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Démocratie, instabilité politique et croissance économique

I. La relation entre democratie et croissance économique

I.2.2. L’impact ambigu de la démocratie sur la croissance

Tavarez et Wacziarg (2001) introduisent une nouvelle méthodologie pour examiner la relation empirique qui existe entre la démocratie et le développement économique. Ils considèrent que les institutions démocratiques sont susceptibles d’influencer la croissance à travers plusieurs canaux. Leurs résultats démontrent que la démocratie agit favorablement sur le développement en améliorant l’accumulation du capital humain et en diminuant les inégalités de revenu. Par ailleurs, la démocratie peut ralentir la croissance en diminuant le taux d’accumulation du capital physique et en augmentant la consommation du gouvernement. Ainsi, en prenant en compte tous les canaux, l’impact de la démocratie sur le développement est en somme négatif. En effet, les institutions démocratiques répondent plus aux attentes des pauvres en leur favorisant l’accès à l’enseignement et en réduisant les écarts de revenus tout en défavorisant l’accumulation du capital physique.

Ainsi, l’estimation de panel en coupe transversale (méthode SUR) sur 65 pays développés et industrialisés s’échelonne de 1970 à 1989. Elle est divisée en 4 sous périodes de cinq ans chacune et la plupart des variables sont calculées sur une moyenne de cinq ans pour limiter les éventuelles erreurs de calcul et les effets des cycles économiques. La variable qui mesure la démocratie oscille entre 0 (autocratie totale) et 1 (pays avec des institutions démocratiques solides) [Freedom House, 1972-1995]. L’usage d’équations simultanées (3 SLS) a l’avantage de permettre de

167 quantifier précisément la magnitude des effets partiaux des canaux de démocratie sur le développement. Les résultats démontrent qu’un niveau élevé de démocratie implique un système éducatif développé, un niveau élevé de consommation gouvernementale, et faible taux d’investissement total, un niveau d’ouverture commerciale faible et une baisse de l’inégalité des revenus. Cependant, il n y a pas vraiment un effet significatif sur la qualité de gouvernance et l’instabilité politique. La croissance semble être positivement corrélée avec le développement du système éducatif et le taux d’investissement alors qu’elle semble négativement affectée par les dépenses gouvernementales, l’inégalité des revenus, les distorsions et l’instabilité politique. Une fois les effets combinés il en ressort que la démocratie affecte significativement le développement économique via l’amélioration du système éducatif et la diminution des inégalités de revenu. Par ailleurs, la démocratie freine la croissance en diminuant le taux d’investissement du capital physique et en augmentant les dépenses gouvernementales. En effet, Tavarez et Wacziarg (2001) expliquent que le processus démocratique conduit généralement à une redistribution des richesses nationales en faveur des classes sociales défavorisées pénalisant, ainsi, l’accumulation du capital et les investissements productifs (transfert du capital des entrepreneurs vers les travailleurs). Ailleurs, les démocraties représentatives ont tendance à dépenser plus que les autocraties afin d’agrandir et maintenir leur sphères électorales. Ainsi, les estimations démontrent qu’un changement de 0 à 1 dans l’index de démocratie est associé à une réduction de 1.099 % du taux de croissance annuel du PIB/tête. Cependant, l’instabilité politique, l’ouverture commerciale et la qualité de gouvernance n’apparaissent pas comme des canaux importants. Ainsi, pour un effet global, un changement de la démocratie de (0,314) unité d’écart type selon les estimations implique une diminution de 0,355 % du taux annuel de croissance du Pib/tête. Ce résultat est significatif au niveau de confiance de 99%.

Ainsi, les conclusions de Tavarez et Wacziarg (2001) suggèrent que l’impact global de la démocratie sur la croissance est négatif. Ces résultats semblent robustes et résistent aux différents tests de spécification adoptés par les auteurs (la période et

168 les pays). Cette méthodologie parait très intéressante dans la mesure où elle décompose cet effet global. Ainsi, les institutions démocratiques répondent plus favorablement aux attentes des classes pauvres dans la société en améliorant l’accès à l’éducation et en diminuant les inégalités de revenus mais au détriment de l’accumulation du capital physique. En additionnant l’impact des différents canaux, l’effet de l’investissement domine. De ce fait, les institutions démocratiques impliquent un arbitrage entre les coûts économiques mesurables et les bénéfices sociaux plus difficiles à évaluer de la démocratie.

