;Stimpson et Peek,2005;Bloch et al.,2003;Jacobson et al.,2007;Inoue et al., 1996). À titre d’exemple, Papamichael et al. (2002) ont montré que les femmes de patients victimes d’un infarctus aigu du myocarde avaient des taux significativement plus élevés de maladies coronariennes comparativement aux femmes dont le mari était en bonne santé. Une étude portant sur des couples américains d’origine mexicaine âgés de plus de 65 ans a révélé que la présence du cancer chez un individu est lié à une augmen-

tation des risques de cancer chez son conjoint (Stimpson et Peek,2005). Chez des couples chinois, les chercheurs ont trouvé que l’environnement partagé explique la ressemblance des risques pour la tuberculose, la bronchite chronique, l’asthme, la gastrite chronique, l’hépatite chronique, la colite ulcérative, l’hypertension et la maladie coronarienne (Jurj et al.,2006). La concordance du syndrome métabolique parmi des couples coréens a éga- lement révélé un impact non négligeable de l’environnement partagé (Kim et al., 2006). Considérant l’obésité comme un proxy de la consommation diététique, une étude portant sur des couples canadiens a constaté que les époux, avec le temps, avaient un risque d’at- teindre un niveau d’obésité égal (Katzmarzyk et al.,1999). Deux études similaires, l’une conduite sur des couples âgés américano-mexicains, l’autre sur des conjoints brésiliens, ont confirmé la ressemblance des conjoints quant à leur indice de masse corporelle (Stimpson et al.,2006;Bloch et al.,2003).

Il semblerait donc exister une corrélation significative entre certaines maladies chez les hommes et les femmes qui vivent en commun depuis plusieurs années. Les couples mariés permettent l’évaluation des déterminants de certaines maladies liées à l’environnement, étant donné qu’ils mènent un mode de vie et partagent un environnement presque iden- tique. Comme le souligne Meyler et al. (2007), plusieurs théories ont été proposées afin d’expliquer cette concordance, l’une des plus importantes étant la théorie des ressources partagées (Shared resource hypothesis) qui stipule que le partage des mêmes ressources et d’un même environnement au quotidien mène aussi au partage d’un même risque de mortalité (Smith et Zick,1994). Une seconde théorie est celle de l’homogamie sociale (As- sortative mating) qui suggère que les personnes ayant des caractéristiques similaires ou des styles de vie semblables ont une meilleure probabilité de former un couple (Lillard et Panis, 1996). Les assises de cette théorie ne sont pas difficiles à concevoir si l’on en croit l’adage populaire « Qui se ressemble s’assemble ». Les individus dotés de qualités et de goûts similaires et adoptant des comportements semblables souvent s’associent ou forment des couples. Exploitant un échantillon de 12 000 couples néerlandais, Monden

(2007) a montré que si les conjoints sont similaires en ce qui concerne plusieurs indi- cateurs de santé, c’est essentiellement en raison d’une homogamie éducationnelle plutôt qu’en raison du partage d’un même environnement ; les résultats de ces travaux révélant que les conjoints formant un couple depuis de nombreuses années ne se ressemblent pas davantage que les jeunes couples.

Malgré une vaste littérature sur la ressemblance des conjoints en matière de santé, il semble que l’on n’ait guère effectué de recherches empiriques sur la ressemblance des

époux en ce qui concerne les durées de vie. Et dans le cas contraire, les études ont abouti à des résultats mitigés. Les travaux conduits par Wyshak (1978) et Philippe (1978) ont montré qu’il existait une similitude des âges au décès dans les couples, mais que celle-ci s’atténuait après l’âge de 50 ans. À l’opposé, les travaux de Bocquet-Appel et Jakobi

(1991) suggèrent un effet de cohabitation entre époux, alors qu’une corrélation des durées de vie apparait après l’âge de 50 ans. À partir de données historiques sur les généalogies de l’aristocratie britannique Westendorp et Kirkwood (2001) ont révélé qu’en plus de l’influence parentale, la survie serait aussi influencée par celle du conjoint. Tout comme Westendorp et Kirkwood, Gudmundsson et al.(2000) ont trouvé une corrélation positive des taux de mortalité entre deux époux, bien que la faiblesse de cette relation amène les auteurs à conclure que la composante génétique au sein des familles module davantage les profils de mortalité que la composante environnementale. Au Québec, quelques études ont porté sur l’influence de l’âge au décès du conjoint. Blackburn et al. (2004), sur des données du Québec ancien, ont trouvé un âge moyen au décès de 66,3 ans pour les époux des femmes décédées entre 50 et 54 ans et de 69 ans pour les conjoints des femmes décédées à plus de 85 ans, soit un écart de 2,7 ans. La relation semble encore plus claire pour les hommes avec leur conjointe, l’écart entre l’âge moyen au décès des épouses des hommes décédés à 50-54 ans et celui des épouses des hommes décédés à plus de 85 ans étant de 4,3 ans. Pour les femmes, chaque année de vie supplémentaire augmente en moyenne de 0,08 année l’âge au décès du conjoint alors que chaque année de vie supplémentaire chez un homme augmente en moyenne de 0,12 année l’âge au décès de sa conjointe. Ces observations sont appuyées par l’étude de Mazan et Gagnon (2007) qui souligne qu’une année de vie supplémentaire de l’épouse se traduit en moyenne par un risque de mortalité inférieur de 0,6% pour l’homme (5,8% pour 10 ans). Pour les femmes, une année de vie supplémentaire de leur mari est associée à une baisse du risque de mortalité de 0,5%, soit 4,9% pour 10 ans. Plus l’âge au décès d’un des époux augmente, plus l’âge au décès de l’autre est élevé et les hommes comme les femmes bénéficient de la plus grande longévité de leur conjoint. Ces études soutiennent pour la plupart l’argument de l’environnement partagé dans l’explication de la concordance des durées de vie entre époux, sans, en revanche, le démontrer de façon convaincante. Bien qu’aucune de ces études n’ait directement adressé l’hypothèse alternative de l’homogamie sociale, certaines ont conclu à l’hypothèse des ressources partagées en raison d’une similitude différente selon la durée du mariage (Bocquet-Appel et Jakobi, 1991), d’une homogénéité des individus sur le plan du statut socioéconomique (Westendorp et Kirkwood,2001) et aussi en raison d’une influence différentielle de l’âge au conjoint pour les hommes et les femmes (Mazan

et Gagnon,2007). Enfin, contrairement aux résultats obtenus précédemment, Desjardins et Charbonneau (1990) ont conclu à une absence de relation entre les âges au décès des conjoints, tout comme Perls et Silver (1999) etSchoenmaker et al. (2006). Si la majorité des études dévoilent une corrélation positive des taux de mortalité entre deux époux, le caractère contradictoire des résultats laisse pressentir la nécessité de continuer les travaux dans ce domaine, particulièrement dans le cas des données québécoises où les travaux se font très rares, mais aussi dans le cas des centenaires où, à notre connaissance, aucune étude de la sorte n’a été menée.