• Aucun résultat trouvé

Figure 18

L’exposition qui a fait état de cette recherche a eu lieu du 7 septembre au 14 octobre 2018 dans la galerie d’Engramme, à Québec. Elle avait pour titre Balanomorpha : du terrain au dessin. Ce titre en 2 parties faisait référence aux deux éléments importants dans ma recherche, c’est-à-dire l’objet représenté ainsi que le processus de création conceptualisé et décrit tout au long de ce mémoire, c’est-à-dire du choix de l’objet à sa mise en espace en passant par sa traduction dans le langage du dessin et du travail d’impression de variantes en lithographie. L’objet que j’ai choisi de représenter pour ce projet est une balane ( balanomorpha est la traduction latine ). Il s’agit d’un type de coquillage qui s’accroche à des parois ( roches, quais, bateaux ) et dans lequel vivent des crustacés. À l’instar de tous mes projets, celui-ci a débuté par la trouvaille de ce petit objet naturel qui reposait dans l’atelier d’une amie. Je l’ai ensuite observé longuement et j’ai choisi deux angles différents ( figure 19 et 20 ) offrant chacun une vision singulière de l’objet, mettant en évidence les rapports de proportions des trois parties de la balane. Ces trois parties sont en réalité de mêmes dimensions, toutefois, par le choix de

l’angle de vue, pour le dessin de grande dimension, j’ai pu mettre l’accent sur une de ses parties en inhibant les deux autres. Le second dessin, plus petit, présente pour sa part les trois parties de l’objet. Le changement d’échelle de l’objet lors de sa représentation en dessin dévoile également l’effritement de son contour et la richesse de la texture de sa surface poreuse.

Figure 19 Figure 20

Le choix de présenter pour cette exposition seulement les images issues de la balane s’est fait naturellement. J’ai proposé d’investir l’espace d’exposition d’Engramme avec un seul projet pour garder une forte cohésion entre les différentes impressions et le projet en soi dans cet endroit de dimension modeste. De présenter un corpus constitué de seulement 2 images imprimées en plusieurs variantes met de l’avant le principe de base de l’estampe, la multiplicité. De plus, je travaille un corpus à la fois constitué d’un seul objet dans lequel je développe un aspect spécifique au niveau de la pluralité des images, la production de

variantes et la mise en espace. Je réfléchis constamment à la pertinence de chaque élément imprimé en relation avec la totalité du corpus afin que chacune des parties soit cohérente avec l’ensemble. C’est cette cohérence que j’ai souhaité souligner dans cette exposition.

Figure 21

Pour cette production, j’ai choisi d’explorer davantage l’impression de mes images sur les aplats réalisés par procédé d’impression lithographique. J’avais ainsi dans l’espace de la galerie 11 lithographies. J’avais d’abord chacune des deux images imprimées en noir sur un papier blanc. Les autres étaient imprimées en noir ou en blanc et se superposaient à un fond de couleur uniforme. Ces aplats se déclinaient en tons de gris colorés. Il y en avait un noir, un gris neutre, un gris bleuté et un verdâtre. Une seule de ces impressions était en noir et en blanc sur un papier Mylar translucide. Même s’il s’agit des mêmes matrices, chacune des impressions offre un rendu fort différent incitant alors à poser un regard attentif sur chacune d’elles pour en déceler les caractéristiques particulières.

Les images en noir sur papier blanc ont un rendu presque photographique. Le souci du détail dans le dessin associé au grain de la pierre lithographique rappellent le grain de la photographie argentique. Les matrices imprimées en blanc sur un papier recouvert d’encre noire évoquent à leur tour une image négative, sans pour autant en être une puisqu’il s’agit de la même image positive, mais imprimée en blanc. Tout le dessin est comme inversé dans ses tonalités, le noir devenant du blanc. Dans la présentation de cette exposition, j’avais fait se côtoyer l’impression en noir sur fond bleuté et l’impression en noir sur encre gris-vert. Cette juxtaposition mettait l’accent sur la fine différence entre les gris, la profondeur de la couleur ainsi que l’impact de cette différence de couleur de fond sur une impression qui est, elle, de même couleur. Chacune de mes lithographies pouvait alors se lire dans son unicité autant qu’en offrant un support pour la lecture de la suivante ou au contraire, une mesure de sa différence.