Hak Kan Tang et Chor Wing Yung (2008) examinent la relation entre la croissance économique et la démocratie dans 8 économies asiatiques performantes, les « Asian Tigers » (Singapore, Taiwan, Corée du Sud et Hong Kong) et les nouvelles économies émergentes (Indonésie, Malaisie, Philippines et Thaïlande). Il utilisent un modèle ARDL (Autoregressive Distributed Lag) introduit par Pearsan, Shin et Smith (2001) pour tester l’existence d’une relation d’équilibre de long terme entre la croissance du PIB et la démocratie mesurée par un index appelé « Democratic Accountability » élaboré par l’ICRG « International Country Risk Guide » qui mesure le degré d’interaction d’un gouvernement avec son peuple. Il varie entre 0 (décrit une autocratie totale et un peuple gouverné par une seule personne ou un groupe de personnes) et 5. 5 (décrit des élections libres et équitables des exécutifs et représentants du peuple). L’adoption de cette mesure est liée au fait que les données de l’ICRG sont disponibles pour un large panel de pays et a une fréquence trimestrielle. En plus ils sont très proches de l’indice des droits politiques publié par le « Freedom House », et se prédisent à des niveaux allant de 62% à 90%. Le seul inconvénient de cet indice est qu’il n’est disponible que pour une courte période (à partir de 1984) et il est élaboré essentiellement pour les investisseurs internationaux, donc sa dimension ne prend pas en compte les intérêts du peuple lui-même. Les résultats des estimations sont diffèrents d’un pays à l’autre. En effet, il existe une relation d’équilibre de long terme positive qui va du sens de la démocratie vers la croissance économique pour Hong Kong, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines et Singapour. Ainsi, pour Hong Kong il existe une relation d’équilibre de long terme

169 entre la démocratie et la croissance économique. En effet, le Pib croît de 1% en réponse à une augmentation de 1 point de l’indice de démocratie. Cette relation est statistiquement et économiquement significative. Cependant, cette relation est négative pour certains autres pays comme la Corée du Sud, Taiwan, et la Thaïlande, suggérant, ainsi, un impact négatif de la démocratie sur la croissance à long terme. Par ailleurs, il ne semble pas exister de preuves statistiques d’une relation d’équilibre de long terme qui va de la croissance économique vers la démocratie dans les pays du (HAPEs) « High Assian Performing Economies ». Hak Kan Tang et Chor Wing Yung (2008), stipulent que les régimes des HAPEs ont été généralement autoritaires et sceptiques face à la demande croissante de liberté de la part du peuple. En effet, au lieu d’adopter des mesures en faveur de la démocratie, ils ont choisi de maintenir un taux de croissance élevé pour justifier leur maintien au pouvoir. Cependant, les désastres économiques et la crise de 1997 ont fait chuter les régimes de Thaïlande et d’Indonésie les plus autoritaires à l’époque. Il est certain que la croissance économique entraine une augmentation de la demande de liberté en améliorant le système éducatif et en favorisant l’apparition d’une classe moyenne, ainsi que l’intégration avec le reste du monde mais elle représente aussi un grand argument pour le maintien du régime autocratique en place. Un exemple puissant est la Chine qui n’a pas été introduite dans l’étude à cause d’un manque de données crédibles sur la croissance économique. En effet, la Chine possède aujourd’hui un taux de croissance des plus élevés du monde mais aucune amélioration dans les pratiques démocratiques n’a été constatée. Il est clair que pour la Chine et certains autres pays du HAPEs, la démocratie peut avoir un effet dépressionnaire sur la croissance. Cependant, l’impact de la démocratie est positif dans d’autres pays comme HongKong, Singapore et l’Indonésie. Lee (2003) postule à travers son modèle théorique qu’un régime démocratique croît plus fortement qu’un régime autoritaire si les taxes et ou la redistribution des revenus favorise les riches. Ainsi, une redistribution inégalitaire favorise l’investissement et potentiellement la croissance. Par exemple, les individus à Hong Kong ne payent pas plus de 15% de leurs salaires en taxe alors qu’en Corée du Sud ce taux peut s’élever à 50%. Les HAPEs dans

