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L'idée contestée d'un fait justificatif autonome

Une portée incertaine

A. L'idée contestée d'un fait justificatif autonome

L'idée d'un fait justificatif autonome tenant à l'expression sur un sujet d'intérêt général, envisagée à l'origine, a depuis été battue en brèche par la chambre criminelle, s'agissant de l'infraction de diffamation. Elle présentait néanmoins un certain attrait, d'autant que la Cour de cassation l'a elle-même adoptée dans sa jurisprudence civile.

La première référence au débat d'intérêt général se retrouve effectivement dans un arrêt du 24 octobre 2006255, par lequel la première chambre civile érigea la notion en fait justificatif

d'une atteinte à la vie privée.

Elle énonça à cette occasion que « l'appartenance à la franc-maçonnerie suppose un engagement, de sorte que la révélation litigieuse [...] était justifiée par l'information du public sur un débat d'intérêt général ». A défaut d'existence d'un fait justificatif de bonne foi en matière d'atteinte à la vie privée, c'est bien d'un fait justificatif distinct dont il était ici question.

254 Voir en particulier : CEDH, Lindon, Otchakovsky-Laurens c/ France, 22 octobre 2007, §55

255 Cass. 1re civ., 24 oct. 2006, n°04-16.706 : (D.2007, p.2771, L. MARINO ; Légipresse 2007, III, p.89, A.

LEPAGE ; Gaz. Pal., 6 oct. 2007, p.51, P. GUERDER) : il s'agissait en l'espèce d'un article de presse révélant l'appartenance d'un élu à la franc-maçonnerie.

Plus tôt encore, la deuxième chambre civile avait fait prévaloir le « libre choix des illustrations d'un débat général de phénomène de société » sur le droit à l'image consacré à l'article 9 du Code civil, et ce « sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine »256.

La solution est sans doute moins évidente s'agissant de la diffamation. Si là encore le critère de l'intérêt général du sujet s'est propagé à la jurisprudence civile, en particulier depuis un arrêt du 3 février 2011257, il semble que la première chambre civile ait elle aussi

cédé à la tentation d'une fusion avec le fait justificatif de bonne foi.

Etait en cause dans cet arrêt la diffusion d'un documentaire sur Canal +, consacré à la société Clearstream Banking. Le reportage faisait notamment état de suspicions de blanchiment, de sorte que la société s'estimait diffamée et réclamait des dommages et intérêts. L'essentiel du travail des juges du fond avait porté sur la question de l'admission des auteurs des propos litigieux au bénéfice de la bonne foi, cette dernière ayant été finalement écartée au motif que les auteurs du reportage se seraient livrés à des « interprétations hasardeuses »258. La Cour d'appel avait par ailleurs constaté le but

légitime poursuivi par les prévenus, et l'absence d'animosité personnelle, de sorte que le point d'achoppement devait être le critère du sérieux de l'enquête, voire celui de la mesure dans l'expression.

Au visa de la combinaison des articles 10 de la Convention EDH et 29 de la loi du 29 juillet 1881, la première chambre civile cassa l'arrêt d'appel ayant octroyé à la société

Cleartstream des dommages et intérêts, au motif que « l'intérêt général du sujet traité et le

sérieux constaté de l'enquête, conduite par un journaliste d'investigation, autorisaient les propos et les imputations litigieux ».

Même si elle n'associe pas expressément intérêt général du sujet et bonne foi, la référence au « sérieux constaté de l'enquête », l'un des critères classiques de la bonne foi, semble sous-entendre un tel lien.

Toujours est-il que la jurisprudence civile est davantage encline à reconnaître le débat d'intérêt général comme une cause d'exonération de responsabilité.

Difficile pour autant de conclure à l’avènement, en matière pénale, d'un fait justificatif spécial d'information du public sur des sujets d'intérêt général259. Certains auteurs

256 Cass. 2ème civ., 4 nov. 2004, n° 03-15.397

257 Cass. 1re civ., 3 fév. 2011, n°09-10.301, Bull. I, n°301: CCE mai 2011, comm. 46, A. LEPAGE 258 CA Paris, 16 oct. 2008

259 Le terme est plus facilement employé en matière de responsabilité civile. Voir notamment : B. BEIGNER,

considèrent que la Cour de cassation s'est d'ores et déjà affranchie du fait justificatif de bonne foi, pour se placer « sur le terrain du contrôle de conventionnalité »260 ; d'autres

parlent plus volontiers d'un simple infléchissement dans la mise en œuvre des critères traditionnels, au profit d'une démarche davantage empreinte de « proportionnalité »261.

La première de ces approches consisterait à écarter le texte d'incrimination, en l’occurrence celui de la diffamation, au motif qu'il ne respecterait pas en l'espèce la Convention. Le débat d'intérêt général ne jouerait donc pas en tant que fait justificatif, mais ferait alors obstacle à la constitution même de l'infraction, faute d'élément légal. Pour autant, les arrêts rendus en matière de diffamation semblent indiquer le contraire, la Cour se situant bien au stade de la justification de l'infraction, et de l'appréciation de la bonne foi.

Selon la seconde approche en revanche, le débat d'intérêt général serait lié au fait justificatif de bonne foi de manière irrévocable, et ne pourrait dès lors être étendu à d'autres infractions. Pourtant, à y regarder de plus près, « la bonne foi et le sujet d'intérêt général paraissent plutôt destinés non pas à s'articuler entre eux – par absorption du second par la première [...] – mais à coexister sur des plans différents »262.

Une explication intermédiaire permettrait de résoudre ces difficultés. Elle consiste à considérer que le débat d'intérêt général, émanation de l'article 10 de la Convention, autorise parfois à ne pas respecter les obligations législatives.

B. L'idée séduisante d'un rattachement au fait justificatif d'autorisation