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L’IDÉAL DE LA RETRAITE PARTAGÉE

Dans le document SE RETIRER DU MONDE (Page 60-70)

DU DÉSERT D’ALCESTE AUX DÉLICES DE LA RETRAITE PARTAGÉE. À PROPOS DE QUELQUES DÉNOUEMENTS DE PH. N. DESTOUCHES

La comédie classique est peu encline à se retirer loin du monde et du bruit250. Les jeunes premiers sympathiques qui y triomphent quasi invariablement de leurs vieux barbons y incarnent, bien plus que le droit imprescriptible du cœur, certaine normalité très accordée au cours ordinaire du monde, que les projets à la fois farfelus et tyranniques de leurs gêneurs tendraient pour leur part à perturber. Les tête-à-tête amoureux restent rares ; si nous avons droit à l’occasion à quelques couplets précieux ou galants, ces jeunes se félicitent surtout d’avoir rencontré un partenaire raisonnablement assorti avec qui partager les amusements honnêtes qui conviennent à leur âge et dont des parents tyranniques voudraient indûment les priver. Les mariages qu’ils ambitionnent paraissent du coup moins sentimentaux que foncièrement mondains ; le principal défaut des partenaires grotesques que les pères cherchent quelquefois à imposer à leurs filles serait précisément de les couper de tout un bruissement coutumier du monde, qui est ici la basse continue du bonheur.

Les dénouements heureux permettent au contraire de rejoindre ce monde. Personne ne rêve, chez Molière et les siens, de s’en retirer. Alceste fournit ici encore, dans toutes les acceptions, la très classique exception qui confirme la règle. Lui parle dès la première scène « de rompre en visière à tout le genre humain » (v. 95)251 et choisit effectivement, dans la dernière, d’aller passer sa vie « dans [s]on désert » (v. 1763). Sa retraite - dans une comédie, qui, pour une fois, se termine mal - est une débâcle absolue252. Il tente un moment d’entraîner Célimène dans ce désert et lui donne ainsi l’occasion d’un cri du cœur, qui énonce un axiome du genre : « la solitude effraie une âme de vingt ans » (v. 1774). Tous les jeunes premiers de la comédie classique auraient pu en dire autant, à supposer bien sûr qu’ils auraient ressenti le besoin de proférer à haute voix un truisme si évident…

La présente étude voudrait gloser au sujet de quelques dénouements de Philippe Néricault Destouches (1680-1754)253, qui accusent, dans le second quart du 18e siècle, certaine érosion de cet axiome. Érosion discrète, qui ne dépasse guère les demi-mots ; tels quels, il m’a paru valoir

250 Voir, bien sûr, Bernard Beugnot, Le discours de la retraite au XVIIe siècle. Loin du monde et du bruit, Paris, PUF, 1996.

251 Les références au Misanthrope renvoient au texte fourni dans Molière, Œuvres complètes, éd. Georges Forestier, Paris, Gallimard, t. I, 2010.

252 On se souvient que le dernier mot de la pièce revient à Philinte, qui se promet alors d’ « employer toute chose / pour rompre le dessein qu’[Alceste] se propose » (v. 1807-1808). Même si on voit mal quels moyens il pourra bien ‘employer’, il semble à peu près inimaginable qu’Alceste s’obstinera pour de bon à sa terrible sécession.

253 Références sauf indication contraire, aux Œuvres dramatiques de Néricault Destouches, Paris, Imprimerie royale, 1757, 4 vol. Quand plusieurs citations consécutives renvoient à la même pièce, le tome n’est indiqué qu’à la première.

la peine de les soupeser de près parce qu’ils attestent comment, deux ou trois décennies avant le réquisitoire incomparablement plus virulent de la Lettre à d’Alembert, Alceste commence déjà secrètement à avoir raison contre le monde.

