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De l'ambiguïté entre naturalisme et abstraction : le double regard dans le processus du dessin lithographique et de son impression

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Academic year: 2021

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De l’ambiguïté entre naturalisme et abstraction : le

double regard dans le processus du dessin

lithographique et de son impression

Mémoire

Julie Bellavance

Maîtrise en arts visuels

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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De l’ambiguïté entre naturalisme et abstraction : le

double regard dans le processus du dessin

lithographique et de son impression

Mémoire

Julie Bellavance

Sous la direction de :

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Résumé

Ce mémoire fait état des modalités de mon processus de création évoluant en deux étapes et ayant des préoccupations esthétiques particulières à chacune. D’abord, la phase du dessin naturaliste se constitue en de fines couches de tons de gris sur la surface granulée d’une pierre lithographique. Puis, cette image traitée afin de pouvoir être imprimée ouvre la porte à différentes variations d’une même image selon des stratégies propres à la lithographie et qui sont déployées lors de l’impression. À cette étape, j’ai expérimenté des approches de l’impression en noir sur papier blanc, la superposition sur des aplats colorés réalisés en lithographie, l’inversion de l’image par impression en blanc sur fond coloré, la superposition avec ou sans utilisation de pochoirs ainsi que le chine collé qui ont enrichi ma démarche artistique dans la réalisation d’un corpus d’œuvres aux multiples nuances esthétiques. Le sujet choisi pour devenir l’image spécifique à chaque œuvre est un fragment banal d’éléments naturels qui engage une expérience d’observation attentive suivie d’une interprétation tout aussi méticuleuse par les moyens du dessin. Cette étape est non seulement imprégnée d’une intention de raffinement sur le plan du rendu, mais tous les choix exigés par le processus de création se précisent dans la volonté de donner une singularité esthétique conforme à une vision abstraite sur ce qui peut apparaître dans l’œuvre au-delà de son rapport au sujet référence. Ainsi naît cette ambiguïté entre l’attrait naturaliste et l’énigmatique saisie d’une manière d’être abstraite du dessin.

L’exposition qui a mis en espace de galerie l’ensemble du projet final a proposé une disposition des œuvres créant des interrelations entre les différentes variations générées dans le processus d’impression. Dans le parcours de l’exposition, le regard pouvait percevoir plus intimement chaque lithographie tout en ayant des points de vue sur différents regroupements des œuvres imprimées.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... iv

Liste des figures ... v

Remerciements ... vii Introduction ... 1 Chapitre 1 : Le dessin ... 3 1.1 Le choix du sujet ... 3 1.2 La pratique du dessin... 7 1.3 L’abstraction ... 10 1.4 Le sens ... 15 Chapitre 2 : La lithographie ... 17 2.1 Le traitement lithographique ... 17

2.2 Le basculement de l’image à motif ... 19

2.3 Les variantes ... 21

Chapitre 3 : La mise en espace ... 29

3.1 L’image qui devient objet ... 29

3.2 Le regroupement des images ... 33

Chapitre 4 : Balanomorpha : du terrain au dessin ... 35

Conclusion ... 40

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Liste des figures

Figure 1. Julie Bellavance. L’asclépiade, lithographie sur pierre, 22x15 pouces, 2017. Figure 2. Julie Bellavance. L’asymétrie des roses, lithographie sur pierre, 22x15 pouces, 2016.

Figure 3. Ellsworth Kelly. Dracena II, lithographie, 43x31½ pouces, 1983-85. Figure 4. Vija Celmins. Ocean, lithographie, 12½x16½ pouces, 1975.

Figure 5. Julie Bellavance. L’asclépiade, lithographie sur pierre, 30x22 pouces, 2017. Figure 6. Julie Bellavance. L’asclépiade, lithographie sur pierre 2 couleurs, 22x15 pouces, 2017.

Figure 7. Julie Bellavance. Sans titre, lithographie sur pierre, 22x15 pouces, 2017.

Figure 8. Julie Bellavance. Sans titre, lithographie sur pierre 2 couleurs, 22x15 pouces, 2017. Figure 9. Julie Bellavance. Sans titre, lithographie sur pierre 2 couleurs, 22x15 pouces, 2017. Figure 10. Julie Bellavance. L’asymétrie des roses, lithographie sur pierre, 22x15 pouces, 2016.

Figure 11. Julie Bellavance. L’asymétrie des roses, lithographie sur pierre 2 couleurs, 22x15

pouces, 2016.

Figure 12. Julie Bellavance. L’asymétrie des roses, lithographie sur pierre 2 couleurs, 22x15

pouces, 2016.

Figure 13. Julie Bellavance. L’asclépiade, lithographie sur pierre, 30x22 pouces, 2017. Figure 14. Julie Bellavance. L’asclépiade, lithographie sur pierre 2 couleurs, 30x22 pouces, 2017.

Figure 15. Julie Bellavance. L’asclépiade, lithographie sur pierre 2 couleurs, 30x22 pouces, 2017.

Figure 16. Julie Bellavance. L’asymétrie des roses, mise en espace, 2016.

Figure 17. Julie Bellavance. Balanomorpha : du terrain au dessin, lithographies, mise en espace, 2018.

Figure 18. Julie Bellavance. Balanomorpha : du terrain au dessin, lithographies, mise en espace, 2018.

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Figure 19. Julie Bellavance. Balanomorpha I, lithographie sur pierre, 30x22 pouces, 2018. Figure 20. Julie Bellavance. Balanomorpha II, lithographie sur pierre, 22x15 pouces, 2018. Figure 21. Julie Bellavance. Balanomorpha : du terrain au dessin, lithographies, mise en espace, 2018.

Figure 22. Julie Bellavance. Balanomorpha : du terrain au dessin, lithographies, mise en espace, 2018.

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Remerciements

Merci à Nicholas Simard-Tremblay, mon sponge-boy, pour l’immense aide, le support et l’accompagnement à la plupart de mes journées d’impression ainsi que pour la documentation de celles-ci.

Merci à Sébastien Lavoie, chargé d’enseignement dans les ateliers d’estampe de l’Université Laval, pour tout le soutien apporté, toutes les réponses détaillées à mes nombreuses questions, d’avoir cru en mon travail et de m’avoir donné les meilleures chances de réussite dans le domaine de l’estampe.

Merci à Francis Bellavance et Line St-Louis, mes parents, pour le travail important réalisé pour la conception et la fabrication de mes socles, les nombreux transports, coups de main, fabrication d’outils, support et aide à la production de toutes sortes ainsi que pour la recherche très investie de nouvelles formes pour ma production.

Merci à Engramme, centre de production en estampe et de diffusion en arts actuels, et à toute son équipe pour leur immense soutien. Merci de m’avoir donné de nombreuses occasions de mettre en application mes connaissances, de continuer de les raffiner et de les partager. Merci à Hélène Beaudette d’avoir toujours vu tout mon potentiel et à m’avoir encouragé à me réaliser par des études en arts visuels.

Merci à Dany Massicotte pour l’aide technique importante apportée pour la fabrication de mes socles.

Merci à mes collègues de la maîtrise, Lélia, Alexandre et à tous ceux qui, de près ou de loin, m’ont soutenu tout au long de mes études au baccalauréat et à la maîtrise, qui m’ont aidé à poursuivre mon chemin dans le milieu des arts visuels et qui continuent de le faire.

Et finalement, merci à Nicole Malenfant, ma directrice de recherche, pour le suivi et les conseils qu’elle m’a apportés depuis mon baccalauréat.

