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CHAPITRE III : LA PENSEE SPECULATIVE

PARTIE 3 : DEVENIR ET SCIENCE DANS LA LOGIQUE DE HEGEL

3.2. L’Idée

Tout premier lecteur de Hegel se trouve un peu déconcerté, comme le souligne Ezoua Thierry. En avançant dans la lecture de La Logique de Hegel, le profane a

l’impression que la genèse effective des choses et du monde se distingue de la

« genèse idéale » supposé par Hegel. Un profane pensera que « le système spéculatif hégélien renverse l’ordre des choses ».Un tel raisonnement est loin du compte. Hegel sachant le spectacle d’inversion auquel son système conduit souligne que pour l’accepter « il fallait tenter, une bonne fois, de « marcher sur la tête » ».

Lors de l’ouverture de ses cours de Berlin en octobre 1818, Hegel affirme que : « l’homme doit s’honorer lui-même et s’estimer digne de ce qu’il y’a de plus élevé. De la grandeur et de la puissance de l’esprit, il ne peut avoir une trop grande opinion. L’essence fermée de l’univers n’a en elle-même aucune force qui pourrait résister au courage du connaitre ; elle doit nécessairement s’ouvrir devant lui et mettre sous ses yeux ainsi qu’offrir à sa jouissance sa richesse et sa profondeur ».

De cette pensée de Hegel, Dibi Augustin en retiendra le terme « profondeur » dont il dira qu’en sa « évocation », elle nous conduit à « l’Idée comme fond abyssale du réel ».

Nous tenterons donc de cerner la place du concept d’ « Idée » dans la spéculation hégélienne. Dans un élan sérieux, nous nous y consacrerons avec calme et recueillement. Avant d’aborder la question d’Idée pour elle-même chez Hegel, il convient de chercher à comprendre le sens et la portée de la pensée spéculative chez Hegel. Selon Jacques D’Hondt « Hegel maintient constamment le caractère spéculatif de sa philosophie. Mais il donne du spéculatif et de la spéculation diverses caractéristiques et diverses définitions qui, dans son optique, se rejoignent, ou même se confondent, alors que pour d’autres que lui elles présentent des différences significatives » (1982, p.81).

Essayons donc de voir ce qui est communément appelé spéculation. De façon générale, la spéculation se ramène à une pensée théorique qui se distingue de « la pratique et même de la pensée spécifique pratique. Le mot s’applique alors à toute science et à toute philosophie ».Dans cette généralité, l’expression

vaut peu. Avec Hegel, il faut distinguer le penser spéculatif (Das denken) de ce qu’il qualifie de Nachdenken. Le Nachdenken s’exprime comme une opération réflexive grâce à laquelle un sujet « se saisit après coup de la vérité des choses en revenant sur ses propres actes, admettant par là leur extériorité et leur indépendance à son égard ; la pensée réfléchissante est une re-penser, une pensée d’après » (François Kerkevan, 2012, p.200).Ce type de pensée est l’apanage du pensée empirique.

Cependant, elle présuppose la pensée spéculative. La pensée spéculative quant à elle dissout les oppositions dualistes de la métaphysique de l’entendement : « en mettant à jour la dynamique qui les porte et les « sursurme » ».

Nous découvrons avec Hegel à travers la pensée spéculative : « une philosophie particulière » qui se « développe sans se soumettre à aucune condition qui lui soit extérieure, donc à aucune condition matérielle ou pratique » (J.D’Hondt, 1982, p.82).D’où la thèse de l’autonomie absolue de la pensée. La pensée spéculative avec Hegel nous conduit à concevoir une dépendance de l’extériorité dans l’intériorité. Avec Hegel « la spéculation s’affirme davantage lorsqu’elle réussit à montrer dans la pensée individuelle un mode de la pensée absolue, avec laquelle celle-ci peut parvenir à s’égaler et à se confondre en s’universalisant.

La substance est sujet, mais au sens ou le sujet est saisi d’emblée comme spirituel : le principe de la spéculation, c’est l’identité du sujet et de l’objet » (Ibid).Une telle identité du sujet et de l’objet n’est possible que dans un concept supérieur que Hegel appelle « Idée ». Hegel dira que « la philosophie spéculative c’est la conscience de l’Idée, et une conscience telle que tout se trouve compris comme Idée ».Dans

« l’Idée », chaque détermination résulte d’une différenciation intrinsèque, d’une négation du « Tout ».En l’absolu, les êtres se meuvent et disparaissent. À partir d’une lecture approfondie de la Science de la logique de Hegel, la philosophie spéculative nous conduit à « dériver du concept ou de l’Idée, rationnellement et dialectiquement, toutes les déterminations de pensée, les catégories, les concepts spécifiques, et aussi toute réalité » (J.D’Hondt, 1982, p.84).

La logique hégélienne nous dit François Kerkevan est une « en son entrer, une logique du concept, et par conséquent de l’Idée ».La spéculation nous conduit à saisir le concept comme libre pensée de l’Etre lui-même. Dans La Logique de Hegel, le concept exprime « le sujet d’un procès sans sujet ».A travers le procès logique, le concept se présente d’abord comme « concept étant » ou « concept en soi » pour s’affirmer dans son effectivité comme

« concept » ou « concept pour soi ». L’Idée dans le procès du concept, exprime de façon immédiate, « la logique du concept comme être » pour s’élever dans « une logique du concept comme concept ».

Pour résumer la portée spéculative du concept d’Idée chez Hegel, écoutons cette pensée de François Kerkevan (2012, p.213) : « les déterminations de l’être et de l’essence, ainsi que les structures processuelles qui les engendrent(le passer et le paraitre), doivent être comprises comme des « explications » partielles du concept. En soi, donc, toute la logique est une logique du concept, et les diverses déterminations qu’elle produit sont une exposition de celui-ci « à partir du dehors ».Mais ceci n’est vrai qu’en soi ou dans le vocabulaire de La phénoménologie de l’esprit, que « pour soi », aussi longtemps que cela n’a pas été explicitement établi par une relecture du procès logique de l’Idée(…)Ce qui signifie que la logique se présuppose nécessairement elle-même : comme système, elle présuppose son procès ; comme procès, elle ne fait sens que du point de vue de la totalité systématique, du point de vue de l’Idée ».

Saisir donc l’Idée, c’est l’appréhender comme « processus » et comme un état (et surtout pas un état mental), qui concilie objectivité et subjectivité, être et concept. L’Idée caractérise cette force de la totalité qui engendre et abolit par soi-même les oppositions, qui surgissent dans le procès logique. L’Idée selon Hegel conduit à « un rempart contre le dualisme, non pas simplement parce qu’elle récuse les dualités que l’entendement considèrent comme ultimes, mais parce qu’elle est la règle immanente de constitution et de construction de celle-ci » (Ibid).Dans l’Encyclopédie, Hegel affirme que « c’est seulement le Tout de la science qui est l’exposition de l’Idée ».Que devons-nous retenir de cette pensée de Hegel ?