Les premières pièces de Destouches s’alignent encore sur des coordonnées traditionnelles. Sa première comédie, Le Curieux impertinent (1710), rejoint à sa façon l’axiome de Célimène quand une suivante demande à sa jeune maîtresse si son promis ne les obligera pas à quitter Paris :

Quand Léandre sera devenu votre époux, Nous emmènera-t-il en province ? Entre nous, J’aimerais beaucoup moins demeurer toujours fille Que de quitter Paris… (t. 1, p. 13)

Il se trouve en l’occurrence qu’il n’y a pas à s’inquiéter. La maîtresse répond que Léandre vient de s’acheter une charge de conseiller au Parlement et qu’il compte donc bien habiter la Ville. Celle-ci reste de toute évidence le biotope naturel de la comédie, le seul endroit où il vaille la peine de vivre et qu’on ne quitte donc qu’à son corps défendant. Tout au long de sa carrière, Destouches notera presque invariablement, au bas de ses listes de personnages, que « la scène est à Paris » ; il y a là une manière d’évidence élémentaire, qui finira sans doute par s’accompagner de certaine réticence devant cette ‘scène’ quasi obligatoire, mais dont le premier Destouches se montre encore uniment enchanté.

Il se conforme de même aux traditions du genre quand ses jeunes filles se refusent au couvent. L’axiome de Célimène est une vérité de comédie, qui n’empêchait aucunement que de nombreuses ‘âmes de vingt ans’ de la vie réelle acceptent ou choisissent d’entrer au couvent ; la comédie préfère y voir une terrible extrémité, qu’on peut tout au plus agréer comme un moindre mal quand il s’agit d’échapper à tel prétendant incongru254

. Dans Le Médisant (1715), Lisette dit vertement que sa maîtresse, que son Baron de père prétend y envoyer,

… N’est point faite

Pour l’éternel ennui d’une austère retraite, Et qu’elle incline fort à la société. (t. 1, p. 412)

Le père aurait donc tort de s’obstiner à un projet si évidemment promis à échouer :

Il ne lui manquera que la vocation Et que la volonté ; sans cela vous jure

Que la chose serait fort aisée à conclure. (p. 411)

Cette réduction à l’absurde écarte un dessein que bien des pères de l’Ancien Régime poursuivaient sans états d’âme et, souvent, sans se heurter à trop de révoltes255

; la comédie a sa morale à elle, qui est de parti pris plus joyeuse et plus libertaire que la pratique réelle ambiante. Ce qui, bien sûr, n’a rien d’étonnant : on savait que les genres littéraires classiques instaurent leurs univers et leurs axiomatiques propres et que la comédie, après tout, n’avait pas à être plus ‘réaliste’ que la pastorale ou la tragédie. Il serait de même assez oiseux de prétendre reconnaître dans ces brocards une visée proprement subversive ; ils nous ramènent plutôt dans un monde où les couvents restent une réalité si familière et si omniprésente qu’on pouvait en plaisanter sans penser longuement à mal. La suivante de L’Obstacle imprévu (1717), qui s’exprime cette fois en

254 Voir par ex. L’ingrat, t. 1, p. 227-228.

255 Cette évidence transparaît un instant quand le Baron, aux premiers doutes de Lisette sur la docilité de sa fille, la « trouve [d’abord] admirable » (c’est-à-dire, rappelons-le, presque extravagante) et s’étonne naïvement que sa « fille n’irait point au couvent pour lui plaire! » (t. 1, p. 411 ; le point d’exclamation est bien dans le texte).

prose, retrouve même un lexique très familier pour détourner sa maîtresse d’un coup de tête désespéré :

Vous allez faire une folie : dans la retraite que vous venez de choisir, vous porterez sûrement le cœur d’une fille ; dans ce cœur, il y aura toujours un levain d’inconstance et de légèreté ; ce levain corrompra bientôt vos résolutions, il y fera naître l’ennui de la solitude, le regret d’avoir quitté le monde, et le désir violent de le revoir. (t. 1, p. 744)

L’inconstance et la légèreté relèvent d’une rhétorique misogyne qui conviendrait mieux à la chaire qu’à la scène comique ; elle affleure ici à la faveur d’un contexte assez particulier, où la suivante, devant un mariage désiré qui semble pour de bon impossible, invite pour une fois sa maîtresse à se pourvoir plutôt ailleurs :

Après tout, un homme est-il d’un si grand prix qu’il faille renoncer à tout quand on le perd ! Mort de ma vie, c’est tout ce vous pourriez faire si toute l’espèce avait manqué. (ibid.)