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Introduction

Est-il possible de porter un regard abstrait sur des éléments naturels ? L’histoire de l’art nous propose la piste de quelques artistes qui ont développé une réflexion sur ce sujet. Mais qu’en est-il de ma propre expérience ? Le nom même de la région où j’ai vécu mon enfance est porteur de son interrelation avec la nature, les Bois-Francs. J’ai grandi portant en moi cet intérêt pour la nature qui m’entourait. J’appréciais la composition de ses éléments en jouant à les déconstruire systématiquement de la même façon, appliquant, d’un endroit à un autre, le même protocole de dissection de ses éléments. Cette simple activité libre et patiente, révélatrice de mon tempérament, m’a appris à poser très jeune un regard ouvert sur les fragments de la nature en développant une habileté à les comprendre sous tous leurs points de vue. Cette activité qui m’a autrefois paru anodine semble aujourd’hui avoir posé les jalons de ma pratique en arts visuels en nourrissant ce processus intuitif ensuite développé dans la création.

Le dessin naturaliste est maintenant au cœur de ma pratique artistique. Le choix de traduire en dessin les objets naturels m’est venu instinctivement, porté par mon intérêt inlassable pour la compréhension de ces éléments, mais également parce que certains d’entre eux offrent des propriétés abstraites idéales pour que le dessin dépasse l’imitation et devienne une expérience de nature esthétique. Je choisis des sujets qui peuvent faire naître un sentiment d’étrangeté en raison de leur forme, ce qui accentue leur ambiguïté et me donne alors la chance de m’investir dans leur traduction dans le langage du dessin. J’élabore mon rapport à l’abstraction à partir d’une pratique du dessin naturaliste étudiant des positions esthétiques de deux artistes, Ellsworth Kelly et Vija Celmins. En décontextualisant ces objets de leur milieu naturel et en les recontextualisant sur la surface de la pierre lithographique, je me dessaisis de leur référent en laissant libre cours à l’intuition de la main pour assurer leur rendu qui module la surface avec des tons de gris finement dégradés dans leur nouveau milieu, celui de la surface du papier. Le jeu qui se produit alors, entre le regard et la main, est rendu visible

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dans l’impression finale par la fine précision qui caractérise mes images. Elle révèle la présence intangible des images.

La lithographie est rapidement devenue un choix privilégié dans ma pratique artistique. Au-delà de la seule expérience du dessin, elle m’a permis de poursuivre une réflexion approfondie sur les qualités d’une image. Elle possède une technicité et une matérialité qui lui est singulière. L’accumulation du crayon gras sur la surface de la pierre offre un velouté inimitable qui porte les caractéristiques du grain de la pierre lithographique. Lors du processus de traitement du dessin sur la pierre permettant de l’imprimer, il se produit des écarts par rapport à l’image originale qui la font passer de dessin à motif. Les contrastes s’accentuent, l’image s’inverse et la matérialité du fond du dessin change puisqu’il passe de la surface de la pierre au papier. Les qualités de la lithographie qui font que l’on peut multiplier l’image m’ont permis de développer une approche de l’impression singulière dans la production de diverses variations de la même image. Il m’est ainsi possible d’imprimer une même matrice en différentes couleurs et sur différentes surfaces comme sur des aplats lithographiques préalablement réalisés sur pierre lithographique et imprimés sur papier devenant alors une coloration du fond. Cela offre des résultats bien spécifiques au médium.

C’est dans la présentation finale de l’ensemble de ce travail que je mets en scène ma série d’impressions. Je les présente sur des socles aux volumes géométriques simples, au sol et répartis dans l’espace. Je les agence entre eux dans une disposition structurant l’espace et favorisant la déambulation ainsi que mettant en lumière la diversité de relations qui peuvent s’établir entre les images. Les œuvres déposées sur les socles prennent alors une dimension tridimensionnelle. Cela ajoute de l’ampleur à l’empreinte d’encre sur le papier qu’est en réalité une impression lithographique et interpelle le regard à différentes distances.

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Chapitre 1 : Le dessin

1.1 Le choix du sujet

La première étape de mon processus de création en est aussi la plus importante puisqu’elle définira l’ensemble de l’œuvre. Elle aura une incidence sur chacune des étapes subséquentes dont certains de leurs effets en sont tributaires. Il s’agit du choix de l’objet naturel qui sera représenté en dessin sur la pierre lithographique.

Ma pratique aborde un sujet largement exploité, celui de la nature. Elle consiste à poser un regard sur la nature, non pas d’un point de vue du paysage, mais plutôt de ce qui le compose. Tout un paysage peut se retrouver, être porté, par un seul des objets le constituant. Celui-ci ouvrira alors tout le potentiel imaginatif qu’il porte sur le territoire auquel il appartient. Il ne m’est donc pas nécessaire de montrer tout un paysage pour référer à celui-ci. Puisque mon rapport à la nature est ancré dans mon histoire et que tout ce qu’il ouvre en moi m’appartient, cette expérience ne peut être transmise à un autre individu. Faire découvrir les qualités esthétiques d’un sujet naturel me suffit.

Même si le sujet que je choisis n’est pas issu de l’environnement de la personne qui le regarde, il lui est aisé de saisir qu’il est issu d’un milieu naturel en raison de ses caractéristiques formelles propres. Il éveillera donc tout de même chez lui un sentiment de proximité à la nature. Par ailleurs, il existe un rapport très égalitaire entre les objets naturels. Comme le souligne Éric de Chassey, « Par leur humilité, leur caractère commun, les plantes fournissent le motif privilégié d’un art démocratique […] ; elles sont un luxe accessible, sans distinction de classe ou de rang. »1 Cet auteur réfère aux dessins de plantes de Henri Matisse et d’Ellsworth Kelly. Je suis d’avis que nombre des propos qu’il tient avec son confrère Rémy

1 Chassey É de. Aller avec. Dans : Labrusse R et Chassey É de. Henri Matisse - Ellsworth Kelly :

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Labrusse dans cet ouvrage et spécifiquement tous ceux que je citerai dans ce texte s’appliquent autant aux végétaux qu’aux sujets naturels que je choisis dans ma pratique.

Figure 1

J’ai un intérêt particulier pour donner à voir des éléments un peu banals ou méconnus d’un environnement naturel. Mes sujets sont de petits fragments de celui-ci sur lesquels le regard passe sans s’y attarder, engloutis dans la magnificence du paysage. C’est par le travail en dessin, qui réfère à ce fragment du réel, et par la décontextualisation du sujet de son environnement réel, ensuite recontextualisé dans l’espace propre au dessin, que je lui redonne une valeur suffisamment importante pour inciter à poser un regard ouvert, appréciateur sur eux. Lors d’une rencontre avec l’artiste René Derouin, à son atelier, en janvier 2017, il m’a fait part de sa réflexion sur le rôle de l’artiste qui montre, qui donne à voir quelque chose auquel les gens ne portent pas attention. Il s’est posé la question à savoir si les paysages

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existent avant que quelqu’un les nomme. Par exemple, selon lui, nous avons appris à connaître les Laurentides par les poèmes de Gaston Miron.2 Je reprends cette idée dans mon travail lorsque je construis un corpus entier sur une simple asclépiade, cette plante indigène du Québec, berceau des papillons monarques ( figure 1 ).

Les objets naturels offrent des caractéristiques très singulières que j’aime représenter en dessin. « […] la force vitale s’affirme dans le végétal comme ce qui donne à toute manifestation de la structure un aspect nécessairement nouveau, inattendu, fruit hasardeux de son propre dynamisme […] ».3 Je cherche chaque fois un sujet qui a des caractéristiques précises. Il doit avoir une forme dynamique, soit en offrant une certaine symétrie ou une courbe permettant de structurer le dessin. Il doit aussi présenter une surface avec une texture ou un modulé prononcés. Il doit émaner de l’objet une unité grâce à laquelle il offrira une masse centralisée sur le papier. Cette unité de l’image a également la fonction de maintenir l’attention sur elle-même. Il faut donc qu’il y ait d’une part une surface avec de multiples qualités qui me permettront de raffiner le dessin et qui permettront au regardeur de prendre conscience des détails du sujet révélés par le dessin. D’autre part, le sujet doit être une forme relativement simple, mais suffisamment complexe pour permettre une utilisation subséquente de l’image comme motif. Une partie de cette complexité réside également dans l’ambiguïté de son identité. Il est parfois difficile de saisir d’emblée si le sujet provient d’un milieu végétal, minéral ou animal. Cela permet d’ailleurs de supporter la perte de reconnaissance immédiate du sujet réel. Cette hésitation incite alors à saisir le potentiel d’abstraction de celui-ci, afin qu’on puisse apprécier autant l’aspect référentiel que les qualités esthétiques de l’image dessinée. Bien que les images que l’on propose généralement de la nature sont descriptives, il est possible de trouver un nouveau point de vue d’où l’on perd la référence première à l’objet d’origine comme ce fut le cas pour le choix du bouton de rose ( figure 2 ). Cette perte de référencialité ainsi que le dessaisissement de la référence au contexte du sujet me permettent de renforcer la nature formelle du dessin et de mettre l’accent sur les qualités

2Derouin R (artiste en arts visuels). Communication personnelle, janvier 2017.

