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récentes du catholicisme français

L A STRATEGIE DE COMMUNICATION DE LA C ONFERENCE DES EVEQUES DE F RANCE , UN EXERCICE D ’ EQUILIBRISTE

I- La Conférence des évêques de France, du gouvernement à la gouvernance 1) La Conférence des évêques de France, une « autorité de service »

2) L’impact du processus d’individualisation du croire

« Les hommes qui vivent dans les temps d’égalité sont difficilement conduits à placer l’autorité intellectuelle à laquelle ils se soumettent en dehors et au-dessus de l’humanité. C’est en eux-mêmes ou dans leurs semblables qu’ils cherchent d’ordinaire les sources de la vérité. »

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1840

L’individualisation du croire a été identifiée par de nombreux chercheurs comme l’une des tendances majeures de la religiosité contemporaine (Bobineau & Tank-Storper 2007, p.93), qui s’exprime dans le domaine religieux par une subjectivisation des croyances. Ainsi, selon le sociologue Philippe Portier, « chaque individu retravaille lui-même des traits objectifs communs » afin de construire sa propre relation au divin (Sauvaget 2017b). D’après la sociologue Danièle Hervieu-Léger, « ce qui caractérise l'ultra modernité religieuse, c'est la revendication d'authenticité personnelle qui fonde les individus à agencer eux-mêmes leur petit récit croyant »

(2003, p.22). L’on peut aussi remarquer une mondanisation des croyances, dans le sens où les individus ne basent plus leur foi sur l’espérance de la vie après la mort mais sur les bénéfices – une forme de bien-être – qu’ils peuvent obtenir, grâce à la foi, dans ce monde (Bobineau & Tank- Storper 2007, p.97). Le sentiment d’appartenance est désormais plus fluctuant, il peut être gradué : « on n’est pas croyant ou non croyant, pratiquant ou non, catholique ou non, mais on est plus ou moins croyant, pratiquant, catholique » (Michelat & Dargent 2015, p.28). Si ces phénomènes sont facilement observables chez les catholiques non pratiquants, ils n’en restent pas moins à l’œuvre aussi chez les catholiques dont la pratique est régulière, dans le sens où ils seront plus attentifs à leur développement personnel par la foi, choisiront leur paroisse selon la liturgie qui les satisfera le plus ou mettront en doute des éléments de la doctrine de l’Eglise ou du discours de ses clercs (Portier 2015, §88).

L’Eglise, qui est passée d’une domination absolue de l’institution à la valorisation de l’acte de foi individuel, connaît ainsi une période de désinstitutionalisation de la croyance, qui se traduit d’un côté par la baisse de la pratique et de l’autre par la remise en cause de la prétention de l’Eglise à dire la vérité. Généralisant l’esprit d’examen, la modernité ne nie pas le dogme de l’Eglise mais le passe au crible de la critique personnelle : l’Eglise est alors considérée comme énonciatrice d’une opinion, qui peut certes être respectable voire utile, mais elle ne bénéficie d’aucun privilège de véridicité (Zawadski 2017, p.259). L’on remarque ainsi une érosion de la pertinence dans la société des croyances dogmatiques, qui sont selon Alexis de Tocqueville les « opinions que les hommes reçoivent de confiance et sans les discuter » (ibid.).

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Un sondage réalisé par l’institut CSA pour Le Monde des religions en 2007 est particulièrement éclairant quant au flou des croyances des personnes se disant alors catholiques : seulement 52% d’entre elles affirmaient « croire en Dieu », 58% disaient « croire en la résurrection du Christ, 39% en la virginité de Marie et 37% en la Trinité » (Raison du Cleuziou 2014, p.15). Une telle dichotomie entre l’identification à la religion catholique et l’adhésion à son dogme est révélatrice, outre de la dimension fortement culturelle de l’appartenance au catholicisme en France, de la volonté d’en « prendre et d’en laisser » dans le discours de l’Eglise (Portier 2015, §88).

La sociologue Danièle Hervieu-Léger inscrit ces phénomènes d’individualisation, de subjectivisation et de désinstitutionalisation des croyances dans un mouvement de fond des sociétés occidentales : le remplacement de la démocratie des citoyens par la démocratie des

identités. Dans ce nouveau paradigme, chacun est autorisé à affirmer sa dissonance dans

l’espace public et à revendiquer son « droit à être soi-même ». C’est ainsi que l’on assiste à la « prolifération des expressions croyantes autonomes ou semi-autonomes », à l’expansion d’un marché religieux fluide et disséminé dans lequel chacun peut choisir ce qu’il souhaite (2016, p.192). Philippe Portier résume ainsi la situation : « l’institution ne contrôle plus ses troupes » (Sauvaget 2017b).

L’aggiornamento de l’Eglise, permis par les dispositions adoptées lors du concile Vatican II, a tenu compte de ces évolutions, dont les prémices étaient observables dans les années 1960 mais qui ont pris de l’ampleur depuis. Ainsi, l’Eglise a voulu instaurer des instances internes de dialogue entre les clercs et les laïcs, afin de passer d’un régime d’imposition des normes à une « régulation en termes de normes choisies et de rôles négociés »

(Willaime 2014, p.324). L’Eglise a promu une nouvelle façon de fonctionner, en mettant l’accent sur le dialogue, l’arbitrage et le compromis : « au régime de gouvernement, s'est substitué, à partir des années 1970-1980, le régime de gouvernance » (Portier 2012, p.29). Néanmoins, le dépôt de la foi, que l’Eglise a la charge de conserver et de transmettre, est normatif : son contenu ne peut être négociable. Accepter la foi revient, aux yeux de l’Eglise, à accepter ce dogme dans son ensemble. Le dialogue ne pourra ainsi porter que sur les modalités de la vie de l’Eglise, mais en aucun cas sur le contenu de la foi (De la Brosse 2013, p.83). En outre, cette orthodoxie semble recherchée par les mouvements que l’on associe avec la modernité dans l’Eglise. Ainsi, les communautés du renouveau charismatique, par leur attachement à la parole de Dieu, par leur retour à une liturgie sacralisée et par la distinction qu’elles réaffirment entre membres du clergé et laïcs, participent à la restauration d’un régime des certitudes (Lagroye 2006, p.162).

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