Après quoi la suivante invoque l’exemple de « nos jeunes veuves » qui, malgré leurs deuils bruyants, ne sont jamais assez sottes pour « se cloîtrer, s’enterrer toutes vives » (p. 745) ; nous restons bien, et à part entière, dans l’univers de la comédie, qui aura seulement emprunté, au passage et sans s’y attarder, le lexique de la piété. L’aisance de l’emprunt indique surtout que la comédie est au fond assez solidaire des morales qui ont cours dans la vie réelle, qu’elle suspend beaucoup plus qu’elle ne les conteste256. Et que la liberté exceptionnelle qu’elle aménage à ses protagonistes doit apparemment leur inspirer surtout le désir violent de rester dans le monde ou, à défaut, d’y retourner au plus vite.

Après L’Obstacle imprévu, Destouches abandonne la scène pour tenter sa chance du côté de la diplomatie257 ; il revient au théâtre en 1727 avec Le Philosophe marié, qui restera son plus grand succès. Les pièces qui suivront diffèrent de sa première série dans la mesure où elles font une place assez large à des scènes émouvantes. Elles préparent ainsi les voies de Nivelle de la

Chaussée, dont la ‘comédie larmoyante’ se contente en somme de supprimer258

les rôles et les épisodes comiques que Destouches combine pour sa part avec ses nouveaux accents pathétiques. Nous n’avons à nous intéresser ici qu’aux quelque cinq ou six pièces où la solitude qui effrayait Célimène ne se heurte plus tout à fait à un refus inconditionnel. Son acceptabilité nécessite à chaque fois, comme on va le voir, bien des ‘conditions’ ; n’empêche que, s’il reste bien sûr inimaginable qu’une jeune première de théâtre entre de son plein gré au couvent, quelques-unes se laissent au moins tenter par la perspective d’une solitude à deux qui ressemble à tout prendre, en moins cassant bien entendu259, à ce qu’Alceste proposait en vain à Célimène. C’est de ce déplacement dont il s’agira ici de prendre la mesure.

Le Philosophe marié n’ébauche encore qu’un tout premier pas dans ce sens ; il paraît d’autant plus significatif que l’argument global de la pièce imposait plus que jamais d’abonder en sens contraire. Le protagoniste se félicite au lever du rideau de la tranquillité de son cabinet d’étude ; Ariste ne peut la savourer que là parce qu’il vient de contracter un mariage secret que, par

256 L’accord était en l’occurrence d’autant plus facile que la critique des vocations ‘forcées’ ne relève pas, loin de là, de la seule polémique éclairée. Les prédicateurs et les moralistes les plus orthodoxes s’en inquiétaient les tout premiers. Voir à ce sujet Georges May, Diderot et La Religieuse, Paris, PUF, 1954, p. 171-178.

257 Pour un bon aperçu de la biographie de Destouches, voir surtout l’introduction de Gabrielle Vickermann-Ribémont à son édition critique du Philosophe marié, Genève, Droz, 2010, notamment p. 13-28. Nos références au Philosophe renvoient à cette édition.

258 Voir toujours, pour le détail de cette filiation, la thèse de Gustave Lanson sur Nivelle de la Chaussée et la comédie

larmoyante, Paris, Hachette, 1887, p. 117-124.

259 Il vaudrait la peine de comparer systématiquement sa foncière discrétion avec celle de Marmontel. Voir à ce sujet Hélène Cussac, « Réécriture de la retraite dans les Mémoires et les Contes de Marmontel », dans Marmontel. Une rhétorique de

fausse honte et pour ne pas indisposer un oncle dont il doit hériter, il voudrait cacher aussi longtemps que possible.

Sa fausse honte tient surtout au fait qu’il avait souvent juré hautement de ne jamais se marier et qu’il lui en coûte de se dédire. Il y a là un respect humain peu ‘philosophique’, qui se trouve exposé tout au long de la pièce à d’infinies péripéties où ce secret risque de se trouver dévoilé avant l’heure, une heure qui, s’il ne tenait qu’à Ariste, risquerait à vrai dire de se voir indéfiniment reculée. La suggestion globale de l’ensemble est très évidemment qu’un philosophe vraiment digne de ce nom ne devrait pas se soucier à ce point du qu’en dira-t-on. Les retraites dont il parle quelquefois font donc une figure plutôt piteuse ; il s’agit tout d’abord et en premier lieu « de fuir à la campagne / et de [s]’y confiner pour n’en sortir jamais » (p. 95). On n’en est que plus surpris de voir qu’au moment où Ariste semble s’apprêter enfin à partir effectivement, sa femme Mélite se montre toute disposée à l’y suivre. Ariste compte partir le premier et promet d’envoyer un messager quand elle pourra le rejoindre :