3 Labrusse R. Le désir de la ligne. Dans : Labrusse R et Chassey É de. Henri Matisse - Ellsworth

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du sujet, c’est-à-dire, sa forme et sa surface. Je m’investis alors dans le processus du dessin, la reproduction de l’apparence du sujet sur la surface de la pierre lithographique, cherchant à interpréter les détails avec le plus de précision et de finesse possible.

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1.2 La pratique du dessin

La pratique du dessin prend place rapidement dans mon processus de création, mais est tout de même précédé par la préparation de la surface sur laquelle je dessinerai, c’est-à-dire le ponçage de la pierre lithographique pour constituer sa surface granuleuse caractéristique. Ce premier contact avec la pierre permet d’installer l’énergie tranquille nécessaire à la réalisation lente de l’image et rend l’amorce du travail en dessin plus aisé.

Entre le sujet choisi pour le dessin, la pierre lithographique et moi, il doit se construire une forme de communication. C’est ma main qui en est porteuse, retranscrivant l’ensemble de la relation qui s’installe entre mon regard posé sur l’objet et mon corps qui le reporte sur la pierre. Clémens, dans Du dessein au dessin, introduit l’idée qu’en décalage entre les deux, entre le vu et le faire, il y a le geste relié à l’instinct qui effectue le processus de traduction de l’image.4 Pour que l’instinct fasse bien son travail, le regard, lui, doit absolument être posé avec précision, sans jugement et avec honnêteté sur le sujet afin de se dessaisir de sa reconnaissance de type conceptuelle pour privilégier la perception du détail en l’inscrivant dans l’ensemble de la forme.

Gaudin, dans le même ouvrage, affirme « Je ne vois bien une chose qu’en oubliant ce qu’elle est. »5 C’est pourquoi je mets en place différentes stratégies de différenciation de l’objet. Je choisis généralement un petit objet que je commence par photographier, je le change ensuite radicalement d’échelle et j’établis les premières lignes du dessin qui sera beaucoup plus grand que l’objet d’origine. Il m’est alors plus facile de ne pas me laisser influencer par mon savoir du sujet bien que j’aie une conscience accrue de la réalité et de la matérialité de ce que je

4 Clémens É. L’enjeu du tracement. Dans : Streker M, directeur. Du dessein au dessin : colloque

organisé par les Instituts Saint-Luc de Bruxelles au studio du Palais des beaux-arts de Bruxelles le 19 novembre 2004. Bruxelles: La lettre volée; 2007, p.29.

5 Gaudin H. Pour trait. Dans : Streker M, directeur. Du dessein au dessin : colloque organisé par les

Instituts Saint-Luc de Bruxelles au studio du Palais des beaux-arts de Bruxelles le 19 novembre 2004. Bruxelles: La lettre volée; 2007, p.49.

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vois. Vija Celmins travaille elle aussi à partir de photographies et est citée ici avec justesse par Friedrich : « The photo is an alternate subject, another layer that creates distance. And distance creates an opportunity to view the work more slowly and to explore your relationship to it. »6 En choisissant des sujets qui ont une forme unitaire et ayant un potentiel d’abstraction, je reste plus aisément dans l’observation en m’évitant de faire passer l’image par l’intellect, le nommable ou l’identifiable. Ma main reste donc très intuitive dans la modulation du clair-obscur du sujet.

Une autre forme de connaissance entre aussi en jeu. La connexion qui s’établit entre le regard et la main pour donner vie à l’image intériorise une forme particulière de connaissance à l’objet. Paul Valéry, ici cité par Labrusse, souligne que « Même l’objet le plus familier à nos yeux devient tout autre si l’on s’applique à le dessiner : on s’aperçoit qu’on l’ignorait, qu’on ne l’avait jamais véritablement vu. […] Il faut donc ici vouloir pour voir et cette vue voulue a le dessin pour fin et pour moyen à la fois. » 7 Toute cette démarche démontre un investissement humble envers le sujet et sa transcription en image. Le regard le scrute, approfondit la connaissance qu’il en a, et cette démarche prend place et acte dans la pratique du dessin. La connaissance intuitive que j’acquiers du sujet, influencée par ma personnalité qui oriente les choix lors de la traduction du sujet en image, n’est alors perceptible que dans le dessin réalisé. Il y a aussi dans ce travail un rapport à la découverte, à voir et à comprendre la nature, se sentir en lien avec elle.

Lorsque je choisis mon sujet, je m’intéresse à lui pour sa forme, sa surface et ses caractéristiques propres et non pas celles de la catégorie à laquelle il appartient. Alors, au moment où je le dessine, je transpose sur la pierre sa « vérité » unique plutôt que la « vérité » de son espèce. Je m’intéresse tout entière à cet objet spécifique, à ses caractéristiques propres, à son individualité, à sa singularité essentielle par rapport à l’ensemble de ses semblables. Il

6Friedrich J. Always the same song? Vija Celmins’ visual research between nature and art, original and reproduction. Dans : Friedrich J, Butin H. Vija Celmins: Wüste, Meer & Sterne / Desert, Sea &

Stars. Museum Ludwig / Verlag der Buchhandlung Walther König. Köln; 2011, p. 20.

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y est certes associé, mais il est vu dans son unicité. Je continue d’ailleurs de construire ma connaissance formelle de ce sujet précis dans la multiplicité de dessins le représentant sous différents points de vue. Chacun d’entre eux présente un dessin tout en nuance, composé de nombreuses tonalités qui modulent la surface du sujet dans l’optique de conserver toute la complexité de sa réalité.

La réalisation de chacun de mes dessins s’inscrit dans un temps très lent. Le dessin au crayon sur la pierre lithographique requiert une méthode de travail particulière. En travaillant avec un crayon gras très dur, je construis progressivement les valeurs de gris. J’amorce donc l’image par des valeurs de gris très pâle et ensuite je les fonce afin d’obtenir la densité de crayon voulue. À cela s’ajoute le temps nécessaire au raffinement de mon dessin qui augmente selon la dimension de l’image. Puisque le travail s’échelonnera sur plusieurs jours et souvent plusieurs semaines, j’ai développé une discipline dans le dessin afin de toujours l’effectuer de la même manière tout au long du travail. La durée importante de la construction du dessin nécessite un état d’esprit particulier pour s’assurer de la constance de l’image. Pour plonger dans ce regard vrai sur le sujet, je dois m’installer dans une concentration non guidée par l’intellect. Ma pensée est alors plutôt connectée à l’expérience perceptuelle. S’installe ainsi une intensité dans ce processus qui me permet d’entretenir cette constance et cultiver le regard contemplatif qui est posé sur le sujet.

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1.3 L’abstraction

Selon Ellsworth Kelly, l’abstraction est une expérience du réel, un exercice de perception, « séparer l’acte de voir et l’acte de penser ».8 L’abstraction est donc un passage quasi nécessaire dans ma pratique du dessin tel que décrit plus haut. Entre l’expérience du regard et la liberté de la main, l’abstraction assure son rôle pour que le regard saisisse ce qui sera traduit en signes par la main sans être restreint par l’intellect et un connu déjà acquis.