Toutes les œuvres imprimées étaient disposées dans l’espace sur des socles fabriqués sur mesure pour chacune d’elles. J’ai longuement réfléchi à ces dispositifs composés de tiges d’acier surmontés d’une base trapézoïdale afin d’obtenir un système de présentation singulier pour mon travail, qui le servirait, qui lui donnerait de l’ampleur, tout en gardant une certaine légèreté dans la présentation et qui garderait l’aspect aérien de la galerie vitrée d’Engramme. Les lignes créées par les tiges d’acier répondaient à celles des fenêtres de la galerie. La combinaison de ces lignes ainsi que les masses blanches de la base des socles qui répondaient aux murs blancs intégraient les œuvres à l’espace architectural de la galerie et soulignaient la précision de la mise en espace. Les socles étaient disposés en 3 groupes. Le premier était composé de 2 impressions sur leur socle, côte-à-côte. Le second groupement était au centre de la galerie et comprenait 6 estampes. Il se présentait en 2 rangées de 3 socles disposés symétriquement. Le dernier groupement, à la pointe de la galerie, comprenait 3 lithographiques elles-aussi placées côte-à-côte. Leur disposition dans l’espace réorganisait notre perception de la galerie y créant alors différents circuits de déambulation. Selon notre position dans l’installation, les rapprochements faits entre les différentes lithographies changeaient. Le regardeur pouvait alors changer de perspective et faire de nouveaux liens de rapprochement entre les œuvres.

En raison des grandes fenêtres de la galerie d’Engramme, la température extérieure et la luminosité naturelle avaient une incidence sur la présentation. En effet, lors des journées ensoleillées, la luminosité et la richesse des couleurs des aplats d’encre étaient grandement mises en valeur alors que lors des journées grises, les différences entre les couleurs, surtout le vert et le bleu, s’amenuisaient jusqu’à ce qu’elles semblent presque similaires. Le phénomène était pourtant différent lorsque la nuit tombait ( figure 22 ). La lumière artificielle éclairait les œuvres sans modifier la perception de la couleur. La noirceur de l’extérieur refermait l’installation sur elle-même et contrastait avec sa blancheur. Puisque l’exposition a eu lieu au début de l’automne, elle a également été influencée par les couleurs changeantes des arbres à l’extérieur qui sont passés du vert à l’orange au presque dégarnis. Toutes les variations extérieures sont venues enrichir dans le temps la relation de l’exposition à son contexte autant intérieur qu’extérieur en imitant les fines variations existant d’une impression à l’autre.

Conclusion

Ainsi donc, je peux affirmer avec certitude qu’il est possible de développer et de porter un regard abstrait sur des éléments naturels. C’est l’expérience du travail en dessin qui, dans mon cas, est porteur de ce dessaisissement du sujet original pour m’investir dans la contemplation abstraite de la forme qui est sous mes yeux et des détails minutieux la composant. Il naît alors, des images ainsi créées, une ambiguïté entre l’essence profondément naturaliste du sujet qui transcende pourtant son rendu abstrait. Ce double regard est porté sur le sujet à la fois par moi dans l’expérience de la création et par le regardeur qui se retrouve face à l’œuvre avec ses caractéristiques simultanément abstraites et naturelles.

Cette notion du double regard réside également dans mon approche technique de l’utilisation de mon médium, la lithographie, qui fonctionne simultanément avec un regard esthétique qui est constamment posé sur mon travail autant pendant la réalisation du dessin que lors de l’impression de ma matrice afin d’être à l’affût des possibles inattendus que permet la lithographie et lors de la mise en espace des œuvres dans leur lieu d’exposition.

Bibliographie

Alloucherie J. Texte paru dans Actes du colloque L’estampe contemporaine : la perméabilité des frontières. Québec: Engramme; 2006.

Benjamin W. L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Paris: Éditions Allia; 2003.

Deleuze G. Proust et les signes. Paris: Presses universitaires de France; 1976.

Devon M, Lagattuta B, Hamon R. Tamarind Techniques for Fine Art Lithography. New York: Abrams; 2008.

Friedrich J, Butin H. Vija Celmins: Wüste, Meer & Sterne / Desert, Sea & Stars. Museum Ludwig / Verlag der Buchhandlung Walther König. Köln; 2011.

Gaumnitz M. Odilon Redon peintre des rêves [DVD]. AMIP / Rmn-Grand Palais / BnF; 2011.

Genette G. L’œuvre de l’art : Immanence et transcendance. Paris: Seuil; 1994.

Labrusse R, Chassey É de. Henri Matisse - Ellsworth Kelly : Dessins de plantes. Paris: Gallimard/Centre Pompidou; 2002.

Lyotard J-F. Discours, figure. Paris: Klincksieck; 1971.

1. Malenfant N, Ste-Marie R. Code d’éthique de l’estampe originale - Code of ethics for the original printmaking. Montréal: Conseil québécois de l’estampe; 2000.

Pogue D. Printmaking Revolution : New Advancements in Technology, Safety, and Sustainability. New York: Watson-Guptill Publications; 2012.

Porzio D. Lithography : 200 Years of Art, History and Technique. Milan: General Editor; 1983.

Souriau É. Vocabulaire d’esthétique. Paris: Quadrige/PUF; 1999. (Quadrige ; 300).

Streker M. Actes du colloque Du dessein au dessin : colloque organisé par les Instituts Saint- Luc de Bruxelles au studio du Palais des beaux-arts de Bruxelles le 19 novembre 2004. Bruxelles: La lettre volée; 2007.

Tallman S. The contemporary print : from pre-pop to postmodern. London: Thames and Hudson; 1996.

Documents relatifs