Nous nous reverrons dans un séjour tranquille, Où j’ai fixé le mien. Je renonce à la Ville. Voyez si vous pouvez y renoncer aussi ; Et n’espérez jamais de me revoir ici. (p. 115)

C’est exactement la proposition qu’Alceste faisait à Célimène. Mélite l’accepte cette ois sans la moindre hésitation ; sa sœur, qui se trouve assister à l’entretien, se montre scandalisée par tant de docilité et accuse la nouveauté d’un tel choix :

Eh quoi, pour un mari vous serez complaisante, Jusqu’à vouloir pour lui vous enterrer vivante.

Oui ma sœur. (à Ariste) Je ferai tout ce que vous voudrez. Je trouverai Paris partout où vous serez. (p. 115)

Mélite n’a toujours pas à tenir sa promesse. Nous apprenons dès la scène suivante que le terrible oncle d’Ariste « prétend faire […] casser le mariage / comme ayant été fait à l’insu des parents » (p. 116). Le projet n’a rien de chimérique et risque surtout, dans le contexte juridique de l’époque260

, de tourner très mal pour Mélite ; devant cette terrible menace, Ariste trouve enfin le courage de proclamer son mariage à la face du monde. Le consentement à la retraite n’aura été qu’un bon mouvement, qui ne sera pas suivi d’effet ; comme, d’autre part, il n’a aucune incidence concrète sur la suite de l’intrigue, tout se passe comme si Destouches appréhendait ici une psycho-logique inédite dont sa comédie n’avait pas besoin, mais qu’il trouvait trop intéressante pour en priver son public.

Les Philosophes amoureux (1729)261 nous amènent dans un beau domaine qui « est, pour ainsi dire, aux portes de Paris » (p. 22). Le maître des lieux, pour sa part, a pris le parti

De marquer du mépris

Pour tout ce que le monde estime d’un haut prix, De fuir tous les plaisirs, de n’aimer que l’étude, Et de se séquestrer dans cette solitude.

Il appelle cela, je crois, … philosopher. (p. 189)

260 Voir là encore l’introduction de Gabrielle Vickermann-Ribémont, éd. cit., p. 36-44, qu’on pourra compléter par Benoît Garnot, « Une approche juridique et judiciaire du rapt dans la France du XVIIIe siècle » dans Rapts. Réalités et imaginaire

du Moyen Age aux Lumières, dir. Gabrielle Vickermann-Ribémont et Myriam White-Le Goff, Paris, Garnier, 2014,

p. 165-177.

261 Références à Philippe Néricault Destouches, Les Philosophes amoureux, éd. Françoise Rubellin, Montpellier, Espaces 34, 2001.

La comédie s’installe ainsi, si l’on peut dire, chez Alceste plutôt que dans le salon de Célimène. Nous ne nous retrouvons pas pour autant au désert : le beau domaine de Léandre fait plutôt figure de locus amoenus, qu’il n’a pas tort de préférer à tout. Il y gagne d’ailleurs de paraître plus conséquent : Alceste se déconsidère de prime abord en s’obstinant dans un salon où il n’est pas à sa place, et où il fait du coup piètre figure.

Léandre se montre en outre nettement moins atrabilaire que son modèle. Il se conduit au contraire en maître de maison charmant, qui accueille courtoisement ses visiteurs. Il sait même sourire avec eux des façons plus cassantes de son ami Damis, qui l’a initié aux délices de la philosophie, mais serait pour sa part « un sage bien outré » (p. 193). Ce Damis hérite largement des ridicules d’Alceste, auxquels Destouches n’est donc pas (encore) insensible ; confiés à ce comparse, ils servent ici de faire-valoir à la belle tenue d’un protagoniste qui peut se flatter à juste titre de ne pas les partager :

Si pour être sage,

Il fallait contracter une humeur si sauvage, La sagesse à mes yeux n’aurait aucuns appas ; Pour moi, je fuis le monde et ne le hais pas. (p. 198)

Il le fuit surtout par ce que sa « retraite » lui vaut « un calme plein de joie » (ibid.) ; le propos serait inimaginable dans la bouche toujours enragée d’Alceste !