Si je choisis des formes naturelles comme sujets de mes dessins, c’est parce qu’elles portent en elles-mêmes un potentiel d’abstraction comme le décrit si bien Chassey :

« […] le végétal [ ainsi que les formes naturelles ] est en soi suffisamment abstrait pour qu’il n’ait pas besoin d’être rendu plus abstrait encore. Il peut exister comme forme reconnaissable pourvue d’un nom, sans que cette reconnaissance vienne faire obstacle à sa neutralité. Les plantes sont, plus facilement que d’autres motifs, des motifs pour ( pour le dessin […] ) plutôt que des motifs de ( qui donnent leur sujet au dessin […] ), aussi bien pour le spectateur que pour l’artiste. […] les dessins de végétaux sont des supports idéaux pour une vision abstraite, ils n’entraînent par eux-mêmes à aucune forme de narration, ni de symbolisme. »9 Selon l’auteur, pour ce faire, il est impératif que soient suivis les cinq concepts qu’il a définis comme caractérisant l’abstraction du milieu du 20e siècle, c’est-à-dire, la décontextualisation, l’épuration, la modularisation, la géométrisation et la planéité.10

La décontextualisation est un principe commun à l’abstraction et au dessin botanique pour lequel les informations relatives à la saison et au lieu sont inscrites dans la légende. Les deux offrent donc un dépouillement mettant l’accent sur le dessin lui-même. Dans mon travail, l’orientation de l’image ne tient pas compte de l’orientation du sujet dans son état naturel. À

8 Ibid, p.30.

9 Chassey, op. cit., p.61. 10 Ibid., p.61.

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cela s’ajoute également un changement radical d’échelle entre l’objet de départ et son image. C’est pourquoi il en résulte parfois un sentiment d’étrangeté renforcé par le point de vue exploité. En outre, l’absence de contexte d’espace nie une certaine forme de temporalité. Marcel Jean, professeur à l’École d’art, a déjà dit de mon travail qu’il est atemporel et qu’on y sent plutôt une présence à la fois instantanée et permanente.11 Donc, un soin minutieux est mis pour la décontextualisation du sujet pour finalement le recontextualiser dans le langage du dessin sur la surface de son support papier.

L’épuration de l’image de même que son unité et sa modularisation sont étroitement liées au choix du sujet. Lorsque je suis en quête de mon prochain sujet, je porte une attention particulière à ses caractéristiques afin qu’il présente des propriétés modulaires qui conviennent à un regard abstrait. Le sujet doit répondre d’emblée à ces critères, puisque je ne le transformerai pas afin qu’il convienne à l’idée que j’ai de celui-ci. Je m’applique toujours à transcrire ce qui pourrait être considéré comme des imperfections ou des incohérences. Il en est de même pour le caractère géométrique de l’image qui se détermine aussi lors du choix du sujet et surtout du point de vue sur lequel je choisis de travailler. Ce sont la symétrie ou le dynamisme dans la facette choisie du sujet qui structurent le dessin et son rapport à la surface sur laquelle il se trouve. La structure interne géométrique sous-jacente du sujet est primordiale puisqu’elle ne sera pas altérée par mon approche du dessin. Sans être visible, elle est porteuse de l’organisation de la forme dans l’espace du dessin. Elle crée ainsi l’intensité de la présence du sujet.

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Figure 3

Par contre, je ne me situe pas dans la recherche de la planéité de l’image telle que conçue par Chassey s’appuyant sur le travail de Kelly. La planéité est souvent associée à la présence de la ligne et l’absence de volume. Cette notion de la ligne était l’un des traits fondamentaux de l’abstraction pour Kelly. Issu du mouvement de l’art abstrait dominant le milieu du 20e siècle, la ligne lui était nécessaire pour viser l’aplat.12 Je me situe plutôt dans une approche qui vise à une traduction de toutes les valeurs et nuances apparaissant à la surface du sujet et le modulant. Le regard abstrait peut se traduire autrement que par le simple usage de la ligne. La présence d’un contour non délimité par la ligne est suffisante pour restreindre la forme et peut s’y substituer. J’élabore l’unité de la forme dans mes images par le travail de modulation de la surface délimité par un contour qui n’est pas tracé, mais représenté par la fin des valeurs de gris construisant cette modulation de la forme. Le volume représenté par elle n’anéantit

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pas l’abstraction et je reste près de sa réalité dans une volonté de rapprochement avec la nature. Bien que je traite toutes les nuances du sujet, cela reste une modulation plane, c’est-à-dire, qu’on sent les variations dans l’image sans toutefois qu’on puisse se tromper sur sa nature bidimensionnelle. Le sujet est donc abstrait en raison du traitement de sa surface et non de sa ligne comme c’est le cas pour Kelly. La modulation de la surface sans effet de volume me permet d’arriver à un réalisme abstrait, une représentation près de la réalité naturelle du sujet dans un dessin répondant aux critères de l’abstraction.

Figure 4

C’est en ce sens que je me rapproche du travail de Vija Celmins. Elle fait partie de ce courant des années 1970 où l’abstraction n’est plus seulement vue dans son opposition à la figuration. Celmins nous propose des paysages naturalistes traités par des modulations de tons de gris qui recouvrent la surface de l’image niant une certaine forme de perspective et donnant

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l’impression d’un espace presque illimité. Ses images proposent une complexité visuelle qui ne hiérarchise pas les détails qu’elles incluent. Elles sont sans point de focus et possèdent une forme d’égalité entre toutes les parties l’image. Pour entrer dans ses dessins, il faut les envisager dans leur entièreté. Seulement ensuite on peut en saisir les détails, mais ceux-ci nous rapportent continuellement à l’intégralité de l’image. « So Vija Celmins’ works are not so much about the illusionist reproduction of photographic reality as a sensual and intellectual reflection on the apparence of the works, their structure, the dimensions of their pictorial spaces and their ambivalent degree of abstraction. »13 Je travaille donc la modulation plane des gris de manière apparentée au travail de Celmins, mais en limitant le sujet à sa forme, me permettant alors de l’utiliser ultérieurement comme un motif en connivence avec l’approche de Kelly.

J’arrive ainsi à exploiter les caractéristiques d’un objet singulier en le laissant toutefois dans l’abstraction et dans l’innommable. La capacité d’arriver à l’abstraction dépend tout autant du choix de l’objet lui-même que de son traitement. La moitié du travail est fait avant même de choisir le point de vue de l’objet et de commencer le processus de création, ce qui rend la période du choix extrêmement crucial. Car il ne s’agit pas seulement de trouver un objet avec un point de vue intéressant, mais en présentant plusieurs pour la création d’une série importante portant sur le même sujet.

13Butin H. Here, look at this. And look at it again and look at it again. Vija Celmins’ desert, sea and star pictures. Dans : Friedrich J, Butin H. Vija Celmins: Wüste, Meer & Sterne / Desert, Sea &

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1.4 Le sens

J’utilise l’abstraction dans mon travail comme un outil qui me permet de brouiller le rapport du sujet avec le nommable, de ne pas le rendre reconnaissable d’emblée, afin d’inciter un regard concentré sur le dessin. Alors, le sujet ne sera pas à lui seul ce qui sera regardé, mais également tout ce qui le compose ; sa texture, son traitement, ses nuances, son grain, sa couleur, la surface sur laquelle elle est, son rapport à l’espace, sa disposition. On pourra entrer en lui et se questionner sur lui. Un cycle débutera alors dans lequel on apprend à connaître les caractéristiques de la forme, on la résoudra, mais dès qu’on croit la comprendre, elle nous échappe à nouveau. Et c’est lorsqu’elle nous échappe qu’on arrive à mieux la saisir. Elle se distingue donc du reste de ce qui nous entoure et s’incarne réellement dans l’espace et dans notre pensée. Une interaction entre le dessin et nous débutera alors, circulant entre notre regard, notre expérience perceptuelle et notre compréhension de l’image. Cette interaction est rendue possible en raison du grand raffinement du dessin qui offre des qualités grâce auxquelles il est facile de s’y attarder. Le voir sert d’ancrage à la pensée et, à un moment donné, on peut aussi décrocher de la pensée pour revenir au voir.

