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Chapitre 3 : La mise en espace

3.1 L’image qui devient objet

Au terme du processus décrit précédemment, j’obtiens un corpus constitué de dessins imprimés sur papier. Ils possèdent une aura de fragilité et de préciosité en raison de la fragilité du support associée à la facture très raffinée du dessin ainsi qu’à la complexité de la production d’une œuvre lithographique. Pour sortir de la nature intimiste qui émane généralement de ce genre de travail, en dessin ou en estampe, j’ai cherché une autre possibilité à la présentation de l’œuvre insérée dans un cadre-boitier et accrochée au mur en explorant des moyens de créer une expérience de contemplation différente. Il m’est rapidement apparu qu’il serait intéressant de donner de la prestance à mes images en les intégrant à un espace tridimensionnel. Un contexte plus large permet d’insérer mes œuvres lithographiques dans une relation spatiale. J’insuffle ainsi à mes images une présence particulière, ce qui nous permet de mieux en ressentir la force d’évocation esthétique.

Déjà au baccalauréat, j’avais développé l’idée de la présentation de mon travail sur des socles dans une volonté d’intégrer mes œuvres dans un espace tridimensionnel. À ce moment, j’utilisais des socles de forme pleine sur lesquels je déposais mes estampes ( figure 16 ). C’est ensuite qu’Armelle François, directrice générale et artistique d’Engramme, centre de production en estampe et de diffusion en arts actuels, dans une conversation personnelle, m’a fait prendre conscience que j’avais alors commencé à réfléchir différemment à mon travail à chaque étape de mon processus, lorsque je dessine sur la pierre, que je l’imprime ou que je cherche à le présenter dans un espace. Selon elle, cela transparaissait dans la présentation finale de mon corpus.25 Le souci accordé au dessin attire le regard sur l’image. Le dessin propose une vision intimiste qui mise sur l’investissement du regard dans le raffinement du travail. La présentation des différentes variantes issues de la même matrice offre pour sa part

25 François A (directrice générale et artistique d’Engramme, centre de production en estampe et de diffusion en arts actuels). Communication personnelle, septembre 2016.

un aperçu de la recherche qui s’effectue lors de l’impression des images. La mise en interrelation des œuvres se côtoyant dans l’espace offre une approche différente qui prend en compte des réflexions sur les liens de connivence ou de différence qui existent entre les images, sur la structuration de l’espace par les socles, leur rythmique, sur la circulation dans le lieu entre les œuvres révélant le jeu d’interrelation entre celles-ci. Le dialogue entre les œuvres prend alors de l’importance grâce à la mise en scène installative.

Figure 16

De nouveaux types de socles ont été conçu pour l’exposition à la galerie d’Engramme. Ceux- ci ont été conceptualisés en sachant qu’il y en aurait plusieurs dans un même espace, chacun présentant une œuvre imprimée. Ils sont semblables, construits selon le même modèle. Ils ont une fonction uniformisante, car la non-hiérarchie entre mes images m’est essentielle. D’autant plus que puisqu’elles sont issues des mêmes matrices, il est difficile d’en rendre une plus importante ou signifiante que l’autre. J’ai exploré la présentation de mes corpus sur des socles placés au sol dans l’espace central pour générer un nouveau contexte de lecture d’une œuvre papier. Elles sont ainsi vues de haut. Il existe 2 dimensions de socles différentes pour

les 2 tailles de papier que j’utilise. Ils sont seulement un peu plus grands de manière à accueillir la frange du papier. Les plus petits sont un peu plus hauts que les grands. Ainsi, chacun offre une distance du regard à l’œuvre semblable à celle que nous avons lorsqu’on regarde l’œuvre au mur. Plus elle est grande, plus nous la regardons de loin. Mais de les disposer afin que les œuvres soient presqu’à l’horizontale implique que les gens s’approchent et se penchent pour regarder le travail du dessin ce qui n’est pas un mouvement traditionnel pour regarder une œuvre. Le regardeur imite alors la relation que j’ai moi-même avec l’image à la fois pendant le moment du dessin, puisqu’il s’agit de la même distance pour lui du regard à l’œuvre que celui que j’ai entre l’œil et la main qui dessine, celle que j’ai lorsque j’imprime la pierre sur la presse ainsi que celle que j’ai lorsque j’enlève le papier après l’impression et que je le dépose sur une table pour le regarder et le faire sécher. C’est une expérience très intime de mon rapport à l’œuvre qui est alors transféré dans la présentation. Il y a également une incitation à poursuivre ce contact intime à l’image en répétant l’expérience d’un dessin à l’autre.

La partie supérieure de ces socles est un prisme droit dont la base est un trapèze rectangle de bois peint et il repose sur des pattes en acier. L’impression est déposée sur le caisson qui est, comme mentionné plus haut, à peine plus grand que l’œuvre afin de contenir la frange du papier. Sa taille semblable à celle de l’impression lui permet de faire corps avec elle et de faire prendre une dimension tridimensionnelle à l’œuvre. Elle semble ainsi ne plus être seulement une empreinte sur le papier, mais elle prend alors toute l’ampleur du socle lui- même ; l’image devient objet. L’utilisation de la tige d’acier, elle, permet à la fois d’alléger la structure dans son rapport à l’image et dans l’espace d’une galerie. Elle ajoute également une complexité à la structure sans pour autant en perdre sa simplicité. D’un point de vue pratique, je me suis aussi investie dans l’idée de produire des socles à multiples fonctions de manière à pouvoir les utiliser subséquemment. Ils sont démontables, leurs dimensions sont celles papiers que j’utilise fréquemment, ils peuvent être placés sur le sol et le caisson peut également se poser au mur. Leur caractère modulable leur permet alors de s’adapter à divers espaces de diffusion, de les structurer et d’y définir différents parcours.

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