Le bonheur de Léandre serait complet si la jeune Clarice acceptait de venir partager ce calme. La proposition n’a cette fois rien de dérisoire et ne fait pas plus figure d’énormité ; la seconde jeune première de la pièce proteste, dans un monologue qu’il serait un peu long de citer262

, qu’elle ferait volontiers ses délices d’un tel bonheur. Il se trouve malheureusement que Clarice, très portée aux plaisirs du monde, préférerait pour sa part convoler avec le frère cadet de Léandre, qui est un petit-maître quelconque. Comme il n’a pas de fortune et que Léandre fait un très beau parti, Clarice, qui est tout sauf désintéressée, fait mine pendant quelques instants de se prêter à ses projets de retraite : ses entours l’ont alors persuadée qu’elle ferait mieux de ne pas laisser passer l’occasion et qu’une fois le mariage conclu il sera toujours temps d’aviser. Ces calculs n’ont pas d’équivalent dans Le Misanthrope, où Célimène ne s’abaisse pas plus à feindre263. Léandre a par chance assez d’esprit pour se méfier d’un si soudain revirement et risque donc une épreuve décisive, qui est aussi, de sa part, un acte fort généreux :

Je veux qu’à tous égards vous puissiez être heureuse ; Et si ma solitude est pour vous ennuyeuse,

Je vous offre mon frère et lui cède mes droits. C’est à vous maintenant de faire votre choix. (p. 307)

Clarice n’a même pas à prononcer son « choix » puisque sa seule hésitation à répondre suffit à édifier Léandre. Il s’exécute aussitôt en cédant sa fortune à son frère et ne se réserve, « jusqu’à [s]on dernier jour / que la possession de ce charmant séjour » (p. 308)264 ; la pièce se termine, à défaut de succès effectif, sur le triomphe au moins moral du solitaire.

Ne nous demandons pas trop pourquoi Léandre n’épouse pas la seconde jeune première de la pièce. La réponse prosaïque serait qu’ayant cédé l’essentiel de ses biens à son frère, lui-même

262 Voir t. 2, p. 237-238.

263 Les analyses qui présentent Célimène comme une coquette foncièrement mensongère prolongent un contresens romantique qui est, pour dire les choses un peu vite, le pendant négatif de l’idéalisation indue d’Alceste. Voir surtout, sur l’essentielle sincérité de la Célimène de Molière, Jacques Guicharnaud, Molière. Une aventure théâtrale, Paris, Gallimard, 1963, p. 392-404.

264 On peut d’ailleurs présumer que, comme « la vertu seule [y fera s]es délices » (p. 308), son frère finira, le moment venu, par en hériter pareillement.

ne fait plus un parti sortable ; le choix pour la solitude a aussi plus de « grandeur » (p. 308) qu’un mariage qui ne serait jamais qu’un pis-aller. À voir le soin scrupuleux avec lequel Destouches préserve son protagoniste des défauts et des ridicules d’Alceste, on se demande aussi s’il n’aurait pas préféré pareillement éviter un dénouement trop inhabituel: certaines issues inédites gagnent à être envisagées d’abord d’un peu loin.

Le mirage d’un noble loisir dans une confortable maison de campagne n’est bien sûr pas littéralement inédit. Destouches cite, fait rarissime dans la comédie, un vers latin d’Horace pour l’accréditer : tecum vivere amem, tecum obeam libens (p. 238). Qui se rapporte à l’original constate que l’Ode III, 9 ne porte pas vraiment sur les charmes de la retraite ; le poète proteste qu’il voudrait passer sa vie auprès de sa bien-aimée et qu’il mourrait volontiers à ses côtés, mais ne se soucie pas de préciser où il aimerait savourer ce bonheur. Le public devait savoir que les délices de la retraite faisaient de toute manière partie d’une topique épicurienne qu’Horace prolongeait volontiers. Molière, qui la connaissait aussi bien, ne s’en était pas inquiété au moment d’inventer le cri du cœur du Célimène ; tout se passe donc comme si le vieux topos prenait, au 18e siècle, une nouvelle résonance, qui invitait entre autres à réécrire le dénouement

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