Le sens de mes images n’est donc pas donné par leur rapport au langage ou à la représentation, mais par leur façon de faire apparaître l’innommable du dessin, sa présence fondamentale. Il y a certes une volonté de mettre le regardeur en contact avec sa propre relation avec la nature, mais également de l’inviter à se mettre seul, face à lui-même dans l’expérience de contemplation inscrite dans un temps lent rendue possible grâce à la complexité de l’image. Je souhaite lui faire connaître l’expérience du silence : « […] Hegel tout le premier ne concevait pas le symbole [ ou l’image ] autrement que donnant à penser, tout le premier il le voyait surtout comme un moment à dépasser, au fond il négligeait de le voir tout court, il voulait entendre la voix de son silence. »14 Cette expérience très intime, si je souhaite la partager avec le regardeur, c’est parce que j’en fais moi-même l’exercice pendant la création de l’image. Lorsque je plonge dans la transcription du sujet en dessin,

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entre le regard et la main, la sophistication du dessin me permet, dans son travail minutieux, de faire d’abord l’expérience presque méditative de cette présence, de ce temps d’arrêt, pour entrer en contact avec le dessin qui apparaît progressivement. Valéry, à nouveau cité par Labrusse, le formule ainsi : « […] « “regarder, c’est-à-dire oublier les noms des choses que l’on voit ”, c’est-à-dire dessiner ».15

15 Labrusse, op. cit., p.32.

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Chapitre 2 : La lithographie

2.1 Le traitement lithographique

Bien qu’une partie de mon travail s’apparente en théorie et dans le processus au dessin, mes images sont dessinées sur pierre afin de pouvoir ensuite les imprimer. Je fais de la lithographie. J’aborde le dessin sur pierre à la manière des premiers artistes qui ont travaillé en lithographie peu après son invention au 19e siècle par Aloys Senefelder tels que Eugène Delacroix, Odilon Redon et un peu plus tard, au 20e siècle, Maurits Cornelis Escher. À l’instar de ces artistes, je travaille le crayon gras de manière à révéler la texture du grain de la pierre et en exploitant la luminosité de l’image rendue possible grâce à l’empreinte lithographique ainsi que par la qualité lumineuse des encres d’impression de ce médium. Bien que les noirs obtenus en lithographie aient une présence lumineuse, ils sont aussi très denses. Cela a enchanté de nombreux artistes, dont Redon qui a délaissé le fusain pour la lithographie, car il n’arrivait pas à obtenir autrement des noirs de la profondeur qu’il souhaitait.16 La tension existant ainsi entre la profondeur des noirs qui sont à la fois lumineux et le transfert d’encre par empreinte sur le papier permet la réalisation d’œuvres à caractère presque fantomatique.

L’utilisation d’un médium comme le mien implique une connaissance rigoureuse du savoir-faire qui lui est associé. C’est dans la persévérance de son utilisation qu’il est possible d’acquérir le savoir-faire finement contrôlé nécessaire afin d’obtenir le résultat le plus près possible de ce que l’on souhaite comme rendu. Il y a dans cet apprentissage presque une communion avec le médium en question. Il s’installe une relation particulière entre lui et moi, car je deviens l’outil de la lithographie autant que la lithographie est mon outil. Je dois toujours maintenir une humilité dans son travail ; toutes les connaissances que j’acquiers, je les mets au service de mes images. J’évite alors de rester figée dans son application technique prévisible et parfois aussi imprévisible, autant dans la construction du dessin que dans la pratique de la lithographie, du traitement de la pierre à l’impression. « Il faut alors se

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présenter avec la plus grande humilité, tout blanc, tout pur, candide, le cerveau semblant vide, dans un état d’esprit analogue à celui du communiant approchant la Sainte Table. Il faut évidemment avoir tout son acquis derrière soi et avoir su garder la fraicheur de l’instinct. »17

17Labrusse, op. cit., p.31.

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2.2 Le basculement de l’image à motif

Une fois que le dessin est complété sur la surface de la pierre, il faut procéder à son acidulation et au montage. Ces étapes préparatoires à l’impression fixent l’image sur la pierre. Ce moment est vraiment singulier et agit comme pivot dans ma pratique. Dans les étapes préalables du choix du sujet et du dessin, je suis entièrement dans la contemplation du sujet et sa transcription en dessin dans un rendu le plus raffiné que possible. Ce sont ces étapes qui vont changer ma propre perception de l’image qui est nécessaire pour la bonne suite du processus. Lentement, le dessin que j’ai devant moi se transforme, il se contraste davantage en raison du processus d’acidulation et de montage. De plus, certaines actions en changent l’essence ; le crayon gras sera remplacé par de l’encre à monter. Avant de me lancer dans la production de tout un corpus, j’imprime la pierre une première fois afin de prendre conscience de ce qu’est devenue l’image ( figure 5 ). Tel que mentionné plus haut, l’image est alors plus contrastée. Elle est également composée d’une matière différente de celle dans laquelle je l’ai créée, c’est-à-dire que le crayon gras à base de cire qui a été remplacé par de l’encre à monter est à nouveau remplacé cette fois par de l’encre à imprimer. Ce changement de matière s’accompagne d’un changement de surface ; l’image est passée de la surface de la pierre sur laquelle je l’ai travaillée à celle du papier. Et finalement, l’utilisation de la matrice implique un retournement de l’image, ce qui était à gauche est maintenant à droite.

Tous ces changements subtils, mais indéniables me permettent de me détacher de la référence au dessin tel que je l’ai vu en l’accomplissant et du travail que j’y ai mis pour le considérer finalement comme un motif propice à l’impression d’épreuves qui peuvent varier de l’une à l’autre. C’est parce qu’il est réellement passé de dessin à matrice ( ou motif ) qu’il m’est possible de le traiter dans la multiplicité et dans un rapport plus vaste à la couleur. La matrice devient alors un outil dans la suite du processus.

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2.3 Les variantes

Il y a, selon Genette, deux phases distinctes à la production d’une œuvre en estampe. La première consiste en la création d’une matrice unique et la seconde en l’impression de la matrice qui permet la réalisation d’œuvres authentiques multiples.18 Dans mon rapport à la variante, je travaille la multiplicité d’œuvres uniques différentes présentant la même image. Tout en clarifiant la notion d’originalité dans le cas d’œuvres multiples, Genette ne reflète pas bien le processus créatif qui peut se poursuivre à l’étape de l’impression.

« […] le mot phase désignera ici une opération génétique plus spécifique : celle que détermine la production d’un objet à la fois préliminaire ( instrumental ), et donc non ultime, mais cependant définitif, et susceptible de produire à son tour, comme de lui-même et par le truchement d’une technique pour ainsi dire automatique, l’objet ultime d’immanence. Le produit de première phase n’est donc pas une simple esquisse, ni un simple brouillon, c’est un modèle assez élaboré pour guider, et même contraindre, la phase suivante, qui n’a plus qu’un rôle d’exécution, et qui de ce fait peut être déléguée ( elle ne l’est pas nécessairement ) à un simple praticien sans fonction créatrice. »19

Deux idées principales traversent cette citation. D’abord, il y a le fait que la matrice oriente et contraint le rapport à l’impression. Ce n’est pas le cas de tous les artistes estampiers qui parfois modifient la matrice pour produire différents « états ».20 Ce n’est toutefois pas une approche que j’expérimente. Au contraire, lorsque la matrice est fixée par les processus d’acidulation et de montage, je ne souhaite plus l’altérer. Un effort considérable est mis pour sa conservation la plus fidèle, car elle sert de base à toute une suite d’impressions que je souhaite égalitaires. Ensuite, Genette semble se désintéresser du processus d’impression et

18 Genette G. L’œuvre de l’art. Paris: Seuil; 1994, p.54. 19Ibid., p.54.

20Le Code d’éthique de l’estampe originale définit l’état comme : « [imprimé] en cours de

fabrication ou de transformation de la matrice. Dans la démarche traditionnelle, l’état est l’épreuve tirée alors que l’image n’est pas complétée. L’état sert alors à vérifier l’avancement ou l’évolution de l’image dans la matrice. […] L’état peut par ailleurs être considéré comme une étape dans un processus séquentiel où chaque stade de l’image est également important et peut constituer une œuvre autonome en soi ou une partie d’une suite d’états séquentiels. » Malenfant N, Ste-Marie R.