170 lesquelles la démocratie agit positivement sur la croissance ont une taxation qui ne dépasse pas les 30%. Les auteurs concluent que la démocratie peut induire un taux de croissance élevé et réduit, ainsi, l’inégalité à travers un système de redistribution des richesses plus égalitaire. Cependant, le rendement de la démocratie décroit au-delà d’un certain seuil de taxation.

Yang (2008) examine la relation entre la démocratie et la croissance économique sur un échantillon de 138 pays durant la période 1968-2002. Il étudie l’impact de la nature d’un régime sur la volatilité du taux de croissance du PIB réel par tête durant un intervalle de 5 ans en utilisant la régression en panel dynamique (GMM). La démocratie est mesurée par l’index Polity 2 auquel il ajoute la variable qui mesure les droits politiques publiée par Freedom House (2005) qui varie entre 1 ( un niveau élevé de droit politique) et 7 (absence de droit politique). De même, la mesure des droits civils tirée de cette base de données varie entre 1 et 7 et mesure la liberté de parole et le droit à la manifestation. Il ajoute au modèle un certain nombre de variables de contrôle comme le revenu des ménages mesuré par le PIB par tête et la politique macroéconomique mesurée par le taux moyen d’inflation, la taille moyenne du gouvernement est mesurée par la consommation gouvernementale par rapport au PIB. La taille du secteur informel est mesurée par la prime du marché noir de devise calculée à partir de l’écart entre le taux de change officiel et le taux de change parallèle. La profondeur financière est mesurée par le ratio de crédit au secteur privé sur le PIB. L’ouverture commerciale est mesurée par le ratio import sur export rapporté au PIB. Finalement, le niveau de diversification de l’économie est mesuré par la part de la population, l’agriculture et les services du PIB. Il ajoute à cela une mesure de l’hétérogénéité ethnique qui prend en compte la fragmentation linguistique et raciale au sein d’une population. Les résultats démontrent que les deux mesures de la démocratie ont un impact négatif et significatif sur la volatilité économique ce qui signifie que la démocratie joue un rôle important dans l’atténuation de la volatilité de la croissance économique mais cet effet positif ne semble se manifester que dans le long terme. Par ailleurs, cet effet est plus avéré dans les sociétés les moins homogènes et perd du poids dans les sociétés très homogènes.

171 Parmi les autres variables de contrôle, seule l’inflation semble avoir un impact important sur la croissance (coefficient négatif et statistiquement significatif à 1%).

Rock (2009) cherche à savoir si la démocratie a ralenti la croissance économique de certains pays d’Asie. En effet, il constate, que le PIB réel par tête atteignait 4.6% par an en moyenne pendant les années ou les pays asiatiques étaient gouvernés par des régimes autoritaires et il est descendu à 3.3% quand ces pays ont effectué une transition démocratique36 mais il existe bien des disparités. Par exemple la Corée du Sud a connu un taux de croissance plus élevé sous la démocratie 5.9% que sous autocratie 5.4% au contraire de l’Indonésie qui est passé d’un taux de croissance de 4.4% sous un régime de dictature à 2.6% suite à la transition démocratique. Les résultats et contre toute attente démontrant qu’il n y a pas un avantage de croissance pour les pays sous autocratie. Cependant, il parait que la capacité d’un régime mesurée par la qualité de la bureaucratie et l’adhésion aux lois joue un rôle important dans le développement économique des pays démocratiques et ceux sous autocratie.

I.3. Démocratie et développement économique : les canaux de