Code d’éthique de l’estampe originale - Code of ethics for the original printmaking. Montréal:

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considère son fonctionnement comme automatique et pouvant être simplement fait par un imprimeur. En effet, le tirage peut être fait d’impressions identiques et être effectué par un tiers, mais l’artiste peut faire le choix d’apporter des modifications en cours d’impression afin de créer des œuvres différentes les unes des autres que l’on identifie par le terme « variante ».21 La lithographie offre plusieurs manipulations sur la matrice qui ouvre alors un tout nouveau pan de la création. Lorsque j’imprime, je peux intervenir pour modifier la densité de l’image, la coloration de l’encre et la spatialité de l’image sur le papier.

La recherche que j’effectue pendant l’impression doit, comme tout autre, débuter par une hypothèse quelconque. Donc, avant même de commencer tout le processus d’impression, je décide d’une direction à prendre pour le projet. Je choisis la taille des premiers papiers, la disposition de l’image sur celui-ci (généralement centrée sur le papier), la palette chromatique de la suite d’impression et d’un ou deux types de superposition des images à explorer. Cette base préétablie me permet d’entrer dans la phase d’impression avec confiance. Je commence toujours par l’impression de l’image en noir sur un papier blanc afin de voir apparaître l’image dans sa forme originale. Elle sert ensuite de référence pour les suivantes.

Ensuite, j’imprime l’image en blanc sur un papier préalablement entièrement recouvert d’un aplat d’encre lithographique noire ( figure 6 ). Les aplats de couleurs représentent une phase de préparation importante puisqu’ils sont imprimés à partir d’une autre pierre uniformément recouverte d’encre noire ou de couleur et doivent sécher plusieurs semaines avant d’être utilisés. Il y a dans ces aplats lithographiques recouvrant la surface du papier une richesse dans la densité de la couleur. Cela transpose alors sur le papier le velouté du grain de la pierre qui fait écho à celui présent dans l’image qui sera par la suite imprimée sur cette surface. Ces deux matérialités similaires se juxtaposent, résolvant alors le lien entre la forme et le fond.

21 Toujours selon le Code d’éthique de l’estampe originale « Les variantes sont des épreuves imprimées à partir d’un élément d’impression achevé en vue d’explorer différentes modalités esthétiques d’une même image ou ensemble d’images. » Ibid., p.51.

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Cette impression en négatif révèle le potentiel énigmatique de l’image. Les tonalités de l’image s’inversent, mais différemment du négatif photographique. La matérialité de l’encre révèle une image où le noir est remplacé par le blanc qui a l’apparence du négatif mais que l’on perçoit toutefois comme un positif. Elle s’éloigne alors plus encore de la reproduction du sujet de référence et le rend fantomatique. L’encre blanche maintenant superposée sur la noire prend alors un reflet bleuté très spécifique au médium.

Figure 6

Je commence ensuite à travailler l’impression plus librement. À partir de cet instant, les décisions prises lors de l’impression sont le fruit de l’intuition et font naître des possibles non préalablement imaginés. Pour ce faire, je m’inspire alors de mes précédentes impressions, des variantes déjà expérimentées que j’apprécie dans une autre suite, du travail d’autres de mes contemporains lithographes et du matériel ( souvent des papiers colorés ) qui me reste

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de projets antérieurs. Entière dans l’action d’imprimer, j’explore différentes avenues d’impression de variantes dans un même instant. Je travaille donc simultanément sur plusieurs fronts imprimant à la fois l’image en différentes couleurs qui font office à elles seules de variantes et dans un même temps sur différents papiers avec un repérage adéquat me permettant subséquemment de les superposer sans effet de décalage.

Figure 7 Figure 8 Figure 9

Une première couleur est alors utilisée pour la réalisation d’un nouvel aplat lithographique. L’utilisation de ces papiers recouverts de couleur, qui est caractéristique de mon travail, est une méthode conceptuellement assez simple, quoique techniquement assez complexe, de créer des liens entre deux images. La même image imprimée en noir sur un papier blanc et avec le même noir sur un papier d’abord recouvert d’encre, bien qu’il s’agisse de la même image, offre des qualités singulières dans leur rapport au fond. Cela fait naître une tension subtile cependant nécessaire pour rendre la mise en espace de différentes impressions de la même image côte à côte révélatrice de cette recherche dans le processus d’impression lithographique ( figure 7 et 8 ).

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Figure 10 Figure 11 Figure 12

J’utilise ensuite une encre de couleur pour l’impression de l’image. Je garde une cohérence chromatique dans un même corpus. Cette couleur est donc fabriquée en accord avec celle utilisée pour les aplats lithographiques. En utilisant des techniques de repérage, je peux également superposer cette nouvelle impression colorée à celle préalablement réalisée en noir. Cela crée une troisième couleur et cette impression offre une densité de l’image bien différente des deux premières ( figure 12 ). Je peux aussi utiliser des caches lors de cette superposition afin de créer deux zones distinctes dans l’impression qui révèlent les phases de couleurs différentes de l’impression. Une zone présente alors la première couleur et l’autre, la superposition des deux ( figure 11 ). J’imprime également parfois sur des papiers de riz sur lesquels j’ai également imprimé un aplat coloré. Je les utilise ensuite pour en faire des chine-collés.22 Ces impressions exploitent donc elles aussi la superposition d’encres colorées ( figure 9 ).

22Le chine-collé consiste en un marouflage à l’impression d’un papier coloré ou portant lui-même une impression.

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J’explore aussi la spatialité de l’image sur la surface du papier en l’imprimant deux fois sur un même papier plus grand en créant des relations très simples de réflexion et de répétition entre elles. Le dessin prend alors réellement les caractéristiques du motif par sa cohabitation sur une même surface ( figure 13 et 14 ). J’emploie également comme support d’impression le papier Mylar ou le papier Yupo qui ont une propriété translucide. Ainsi, je peux imprimer sur un même papier l’image en noir et en blanc en utilisant parfois les 2 côtés du papier ( figure 15 ). Ces impressions nous apparaissent plus vaporeuses en raison du caractère presque insaisissable du papier.

Figure 13 Figure 14

Il est absolument nécessaire que je sois présente dans l’action d’imprimer pour être actrice de ces événements. Je dois laisser venir l’intuition de différents devenirs possibles. Je reste donc à l’écoute, réceptive aux potentialités non imaginées au commencement du processus. Cette présence a beaucoup de ressemblance avec celle que je vis lorsque je dessine ; ce

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transfert entre le regard qui lit le sujet et la main qui retranscrit. Mon corps est empreint des gestes de la routine de l’impression et les pratique sans relâche, mais je pose également des gestes qui changeront l’œuvre imprimée et en feront apparaître des nouvelles. L’utilisation de la variante en estampe est donc une façon d’explorer diverses stratégies d’impression qui vont faire voir différents caractères de l’image résultant de cette prise de décision.

Figure 15

Selon Strecker, le dessin est fait pour être vu de proche, il permet de s’attarder aux détails tandis que la couleur, elle, permet d’apprécier une image de loin.23 Ainsi, la variante, que j’utilise souvent pour les changements de couleur, permet la lecture en deux temps de mon

23Streker M. Du dessein au dessin : colloque organisé par les Instituts Saint-Luc de Bruxelles au

studio du Palais des beaux-arts de Bruxelles le 19 novembre 2004. Bruxelles: La lettre volée; 2007,

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travail. Le regardeur peut observer les différentes impressions d’une même image et discerner la relation de similitude et de différence entre les variantes prenant place dans l’espace. Tout comme il peut s’approcher pour s’investir plus spécifiquement dans l’appréciation du dessin. Ce rapport à la multiplicité dans la variante fait également écho au sujet choisi et à la production de plus d’une image du même sujet. La multiplicité s’inscrit alors à la fois par le choix de la présence de plus d’une image du même sujet dans l’espace et par la répétition des mêmes images. Matisse, lui aussi, faisait vivre ses images de végétaux dans un même espace, dans une perspective d’accumulation créant ainsi un rapport avec leur existence dans leur contexte réel.24

24Chassey, op. cit., p.72.

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Chapitre 3 : La mise en espace

3.1 L’image qui devient objet

Au terme du processus décrit précédemment, j’obtiens un corpus constitué de dessins imprimés sur papier. Ils possèdent une aura de fragilité et de préciosité en raison de la fragilité du support associée à la facture très raffinée du dessin ainsi qu’à la complexité de la production d’une œuvre lithographique. Pour sortir de la nature intimiste qui émane généralement de ce genre de travail, en dessin ou en estampe, j’ai cherché une autre possibilité à la présentation de l’œuvre insérée dans un cadre-boitier et accrochée au mur en explorant des moyens de créer une expérience de contemplation différente. Il m’est rapidement apparu qu’il serait intéressant de donner de la prestance à mes images en les intégrant à un espace tridimensionnel. Un contexte plus large permet d’insérer mes œuvres lithographiques dans une relation spatiale. J’insuffle ainsi à mes images une présence particulière, ce qui nous permet de mieux en ressentir la force d’évocation esthétique.

Déjà au baccalauréat, j’avais développé l’idée de la présentation de mon travail sur des socles dans une volonté d’intégrer mes œuvres dans un espace tridimensionnel. À ce moment, j’utilisais des socles de forme pleine sur lesquels je déposais mes estampes ( figure 16 ). C’est ensuite qu’Armelle François, directrice générale et artistique d’Engramme, centre de production en estampe et de diffusion en arts actuels, dans une conversation personnelle, m’a fait prendre conscience que j’avais alors commencé à réfléchir différemment à mon travail à chaque étape de mon processus, lorsque je dessine sur la pierre, que je l’imprime ou que je cherche à le présenter dans un espace. Selon elle, cela transparaissait dans la présentation finale de mon corpus.25 Le souci accordé au dessin attire le regard sur l’image. Le dessin propose une vision intimiste qui mise sur l’investissement du regard dans le raffinement du travail. La présentation des différentes variantes issues de la même matrice offre pour sa part

25 François A (directrice générale et artistique d’Engramme, centre de production en estampe et de diffusion en arts actuels). Communication personnelle, septembre 2016.

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un aperçu de la recherche qui s’effectue lors de l’impression des images. La mise en interrelation des œuvres se côtoyant dans l’espace offre une approche différente qui prend en compte des réflexions sur les liens de connivence ou de différence qui existent entre les images, sur la structuration de l’espace par les socles, leur rythmique, sur la circulation dans le lieu entre les œuvres révélant le jeu d’interrelation entre celles-ci. Le dialogue entre les œuvres prend alors de l’importance grâce à la mise en scène installative.

Figure 16

De nouveaux types de socles ont été conçu pour l’exposition à la galerie d’Engramme. Ceux-ci ont été conceptualisés en sachant qu’il y en aurait plusieurs dans un même espace, chacun présentant une œuvre imprimée. Ils sont semblables, construits selon le même modèle. Ils ont une fonction uniformisante, car la non-hiérarchie entre mes images m’est essentielle. D’autant plus que puisqu’elles sont issues des mêmes matrices, il est difficile d’en rendre une plus importante ou signifiante que l’autre. J’ai exploré la présentation de mes corpus sur des socles placés au sol dans l’espace central pour générer un nouveau contexte de lecture d’une œuvre papier. Elles sont ainsi vues de haut. Il existe 2 dimensions de socles différentes pour

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les 2 tailles de papier que j’utilise. Ils sont seulement un peu plus grands de manière à accueillir la frange du papier. Les plus petits sont un peu plus hauts que les grands. Ainsi, chacun offre une distance du regard à l’œuvre semblable à celle que nous avons lorsqu’on regarde l’œuvre au mur. Plus elle est grande, plus nous la regardons de loin. Mais de les disposer afin que les œuvres soient presqu’à l’horizontale implique que les gens s’approchent et se penchent pour regarder le travail du dessin ce qui n’est pas un mouvement traditionnel pour regarder une œuvre. Le regardeur imite alors la relation que j’ai moi-même avec l’image à la fois pendant le moment du dessin, puisqu’il s’agit de la même distance pour lui du regard à l’œuvre que celui que j’ai entre l’œil et la main qui dessine, celle que j’ai lorsque j’imprime la pierre sur la presse ainsi que celle que j’ai lorsque j’enlève le papier après l’impression et que je le dépose sur une table pour le regarder et le faire sécher. C’est une expérience très intime de mon rapport à l’œuvre qui est alors transféré dans la présentation. Il y a également une incitation à poursuivre ce contact intime à l’image en répétant l’expérience d’un dessin à l’autre.

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La partie supérieure de ces socles est un prisme droit dont la base est un trapèze rectangle de bois peint et il repose sur des pattes en acier. L’impression est déposée sur le caisson qui est, comme mentionné plus haut, à peine plus grand que l’œuvre afin de contenir la frange du papier. Sa taille semblable à celle de l’impression lui permet de faire corps avec elle et de faire prendre une dimension tridimensionnelle à l’œuvre. Elle semble ainsi ne plus être seulement une empreinte sur le papier, mais elle prend alors toute l’ampleur du socle lui-même ; l’image devient objet. L’utilisation de la tige d’acier, elle, permet à la fois d’alléger la structure dans son rapport à l’image et dans l’espace d’une galerie. Elle ajoute également une complexité à la structure sans pour autant en perdre sa simplicité. D’un point de vue pratique, je me suis aussi investie dans l’idée de produire des socles à multiples fonctions de manière à pouvoir les utiliser subséquemment. Ils sont démontables, leurs dimensions sont celles papiers que j’utilise fréquemment, ils peuvent être placés sur le sol et le caisson peut également se poser au mur. Leur caractère modulable leur permet alors de s’adapter à divers espaces de diffusion, de les structurer et d’y définir différents parcours.

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3.2 Le regroupement des images

Dans l’espace d’exposition, je place les différentes images déposées sur leur dispositif de présentation similaire. Je les agence entre elles suivant un rythme et une symétrie qui soutient aussi leur équité. J’y présente toutes les variantes ou une sélection de celles-ci que j’ai produites à partir des mêmes 1 ou 2 matrices. Que l’image soit grande ou plus petite ne réfère en rien à son importance. Cela fait écho à une réflexion que René Derouin, artiste en arts visuels, avait aussi partagée avec moi lors de notre rencontre. Il avait souligné l’absence d’effet de perspective dans sa murale Le Jardin qui s’envole réalisée pour l’École primaire de St-Eustache. Pour lui, les différents éléments de grosseurs variées ne réfèrent ni à leur importance ni à la perspective. Ils jouent plutôt sur la couleur pour donner un effet de la distance de chaque partie dans l’image.26

Dans cette disposition, les variantes entrent donc en relation les unes avec les autres. Lorsque deux images sont côte à côte, un rapport singulier les unit. Chacune peut être regardée seulement pour elle-même, mais elles deviennent rapidement un comparatif pour celles qui leur sont juxtaposées. Elles entrent alors en interrelation, en dialogue, dans lequel les autres images peuvent s’insérer également au fil de la déambulation dans l’installation. Puisque je réalise des groupes de 2 images ou plus, et qu’il y a plusieurs de ces groupes dans un même espace, il existe de nombreuses relations ou de combinaisons de lecture possibles. Il est évident que d’emblée, on regarde les images adjacentes, mais on peut aussi rassembler conceptuellement celles qui sont dos-à-dos ou même celles qui sont frontales de deux groupes distincts. Ainsi, il y a la possibilité de mettre les images en correspondance différemment selon notre point de vue ou notre position dans l’installation. Selon le parcours emprunté pour déambuler dans l’installation, cela changera également les correspondances entre les images.

26Derouin, op. cit.

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Notre regard passant d’un dessin à l’autre, on peut comprendre qu’il s’agit de la même forme présentée sous différents angles et échelles. Malgré un traitement similaire, mais grâce à l’ambiguïté de l’image, elles se rapprochent et s’éloignent continuellement gardant cette tension toujours existante.

La multiplicité des images autant que la complexité de l’image elle-même permettent d’allonger le temps de contemplation du corpus réalisé. Je soutiens l’ambiguïté dans mon travail pour entraîner une attention soutenue sur le dessin et ses variations. Je transmets de cette façon ma propre expérience de contemplation et d’appréciation minutieuse du sujet lors du dessin, de tout le temps que j’ai passé à observer avec précision sa forme, sa texture, la façon dont la lumière tombe sur lui. Je donne finalement à l’autre mon sujet à découvrir.

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Chapitre 4 : Balanomorpha : du terrain au dessin

Figure 18

L’exposition qui a fait état de cette recherche a eu lieu du 7 septembre au 14 octobre 2018 dans la galerie d’Engramme, à Québec. Elle avait pour titre Balanomorpha : du terrain au dessin. Ce titre en 2 parties faisait référence aux deux éléments importants dans ma recherche, c’est-à-dire l’objet représenté ainsi que le processus de création conceptualisé et décrit tout au long de ce mémoire, c’est-à-dire du choix de l’objet à sa mise en espace en passant par sa traduction dans le langage du dessin et du travail d’impression de variantes en lithographie. L’objet que j’ai choisi de représenter pour ce projet est une balane ( balanomorpha est la traduction latine ). Il s’agit d’un type de coquillage qui s’accroche à des parois ( roches, quais, bateaux ) et dans lequel vivent des crustacés. À l’instar de tous mes projets, celui-ci a débuté par la trouvaille de ce petit objet naturel qui reposait dans l’atelier d’une amie. Je l’ai ensuite observé longuement et j’ai choisi deux angles différents ( figure 19 et 20 ) offrant chacun une vision singulière de l’objet, mettant en évidence les rapports de proportions des trois parties de la balane. Ces trois parties sont en réalité de mêmes dimensions, toutefois, par le choix de

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l’angle de vue, pour le dessin de grande dimension, j’ai pu mettre l’accent sur une de ses parties en inhibant les deux autres. Le second dessin, plus petit, présente pour sa part les trois parties de l’objet. Le changement d’échelle de l’objet lors de sa représentation en dessin dévoile également l’effritement de son contour et la richesse de la texture de sa surface poreuse.

Figure 19 Figure 20

Le choix de présenter pour cette exposition seulement les images issues de la balane s’est fait naturellement. J’ai proposé d’investir l’espace d’exposition d’Engramme avec un seul projet pour garder une forte cohésion entre les différentes impressions et le projet en soi dans cet endroit de dimension modeste. De présenter un corpus constitué de seulement 2 images imprimées en plusieurs variantes met de l’avant le principe de base de l’estampe, la multiplicité. De plus, je travaille un corpus à la fois constitué d’un seul objet dans lequel je développe un aspect spécifique au niveau de la pluralité des images, la production de

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variantes et la mise en espace. Je réfléchis constamment à la pertinence de chaque élément imprimé en relation avec la totalité du corpus afin que chacune des parties soit cohérente avec l’ensemble. C’est cette cohérence que j’ai souhaité souligner dans cette exposition.

Figure 21

Pour cette production, j’ai choisi d’explorer davantage l’impression de mes images sur les aplats réalisés par procédé d’impression lithographique. J’avais ainsi dans l’espace de la galerie 11 lithographies. J’avais d’abord chacune des deux images imprimées en noir sur un papier blanc. Les autres étaient imprimées en noir ou en blanc et se superposaient à un fond de couleur uniforme. Ces aplats se déclinaient en tons de gris colorés. Il y en avait un noir, un gris neutre, un gris bleuté et un verdâtre. Une seule de ces impressions était en noir et en blanc sur un papier Mylar translucide. Même s’il s’agit des mêmes matrices, chacune des impressions offre un rendu fort différent incitant alors à poser un regard attentif sur chacune d’elles pour en déceler les caractéristiques particulières.

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Les images en noir sur papier blanc ont un rendu presque photographique. Le souci du détail dans le dessin associé au grain de la pierre lithographique rappellent le grain de la photographie argentique. Les matrices imprimées en blanc sur un papier recouvert d’encre noire évoquent à leur tour une image négative, sans pour autant en être une puisqu’il s’agit de la même image positive, mais imprimée en blanc. Tout le dessin est comme inversé dans ses tonalités, le noir devenant du blanc. Dans la présentation de cette exposition, j’avais fait se côtoyer l’impression en noir sur fond bleuté et l’impression en noir sur encre gris-vert. Cette juxtaposition mettait l’accent sur la fine différence entre les gris, la profondeur de la couleur ainsi que l’impact de cette différence de couleur de fond sur une impression qui est, elle, de même couleur. Chacune de mes lithographies pouvait alors se lire dans son unicité autant qu’en offrant un support pour la lecture de la suivante ou au contraire, une mesure de sa différence.

Toutes les œuvres imprimées étaient disposées dans l’espace sur des socles fabriqués sur mesure pour chacune d’elles. J’ai longuement réfléchi à ces dispositifs composés de tiges d’acier surmontés d’une base trapézoïdale afin d’obtenir un système de présentation singulier pour mon travail, qui le servirait, qui lui donnerait de l’ampleur, tout en gardant une certaine légèreté dans la présentation et qui garderait l’aspect aérien de la galerie vitrée d’Engramme. Les lignes créées par les tiges d’acier répondaient à celles des fenêtres de la galerie. La combinaison de ces lignes ainsi que les masses blanches de la base des socles qui répondaient aux murs blancs intégraient les œuvres à l’espace architectural de la galerie et soulignaient la précision de la mise en espace. Les socles étaient disposés en 3 groupes. Le premier était composé de 2 impressions sur leur socle, côte-à-côte. Le second groupement était au centre de la galerie et comprenait 6 estampes. Il se présentait en 2 rangées de 3 socles disposés symétriquement. Le dernier groupement, à la pointe de la galerie, comprenait 3 lithographiques elles-aussi placées côte-à-côte. Leur disposition dans l’espace réorganisait notre perception de la galerie y créant alors différents circuits de déambulation. Selon notre position dans l’installation, les rapprochements faits entre les différentes lithographies changeaient. Le regardeur pouvait alors changer de perspective et faire de nouveaux liens de rapprochement entre les œuvres.

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En raison des grandes fenêtres de la galerie d’Engramme, la température extérieure et la luminosité naturelle avaient une incidence sur la présentation. En effet, lors des journées ensoleillées, la luminosité et la richesse des couleurs des aplats d’encre étaient grandement mises en valeur alors que lors des journées grises, les différences entre les couleurs, surtout le vert et le bleu, s’amenuisaient jusqu’à ce qu’elles semblent presque similaires. Le phénomène était pourtant différent lorsque la nuit tombait ( figure 22 ). La lumière artificielle éclairait les œuvres sans modifier la perception de la couleur. La noirceur de l’extérieur refermait l’installation sur elle-même et contrastait avec sa blancheur. Puisque l’exposition a eu lieu au début de l’automne, elle a également été influencée par les couleurs changeantes des arbres à l’extérieur qui sont passés du vert à l’orange au presque dégarnis. Toutes les variations extérieures sont venues enrichir dans le temps la relation de l’exposition à son contexte autant intérieur qu’extérieur en imitant les fines variations existant d’une impression à l’autre.

Références

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